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“La cryptozoologie a le potentiel d’être sérieuse”

Louis Chevillard a 22 ans, ce qui fait sans doute de lui le plus jeune cryptozoologue de France. Le jeune homme porte fièrement sa passion : il tient un site internet et réalise une revue consacrés aux animaux légendaires, il donne des conférences à leur sujet, il les a même évoqués sur France Inter au mois de mars dernier. Motherboard a décidé de lui poser quelques questions.

Salut Louis, est-ce que tu peux nous présenter ton parcours ?

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Après avoir passé un bac S, j’ai enchaîné directement sur une licence de biologie à l’université Pierre et Marie Curie. Je suis en troisième année et je compte m’orienter vers le master en systématique, évolution et paléontologie du Muséum d’histoire naturelle. Quand j’étais gamin, je disais partout que je voulais faire zoologiste sans vraiment savoir ce qu’il y avait derrière. C’est toujours ce à quoi je me destine. Même si je ne sais pas encore quel groupe d’animaux je vais choisir d’étudier, reptiles, mammifères ou oiseaux, je ne me vois pas ailleurs. J’aimerais pouvoir étudier les phénomènes évolutifs, mais mon rêve serait de devenir le gars qui recense les nouvelles espèces sur le terrain. Je ne sais même pas si cette profession existe !

Comment as-tu découvert la cryptozoologie ?

Je crois que l’élément déclencheur, c’est ce bouquin qu’on m’a offert à Noël quand j’avais 12 ou 13 ans, lePetit manuel de dragonologie. C’était un livre pour les gamins, mais c’était assez sérieux. Les dragons avaient des noms en latin, il y avait des schémas, comme si c’était un scientifique qui avait fait des petites études… J’ai adoré ce livre au point de penser que les dragons avaient une possibilité d’existence biologique. Et puis j’ai toujours aimé les dinosaures, quand j’étais petit c’était un truc de fou. Même s’il n’y a plus l’euphorie de l’enfance, ils me plaisent toujours un peu. Je crois que j’ai découvert le terme “cryptozoologie” en me renseignant sur Internet à propos du coelacanthe, en parallèle de cette passion pour les dinosaures. Au début, j’ai eu une appréhension. Ca avait l’air d’un truc flou, qui n’existait pas vraiment. Et puis j’ai commencé à m’y intéresser sérieusement, en parallèle de mes études. J’ai commandé les bouquins de Bernard Heuvelmans sur Internet. Quand j’ai lu ses premiers ouvrages de cryptozoologie, les deux volumes de Sur la piste des bêtes ignorées, j’ai compris qu’il pouvait y avoir une base scientifique derrière.

Sur la piste des bêtes ignorées

Plusieurs cryptozoologues se sont lancés après avoir lu ces livres, qu’est-ce qu’ils ont de si prenant ?

Ils vendent du rêve, en quelque sorte. Tout le premier tome relate les grandes découvertes qui ont déjà eu lieu et les enquêtes qui les ont rendues possibles. En voyant ces animaux qui existent alors qu’on ne le pensait pas, tu te dis “Woah, c’est déjà arrivé. C’est possible d’enquêter sur une espèce animale dont on a que quelques indices et découvrir qu’elle est bien réelle.” L’autre livre évoque les cryptides à proprement parler. A la fin de chaque affaire, Heuvelmans donne son avis, il dit qu’il faudrait qu’on s’y penche un peu plus, qu’on aille sur le terrain, qu’on interroge des gens. Du coup, il y a deux parties : l’une dit que c’est possible, l’autre qu’il reste du travail à faire. Je pense que quand tu es un minimum intéressé par les explorations, l’aventure, les mystères animaliers, ça allume forcément quelque chose.

Comment exprimes-tu cette passion ?

Depuis que je suis tout petit, quand je m’intéresse à un sujet, j’adore en faire un truc concret. C’est comme ça que j’en suis venu à faire un site sur la cryptozoologie, avec des articles très complets, des dossiers avec beaucoup d’informations. C’était il y a environ un an et demi. Ce n’est pas un site que tu visites toutes les semaines pour trouver des news, tu vas plutôt le voir si tu as un exposé sur le Mokélé-Mbembé à faire. De toute façon, avec les études et mes autres activités, je n’ai pas le temps de publier régulièrement. J’ai fini par me dire que vu ce rythme assez lent, je pouvais synthétiser mes articles dans une revue publiée tous les deux mois. C’était un petit défi. C’est encore à l’état d’embryon mais un premier numéro est sorti, c’est déjà ça ! Le deuxième numéro, celui d’avril-mai, n’est pas encore sorti… On est le 30 mai. (Rires) C’est difficile à tenir, je suis tout seul sur ce projet.

Tu as aussi donné une conférence de cryptozoologie dans ton université, le 31 mars dernier. Comment as-tu eu l’idée ?

Je crois que c’est né de la volonté de faire passer le message. C’est la fac, il y a plein d’étudiants, le public est là, c’est idéal pour dédiaboliser la chose. Les troisième année de licence ont accès à un cycle de conférences mensuel, avec des intervenants scientifiques. Je suis allé voir la dame qui organisait ces cycles en lui proposant mon projet. Elle m’a rembarré comme jamais. Quand je l’ai croisée sur le campus, elle m’a dit “Ha oui, c’est vous le sujet sur la cryptozoologie. On ne peut pas trop le faire, ce n’est pas vraiment scientifique. En revanche, je vous encourage à le faire de votre côté, sans mêler notre service à ça.” Du coup, je suis juste passé par le service d’initiative étudiante. Leur jury a validé mon dossier en disant que c’était original. Ils m’ont même filé un budget pour les affiches.

Ça a assis ta réputation, j’imagine. Comment tes proches perçoivent ta passion pour la cryptozoologie ?

Je dirais qu’il y a deux phases : avant et après la conférence. J’ai la sensation que ça a changé quelque chose, on m’a dit que c’était cool. Je n’ai jamais trouvé, parmi mes amis proches ou mon entourage, un interlocuteur pour parler de la cryptozoologie. La plupart de mes potes ne sont pas en biologie, ça ne leur parle pas vraiment. Et globalement, ils pensent que c’est un sujet un peu bancal. Du coup, difficile de l’évoquer avec eux. Lors de la conférence, où ils étaient tous invités, j’ai eu une heure pour capter leur attention, expliquer, montrer comment je percevais le sujet, c’est-à-dire de manière scientifique. Du coup, maintenant, ils reconnaissent peut-être un peu plus le truc. Alors qu’avant, quand je leur disais que je projetais de partir en Afrique pour essayer de trouver un cryptide, ça faisait marrer.

Tu avais prévu de participer à une expédition ?

Oui, j’ai failli partir au Cameroun avec Michel Ballot, sur la piste du Mokélé-Mbembé. Ça se serait fait cet été, il ouvre ses expéditions au public. Je trouvais ça intéressant, mais la situation du pays n’est pas très sûre en ce moment. Mes parents m’ont fait comprendre qu’ils ne voulaient pas que je parte et je ne veux pas leur faire de grosse frayeur pendant un mois. Du coup, au final, je ne pars pas. Quand j’ai dû abandonner cette idée, je me suis dit : pourquoi pas le Canada avec Eric Joye, pour le Sasquatch ? Mais là, le problème, c’est le prix. Le billet d’avion est très coûteux et tu dois payer l’expédition en plus. Et ça ne dure qu’une semaine. Payer si cher pour sept jours… Mais si un jour j’ai les moyens de faire une expédition un peu plus conséquente, de rester un peu plus longtemps, c’est un projet qui me botterait énormément. Le Bigfoot est un dossier vraiment troublant, je ne sais pas trop quoi en penser. C’est une affaire extraordinaire, il y a plein de preuves mais on ne l’a jamais vraiment vu.

Tu es proche des cryptozoologues francophones, du coup ?

Proche, pas tout à fait. Je ne les côtoie pas souvent, mais j’ai déjà un pied dans le plat. Mon premier contact avec la sphère cryptozoologique officielle, c’était il y a deux ans, quand j’étais en stage chez France Inter dans l’émission La tête au carré. J’ai préparé quelques émissions sur les animaux et j’ai fini par proposer un thème cryptozoologique à Mathieu Vidard. J’avais lu le bouquin de Michel Ballot et je l’avais contacté après avoir vu qu’il proposait des expéditions, du coup je lui ai demandé s’il voulait venir à la radio. Matthieu voulait bien faire l’émission, à la condition qu’un scientifique “homologué” vienne contrebalancer ses dires de cryptozoologue. Michel Ballot a accepté et proposé d’intervenir face à Benoît Grison, biologiste et sociologue des sciences. Je l’ai rencontré quand ils ont fait l’émission. C’était super. C’est comme ça que j’ai fait un premier pas dans la sphère. Ensuite, c’est par le biais de Benoît Grison que j’ai vu les autres.

Comment ça s’est passé ?

Au mois de juin 2015, les éditions L’Oeil du Sphinx ont ressorti un bouquin d’Heuvelmans sur les ours africains. A cette occasion, ils ont organisé une petite réunion. Benoît Grison m’y a convié et c’est là que j’ai rencontré à peu près tout le monde. Je ne me souviens plus de qui il y avait exactement, mais Eric Buffetaut était présent. Il bosse au Muséum d’histoire naturelle, c’est un grand paléontologue français qui s’intéresse à la cryptozoologie. Il publie souvent dans la revue Espèces, notamment des articles qui ont trait à la discipline. Ce magazine a même fait une couverture sur la cryptozoologie, ils ont osé franchir le pas ! Après la réunion, je les ai suivis au restaurant. Ils ont parlé d’Heuvelmans et de toutes les affaires qu’ils ont été amenés à traiter. C’était génial, tu te dis que ce sont vraiment les acteurs du domaine. Ils parlent souvent d’Heuvelmans dans des termes très élogieux : il s’est rarement trompé, ses enquêtes sont vraiment bien…

“Il faut que le public comprenne qu’il y a potentiellement un truc sérieux derrière et pour ça, il faut que les scientifiques s’y consacrent un minimum, même peu nombreux”

J’ai aussi cru reconnaître Michel Raynal dans le public de ta conférence.

Oui, c’est là que je l’ai rencontré. Je pense qu’il est venu invité par Florent Barrère, que j’ai reconnu lors de la soirée d’inauguration du livre Créatures fantastiquesparce que j’avais lu son ouvrage sur le coelacanthe. Quand je lui ai dit que j’allais faire une conférence à l’université, il m’a dit qu’il voulait bien la filmer et qu’il allait en parler à ses contacts. J’imagine que Michel Raynal en faisait partie. Au départ, je ne l’ai pas reconnu. Mais quand j’ai parlé de l’améranthropoïde et qu’il est intervenu, j’ai compris que c’était lui. Je faisais l’éloge de son site Internet à la fin de la conférence !

On peut dire que tous ces gens font partie de la garde cryptozoologique “sérieuse”, mais la discipline s’attire aussi quelques farfelus. Pourquoi, d’après toi ?

Les humains adorent tout ce qui est mystérieux. Si notre monde était vide de légendes, de mythes ou d’incertitudes, on s’ennuierait. Je pense qu’on est naturellement attiré vers ce genre de choses mais aussi que cette tendance a différents stades. On peut accepter l’hypothèse du Yéti en voyant les traces et les témoignages, se dire “Pourquoi pas ?” et finalement dériver vers des théories de plus en plus compliquées. Si on considère l’existence du Yéti, on est déjà assez ouvert d’esprit. Et quitte à être ouvert d’esprit, autant l’être au maximum. Alors allez, le Yéti vient de l’espace. Je ne sais pas si les gens qui développent ces thèses le font par esprit de provocation ou par espoir que ces choses arrivent. Après tout, quand on pianote sur son ordinateur pour en apprendre plus sur la cryptozoologie, c’est justement par attrait du mystère. On est attiré par le fait qu’il y a potentiellement des monstres qui hantent nos contrées.

C’est ce qui te motive ?

C’est ce qui me motive, mais avec des nuances. Je pense qu’il y a quand même une réalité zoologique derrière. Quand je vais rédiger un dossier sur un cryptide, j’aime bien rester dans les limites de ce qu’on pourrait juger comme assez sérieux. Ça fait partie de mon cursus. Je ne me vois jamais croire que le monstre du Loch Ness puisse être un plésiosaure. Quand on fait un minimum de paléontologie, on sait que c’est littéralement impossible, ou alors très peu probable scientifiquement. Ce que j’ai essayé de faire avec mon site Internet, c’est d’amener une vision de la cryptozoologie qui puisse paraître plus crédible, pour qu’on puisse en faire quelque chose d’homologué. Parce que là c’est clairement un domaine qui reste en marge. Si on l’aborde de manière un peu plus pragmatique, méthodologique, comme le faisait Bernard Heuvelmans à l’époque, ça peut rentrer dans les sentiers homologués. Je pense que c’est possible, même si on n’arrivera jamais à se défaire des mythes de la cryptozoologie comme le Chupacabra extraterrestre ou le Yéti de l’espace.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour favoriser cette accession à la respectabilité ?

Avant tout de la sensibilisation, certes au public mais aussi des scientifiques. La cryptozoologie peut être appliquée par un grand nombre de chercheurs, les anthropologues, les ethnologues, les zoologues bien sûr. Il faut que le public comprenne qu’il y a potentiellement un truc sérieux derrière et pour ça, il faut que les scientifiques s’y consacrent un minimum, même peu nombreux. Je n’ai jamais été amené à convaincre des chercheurs, mais il faudrait peut-être leur parler des sujets qui sont peu connus du public et sur lesquels on rame depuis plusieurs années. Des analyses ADN effectuées sur des baleines mortes ont montré qu’un cétacé inconnu se baladait dans nos océans, on a aussi les plumes d’un gros oiseau qu’on n’a jamais découvert en vrai. Ce genre de chose pourrait plus intéresser un scientifique qu’un sujet connu et déjà discrédité, comme les poils de Bigfoot.

Le Mokélé-Mbembé tel qu’il est parfois représenté. Image via

Pour finir, c’est quoi ton cryptide préféré ?

Le Mokélé-Mbembé, ça c’est sûr. Je suis persuadé qu’il y a un gros machin… Enfin… Je pense que c’est tout à fait possible qu’il y ait un gros animal dans le bassin du Congo, probablement un mammifère, avec une morphologie assez proche de l’hippopotame ou de l’éléphant. C’est tout à fait possible.

Une ultime déclaration de cryptozoologue ?

Essayons de faire un effort pour rester ouvert d’esprit en toute circonstance, sans tomber dans la naïveté, bien sûr. Ca ne coûte rien de garder des perspectives ouvertes. La cryptozoologie a le potentiel d’être sérieuse.

Propos recueillis le 30 mai 2016.