Prendre de la drogue peut vous niquer le cerveau. C’est d’ailleurs pour ça que les gens en prennent. Qu’il s’agisse d’un joint après une dure journée de labeur ou d’une pilule qui vous permet de supporter une musique que les bros de la Concrete qualifient de « techno », les substances psychoactives ont une chose en commun. Elles vous permettent d’échapper temporairement à une existence chiante.
Des millions de personnes font ça. Le problème, c’est que certaines d’entre elles – les plus fragiles ou simplement les plus demandeuses de défonce extrême – passent du côté obscur de la force et finissent par détruire leur santé mentale.
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Le lien de causalité entre les maladies mentales et les drogues semble évident. Les revues scientifiques l’évoquent sans cesse et la réalité parle d’elle-même. Il ne faut pas chercher très longtemps autour de soi pour trouver une connaissance dont le cerveau a été bousillé par une consommation excessive de drogue, légale ou non. Malgré tout, il faut faire très attention quand on aborde le sujet périlleux du lien entre psychotropes et troubles mentaux – thème dont tout le monde s’empare, quitte à raconter de grosses conneries.
Le père fondateur du laïus « les drogues, c’est mal ! » se prénomme Harry Jacob Anslinger. Cet Américain spécialisé dans la lutte contre les narcotiques dans les années 1930 était un farouche opposant à la consommation de cannabis. Il prévenait ses concitoyens en ces termes : « Si vous fumez de la marijuana pendant un mois, ce qui était autrefois votre cerveau deviendra un sinistre entrepôt parcouru par d’affreux spectres. » Cela vous fait peut-être sourire, mais ce discours a toujours une influence majeure sur de nombreux hommes politiques et autres médias de masse, convaincus que les fumeurs de weed ont une motricité proche des zombies de The Walking Dead.
Sans doute parce qu’une corrélation existe. Nos gouvernements ne se privent pas de mettre en avant différents chiffres. Un tiers des patients à qui l’on a diagnostiqué une maladie mentale avoue avoir consommé de la drogue au cours de l’année passée – c’est un chiffre trois fois supérieur à la moyenne. De plus, 75 % des personnes ayant recours à des traitements pour lutter contre leur dépendance à la drogue ont été victimes d’un trouble psychiatrique au cours de l’année précédente. Le lien entre drogues et santé mentale est donc extrêmement complexe et les scientifiques commencent tout juste à démêler le vrai du faux.
Rachel se souvient avoir été déprimée dès l’âge de trois ans, lorsque ses parents ont décidé de divorcer. Elle écrit dans son journal intime que sa première rencontre avec la kétamine date de ses 14 ans. « J’avais enfin dit adieu à mes tourments. J’étais devenue une princesse de contes de fées alors qu’avant, je n’étais qu’une adolescente frustrée et solitaire. » Aujourd’hui, Rachel a 30 ans. La drogue a détruit sa vie tout en l’aidant à lutter contre sa dépression. « Je n’étais jamais apaisée et la drogue m’aidait à me calmer. J’étais moins triste, moins en colère. Je sortais, j’étudiais, j’étais heureuse. Le problème, c’est que mon cerveau était encore en développement. »
Un tiers des patients à qui l’on a diagnostiqué une maladie mentale avoue avoir consommé de la drogue au cours de l’année passée – c’est un chiffre trois fois supérieur à la moyenne.
La majorité des études scientifiques se concentrent sur le cannabis – de loin la drogue la plus consommée au monde. Si la plupart des weedés ne courent aucun risque, certains fumeurs sont tout de même susceptibles de développer des maladies mentales. En effet, une prédisposition génétique est à l’œuvre dans de tels cas de figure ; les scientifiques ont mis en avant le rôle d’un gène nommé AKT1. Pour résumer, si vous connaissez quelqu’un dans votre famille qui est schizophrène, essayez de ralentir sur le bédo si vous ne voulez pas finir sous le joug de l’infirmière Ratched.
D’autres études ont mis en avant les dangers de fumer du cannabis avant l’âge de 15 ans. Chez ces jeunes précoces, le risque de développer un trouble psychotique est quatre fois plus élevé en comparaison du reste de la population. Cela est dû au processus de développement du cerveau, toujours à l’œuvre avant cet âge charnière. Comme le précise le Royal College des psychiatres: « Un processus massif d’élagage synaptique est à l’œuvre, processus qui “démêle” les neurones afin qu’ils fonctionnent plus efficacement. Une quelconque substance entravant ce processus peut produire des effets psychologiques sur le long terme. »
La dépression fait partie de ces effets. Une étude menée pendant sept ans auprès de 1 600 Australiens âgés de 14 et 15 ans a prouvé que les fumeurs réguliers de cannabis avaient cinq fois plus de risque de devenir dépressif. Si les preuves sont encore insuffisantes pour affirmer avec certitude que les adolescents dépressifs consomment plus de cannabis que les autres, les statistiques montrent que les adolescents devant faire face à un stress élevé fument de manière excessive.
Certains médias affirment à tort que la weed peut vous rendre schizophrène en une seule taffe, ce qui est complètement con. Mais il ne faut pas oublier que c’est une drogue qui pose de réels problèmes sanitaires. Une autre étude, menée par une université londonienne auprès de 780 pensionnaires d’un hôpital de la ville, a mis en évidence un risque cinq fois plus élevé de développer des psychoses régulières pour les consommateurs de skunk – cette weed de synthèse excessivement forte.
Anthony Stewart, membre de l’association Insight qui vient en aide aux jeunes ayant des problèmes de drogue, évoque une forte augmentation du nombre d’adolescents souffrant de symptômes de type paranoïa ou anxiété. Il dénonce les effets de « nouvelles variétés de cannabis, extrêmement fortes. »
Une étude menée pendant sept ans auprès de 1 600 Australiens âgés de 14 et 15 ans a prouvé que les fumeurs de cannabis réguliers ont cinq fois plus de risque de devenir dépressif.
« Les jeunes fument de l’amnesia, une weed de synthèse. La musique qu’ils écoutent évoque sans cesse le thème de la drogue. Un ado m’a affirmé qu’il recevait des messages subliminaux de la part de pubs à la télé qui l’inciteraient à fumer. On va bientôt assister à une explosion des maladies mentales chez les jeunes à cause d’un cannabis trop fort. »
Les effets psychologiques des drogues sur le court terme peuvent être graves, et pires, se cumuler. L’alcool est susceptible d’endommager votre système nerveux et d’accentuer les sensations de déprime. Pour les consommateurs d’ecstasy ou de cocaïne le week-end, un coup de blues peut se faire ressentir pendant la semaine à cause de cette sur-stimulation ponctuelle de certains récepteurs dans le cerveau. Plus vous prenez de traces, plus vous stimulez votre cerveau et plus votre équilibre mental sera précaire. Vous pouvez développer une légère paranoïa et accorder de l’importance à des trucs inutiles. Si pour faire taire les voix dans votre tête, vous prenez encore plus de drogue, c’est là que le cercle vicieux s’enclenche.
Ça ne vous étonnera pas d’apprendre que le Glastonbury Festival engage des infirmières spécialisées en psychiatrie pour les cinq journées du festival, et ce depuis plus de 30 ans. Chaque année, des festivaliers passent deux ou trois jours dans l’unité de psychiatrie après s’être sentis instables psychologiquement.
Le docteur Niall Campbell m’a parlé de son expérience personnelle. Il traite quotidiennement des malades dont la consommation de drogue provoque des effets ravageurs. L’un de ses patients a souffert d’un stress post-traumatique après avoir pris trop de champignons hallucinogènes. Dès qu’il fermait les yeux, il voyait une image récurrente : le tableau Le Cri, de Munch. Ce mec a presque dû arrêter la fac mais, par chance, ses visions ont fini par disparaître. Ce qui n’est pas le cas de tous les patients.
« Ça fait 12 ans que je traite un malade. Il est allé dans la même école que mon fils et il s’est mis à fumer très jeune. On me l’a envoyé parce que ses notes avaient chuté lourdement à cause de sa consommation de cannabis, raconte le docteur Campbell. Son problème, c’est qu’il avait l’impression d’être épié par tout le monde. Il pensait que les gens lisaient dans son esprit. » Ce patient a arrêté de fumer il y a 12 ans, a pris des médicaments afin de calmer ses symptômes, puis a été à l’université et travaille désormais avec son père. « Aujourd’hui, quand il se rend en Chine pour visiter une usine, il pense que les ouvriers lisent dans ses pensées. Il ne peut pas avoir de copine, parce qu’il est persuadé qu’elle lirait dans ses pensées. Il est coincé dans un état de paranoïa aigu et n’en sortira jamais. »
La grande majorité des consommateurs de drogue, même s’ils ont dû faire face à des troubles psychiatriques de courte durée ou à de simples bad trips, ne souffrent pas de maladie mentale chronique. Malgré tout, l’addiction – forme reconnue de maladie mentale – peut être le déclencheur de problèmes bien plus graves.
J’ai rencontré Liz Hugues, une infirmière en soins psychiatriques qui est également professeure dans une université anglaise. Je lui ai demandé quelles étaient les raisons qui pouvaient expliquer le basculement de certains individus dans la paranoïa. « Imaginez un vase qui se remplirait à cause du stress, d’une prédisposition génétique ou d’un mal-être dû à de multiples causes. Eh bien, si vous ajoutez une consommation excessive de drogue, le vase déborde. Certaines personnes ont – au départ – un vase quasiment vide, qui se remplit à cause d’une consommation extrême de drogue. Lorsque ce vase déborde, le consommateur se transforme en malade. »
Elle précise que l’altération de la vie de tous les jours à cause de la drogue – si vous avez du mal à dormir, à bosser, ce genre de choses – peut être le signe de l’apparition d’une maladie mentale. « Les maladies mentales sont difficiles à soigner. Il vaut donc mieux les prévenir. »
Les drogues psychédéliques de type LSD, mescaline ou champignons sont associées à toutes les variétés de pétages de plomb depuis le début de leur consommation de masse, dans les années 1960. Malgré ça, une étude publiée en mars par la revue Nature a montré que les consommateurs de ces substances n’étaient pas plus sujets au développement de problèmes psychiatriques comme la schizophrénie, les psychoses, la dépression, voire les tentatives de suicide.
Le docteur Owen Bowden-Jones dirige un service qui vient en aide aux jeunes consommant des drogues « récréatives » et autres nouveaux produits de synthèse. Selon lui, la méphédrone est aujourd’hui le psychotrope le plus dangereux. « Cette drogue est à l’origine de psychoses majeures – paranoïa, sentiments de persécution et hallucinations auditives. Dans notre clinique, les psychoses dues à la méphédrone sont plus nombreuses que celles dues au crack. Si vous stimulez constamment votre cerveau avec de la méphédrone, les neurotransmetteurs – comme la dopamine – qui sont à la base de la sensation de bien-être s’affaiblissent et vous finissez par mener une vie qui vous paraît monotone et qui ne vous apporte aucun plaisir. Et la seule manière de changer ça est de prendre encore plus de méphédrone. »
L’altération de la vie de tous les jours à cause de la drogue – si vous avez du mal à dormir, à bosser, ce genre de choses – peut être le signe de l’apparition d’une maladie mentale.
En novembre dernier, le chef d’une unité psychiatrique londonienne a déclaré que les drogues de synthèse étaient si répandues parmi la population qu’il avait été obligé d’ordonner le transfert de patients dans un autre hôpital afin de libérer de la place. Et une étude portant sur le cannabis de synthèse publiée en 2012 dans la revue Human Psychopharmacology de conclure : « le cannabis synthétique peut engendrer des psychoses sévères chez des individus fragiles et aggraver les épisodes psychotiques chez des patients ayant des antécédents psychiatriques. »
Malgré tous ces dangers, les drogues sont susceptibles d’améliorer les fonctions cognitives d’un individu, comme la mémoire ou la concentration, et de traiter certaines maladies mentales telles que la dépression, le stress post-traumatique et l’anxiété chez des patients ayant un cancer. Avant que la MDMA ne devienne une drogue récréative, elle était utilisée par des centaines de psychiatres américains dans les années 1970. Des études médicales ont montré que la MDMA pouvait servir à traiter l’anxiété et les syndromes de stress post-traumatique.
La façon dont les gens sont affectés par la drogue qu’ils consomment varie, en fin de compte, selon chaque individu. Comme le précise le docteur Bowden-Jones, « les gens prennent de la drogue soit pour ressentir des sensations nouvelles, soit pour faire disparaître des sensations indésirables. » L’automédication via les drogues est donc un jeu dangereux dans lequel les notions de poison et de remède ne font qu’un.
Le retour de flamme dépend de la raison pour laquelle le consommateur a décidé de prendre de la drogue à l’origine. « Je demande toujours aux gens ce qu’ils espèrent obtenir de leur consommation de drogue, m’a précisé Liz Hugues. S’ils essaient d’échapper à quelque chose ou de masquer des sentiments négatifs, c’est mauvais signe. Dans ces cas-là, la drogue n’est pas un soutien temporaire mais un facteur qui va aggraver un problème préexistant. »
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