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La jeunesse américaine dans le viseur d’une photographe immigrée

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Le concept d’Amérique est de plus en plus sujet à controverse. Difficile pour la jeunesse du pays d’affirmer sa fibre patriotique à l’heure où Trump, non content de vexer ses « amis » chinois et européens pour se la coller avec Poutine et de remettre en question le droit à l’IVG, a décidé de mettre en pièces des familles de migrants.

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Le jour où on le foutra enfin dehors, il faudra bien panser les plaies de la nation, si nation il y a encore. Mieux vaudra alors compter sur les jeunes que sur leurs baby-boomers de parents. Cela tombe bien, car les millennials et leurs successeurs de la génération Z s’engagent et s’expriment comme peu d’ados avant eux. De quoi donner fort à faire à ces politiciens blafards d’un autre temps déterminés à leur pourrir la vie coûte que coûte.

Photographe new-yorkaise d’origine tchèque, Marie Tomanova a foi en cette jeunesse. Elle a traversé une période de grande confusion lors de son arrivée dans le pays en 2011. Les États-Unis étaient à la fois plus vastes et plus cloisonnés que dans ses rêves. La jeunesse américaine et sa culture lui ont toutefois fourni une inspiration inépuisable, d’abord en Caroline du Nord puis à Manhattan.

Tomanova a pu photographier quantité de jeunes Américains et Américaines, assez pour exposer aujourd’hui 200 portraits au Centre tchèque de New York.

On a donc profité du vernissage de Young American pour aller discuter avec elle de son expo, du pouvoir de la jeunesse et de la xénophobie de l’administration Trump.

Ryan

VICE : Qu’est-ce qui vous fascine tant chez les jeunes et leur culture ?
Marie Tomanova : Ils ont une énergie, qui les pousse à faire de nouvelles expériences et à explorer des terrains inconnus. Du courage aussi, et il en faut pour changer le monde. Et puis, ce paradoxe entre une grande fragilité et une passion inaltérable. L’univers leur réserve une place de choix, et il a bien raison car leur énergie vaut de l’or.

Quand je repense à ma propre jeunesse, je n’en reviens toujours pas. C’était à la fois très éprouvant et très exaltant. Si on me proposait de revenir en arrière, je ne serais même pas sûre d’accepter. C’est quand même une période très intense : on ne sait ni ce qu’on va devenir, ni quel chemin on va prendre ou quel métier on va choisir. En même temps, j’ai pu essayer mille choses diverses et variées, c’est ça qui m’a permis de trouver la bonne et de me fixer mes propres objectifs. La jeunesse, c’est plus qu’une simple étape de la vie : il y a un « truc » en plus.

Amelia

Comment avez-vous choisi vos sujets ? Vous avez dû vous poser pas mal de questions sur leur diversité, leur âge, leur genre, leur origine, leur identité ou l’endroit où ils avaient grandi…
J’ai pris la plupart de mes photos à New York sur une longue période. Les New-Yorkais offrent déjà toute la diversité et la complexité nécessaires, je n’avais qu’à bien chercher. C’est pour ça que j’aime tant ma ville. J’ai photographié des gens en soirée, à des vernissages, parfois même dans la rue ou directement chez eux, le tout pendant trois ans.

Quay Dash

Dans quelle mesure avez-vous intégré vos sujets au processus créatif ? Quelle influence avaient-ils sur les lieux et les poses, par exemple ?
Les portraits de l’exposition existent tous pour une raison différente. Quand je travaillais pour des magazines par exemple, il me restait toujours deux ou trois photos magnifiques, mais impossibles à caser. Tous ces invendus se sont empilés pour se retrouver aujourd’hui sous vos yeux.

Et puis, quand j’ai commencé à ne travailler que pour l’expo, je me suis sentie encore plus libre. Au moment de la photo, il se passe toujours un truc unique entre [le sujet et moi]. C’est ce que je préfère dans mon métier : la plupart du temps, on finit par discuter de tout et de rien, et c’est là-dedans que je puise mon inspiration.

Pourquoi la jeunesse américaine, et pas la jeunesse tout court ?
Je crois que la réponse tient en peu de mots : ça fait sept ans que j’habite aux États-Unis et que je fais de mon mieux pour m’intégrer. Je ne suis pas née ici. Du coup, le rêve américain et la jeunesse de ce pays me fascinent totalement. Ma relation privilégiée avec toutes ces personnes fantastiques a été une chance unique, et même un voyage. J’ai beaucoup appris.

Vivre en Amérique sans ma famille, ça m’a permis de mieux savoir écouter les autres, mais aussi de pouvoir m’exprimer sans filtre. De façon plus globale, ça a élargi tous mes horizons. Ce n’est pas leur passeport ou leur visa qui fait de mes sujets des « Américains », mais leurs espoirs et leurs rêves. On peut tous s’identifier à eux.

Britney

Qu’est-ce que « l’Amérique » à vos yeux ?
Un endroit particulier. Qui a changé ma vie. Bien sûr, j’aurais pu connaître le même destin n’importe où dans le monde, mais il se trouve que j’ai choisi les États-Unis. Un beau jour, je suis partie de République tchèque, persuadée de revenir dans les six mois maximum… Et puis je suis tombée amoureuse, et je suis restée ici. C’est ici que je me suis trouvée, que j’ai trouvé ma passion et ma vocation. Je ne dis pas que ça a été facile. J’ai touché le fond plus d’une fois et je n’avais personne pour me soutenir. Je n’avais que mes yeux pour pleurer, j’avais le mal du pays… Je me suis même demandé si je n’allais pas rentrer. Mais c’est la vie : j’essaie toujours de la prendre du bon côté, même si ce n’est pas évident. Ici, les choses ne viennent pas à vous, il faut travailler dur et ne jamais se démonter, et là tout peut arriver. C’est ma seconde famille.

Matthew

Vous avez attendu d’être adulte pour venir ici : racontez-nous. Qu’est-ce qui a été le plus dur à accepter ? Pensez-vous passer le restant de vos jours ici ?
Prendre l’avion un beau matin pour se retrouver sur un autre continent sans aucune attache, c’est un peu bizarre. J’ai d’abord vécu en Caroline du Nord, où j’ai été frappée de voir ces grandes autoroutes. Entre les distances que parcourt chacun chaque jour et la dose de café qu’on peut absorber chaque matin, tout est affaire de dimension ici. Je venais d’une petite ville tchèque, alors cette immensité et cette vitesse de tous les instants, c’était quelque chose. La Floride fait deux fois la taille de mon pays. J’ai donc dû revoir mon appréhension de l’espace. [Rires]

Cette absence d’attaches a aussi été une vraie source d’excitation et de défis : je pouvais être qui je voulais. Une fois à Greensboro, je pouvais me refaire une identité toute neuve. L’année suivante à New York, pareil ! Je n’avais jamais rien vécu de tel, j’ai grandi dans une petite ville où tout le monde connaît tout le monde (ou, du moins, croit connaître tout le monde). Le genre d’endroit où on vous met très vite dans une case, et là bonne chance pour en sortir ! J’aime beaucoup l’anonymat que permet New York. J’ai passé mes deux premières années ici à écrire. C’était essentiel pour assimiler tout ce changement, toutes ces émotions inédites.

Alton

Qu’espérez-vous et que redoutez-vous pour la nouvelle génération ?
J’espère la fin des frontières, quelles qu’elles soient. Un monde tolérant et inclusif. Des choix positifs, des voix fortes. Mais j’ai peur des conservateurs. Peur de l’insensibilité, de l’intolérance. Surtout, peur que la jeunesse perde son énergie si précieuse.

Vous avez voulu cette expo aussi positive, inclusive et idéaliste que possible : pourquoi ? Pourquoi la beauté et l’espoir, plutôt que les affres de la politique ?
Comme disait ma mère, l’espoir fait vivre. Une approche positive des choses est toujours source de pouvoir. J’ai horreur de me sentir sans défense, bien que le monde actuel y soit souvent propice. Moi, je fais le choix assumé de croire au changement et à tout ce qui est positif. C’est ma manière d’aller de l’avant.

Alannah

Vous nous aviez habitués à des autoportraits, et voilà que vous photographiez tout le monde, sauf vous. Pourquoi ?
Ce n’est pas si différent, quand on y pense. Mes autoportraits en pleine nature parlent d’identité, de décalage, de célébration aussi, et surtout d’une jeunesse passée dans les forêts de Mikulov. À mon arrivée ici, c’est tout ce qu’il me restait de la République tchèque, alors que j’étais entre deux identités. Ces autoportraits, c’est Marie Tomanova qui cherche sa place dans la société et le paysage américains. Mon expo, c’est presque la même chose : ces portraits parlent d’eux, de moi, de nous. Dans leurs yeux, il y a nous. Il y a l’humanité tout entière.

Tash
Paris
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