La Messe des morts, un festival de musique black metal, a dû être annulée samedi soir après qu’un groupe antifasciste a manifesté contre la présence de Graveland, une formation polonaise dont le leader est connu pour des propos racistes et antisémites tenus par le passé.
Je couvrais le festival en vue d’un documentaire sur la scène du « métal noir québécois » nationaliste. Nous étions les seuls avec une caméra à l’intérieur du Théâtre Plaza, où devait se tenir le spectacle.
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Depuis des mois, je parle avec des groupes qui chantent (ou gueulent) en français et qui promeuvent la souveraineté du Québec. Des formations telles que Cantique Lépreux, Forteresse ou encore Monarque, qui participaient à la Messe des morts. Ils ont une vision romantique de l’indépendance et puisent leur inspiration dans des poèmes d’Émile Nelligan, de René Chopin ou dans la Rébellion des Patriotes de 1837.
Les concerts de jeudi et de vendredi de la Messe se sont déroulés sans anicroche. La sécurité était digne de celle d’un aéroport. Des agents vêtus de gilets pare-balles fouillaient tout le monde de la tête aux pieds. Toute sortie était définitive. À l’entrée de la salle, une pancarte avertissait tous les amateurs de métal extrême qu’aucun symbole politique ne serait toléré.
Le festival qui était sold out et attendait plus de 500 personnes a tourné au vinaigre samedi soir, alors que Graveland, très populaire au sein de la scène black, devait donner son premier concert sur le sol nord-américain. Le groupe polonais est souvent associé au mouvement National Socialist Black Metal (NSBM), ce que réfute le chanteur de la formation, Robert Fudali. Pour lui, Graveland est simplement un groupe de black métal païen.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que ce dernier a souvent exprimé des propos racistes et antisémites. Fudali apparaît aussi sur une photo, prise en 2001, aux côtés des membres du groupe Honor, qui font fièrement le salut nazi. Au mois d’avril dernier, Graveland a aussi participé au Hot Shower Fest, un festival NSBM qui se tient à Milan en Italie. Aux États-Unis, l’Anti-Defamation League a inclus Graveland dans sa liste de « groupes de musique incitant à la haine ».
Des groupes antifascistes montréalais ont appelé à manifester contre la tenue du spectacle. Ils se sont donné rendez-vous au métro Beaubien à 16h, samedi. Vers 16h45, ils étaient une cinquantaine à marcher, fumigènes en main, vers le Théâtre Plaza, où ils ont rapidement bloqué l’entrée. Plusieurs amateurs de metal qui s’y trouvaient ont été bousculés et apostrophés.
« Nous manifestons contre le groupe Graveland, mais aussi contre tous les autres groupes qui jouent ce soir, m’a dit l’un d’entre eux, masqué et tout de noir vêtu. En s’associant à un mouvement qui véhicule la haine et l’oppression, ça revient à les soutenir. On ne tolère pas ça à Montréal, surtout dans des quartiers où les milieux juifs anarchistes dans les années 1920 ont influencé la culture militante québécoise qui s’est opposée au cléricalisme. » La police anti-émeute a vite rappliqué, avec poivre de Cayenne et flashballs, repoussant les manifestants quelques mètres plus loin. « On ne tolère pas les esties d’antisémites à Montréal, a ajouté un autre manifestant. La violence est un dernier recours, mais si on doit se rendre là, on va se défendre, c’est certain. J’ai rien contre le black metal, mais je déteste les fascistes. »
Le SPVM a érigé un périmètre de sécurité, empêchant toute personne d’entrer dans le théâtre. Sur la rue Beaubien, des centaines d’amateurs de black metal faisaient toujours la file pour assister au concert.
« On s’est fait étamper dans le mur et ils nous ont traités de nazis, m’a dit Maxime Savoie, fan de Graveland venu spécialement de Lac-Mégantic (à 250 km) pour assister à la Messe des morts. C’est ridicule, personne ici veut faire de la marde. On est des Québécois fiers d’être Québécois. Y a rien de nazi là-dedans ! »
Vers 19h, j’ai finalement pu entrer dans le théâtre avec l’équipe de tournage, par la porte de derrière, grâce à notre accréditation du festival. Après nous avoir fouillés, les agents de sécurité ont littéralement barré les portes derrière nous. Impossible de ressortir. La police craignait des altercations entre les membres des groupes et les manifestants.
L’organisateur de la Messe des morts, Martin Marcotte, venait de prendre la décision d’annuler le concert. « Ils ont gagné, le show est annulé ! Ça fait mal, c’est certain. On a pris cette décision pour la sécurité des festivaliers. Dehors, il y avait des bombes fumigènes. Ils n’étaient pas là pour manifester pacifiquement. Ce sont des gens qui ont utilisé une tactique de terreur pour faire annuler un spectacle. »
L’ambiance était lourde. Un mélange de tristesse et de colère planait dans l’air. Un métalleux avec un maquillage digne de The Crow se tenait la tête entre les mains. Sur la scène, un technicien démontait la batterie et rangeait les amplis.
« Graveland, c’est la plus grande tête d’affiche de toute l’histoire du festival, a ajouté le responsable du son, Xavier Berthiaume, visiblement dépité par la tournure des événements. Le chanteur s’est distancié des propos qu’il a tenus dans le passé. L’extrême droite n’est pas invitée à la Messe des morts, y’a rien de politique ici. On ne fait que diffuser de la musique. Et Graveland est un groupe reconnu et apprécié. »
Martin Marcotte ne pourra pas rembourser les amateurs de metal qui devaient assister au festival. Il a décidé de payer les groupes et de dédommager le Plaza pour le vandalisme commis par les groupes antifascistes, notamment des graffitis faits derrière le théâtre.
Je lui ai demandé s’il s’attendait à créer une controverse en invitant Graveland au Québec. Le passé du groupe ne lui était pas étranger. « Je me doutais qu’il y aurait une manifestation, m’a-t-il répondu. Mais le metal a toujours joué la provoc. Faut pas prendre ça au sérieux ! Ça fait partie du côté mystique. Les fans sont capables de faire la différence. »
C’est aussi ce que pense Méi-Ra Saint-Laurent, une doctorante de l’Université Laval qui étudie le métal noir québécois. Samedi soir, je l’ai retrouvée derrière le théâtre, cachée par peur d’être identifiée par les manifestants. Pour elle, « les paroles de Graveland, peuvent être interprétées de plusieurs manières par les gens à l’extérieur de la communauté black metal. Mais il faut garder à l’esprit que pour les fans, ça reste de la fiction, sans lien avec la politique actuelle. Cela dit, même s’ils veulent se dissocier de leur passé, c’est un groupe qui va demeurer extrêmement ambigu. »
Carl Boivin, guitariste du groupe Monarque était sur la scène de la Messe des morts le vendredi soir. Il comptait aussi assister au concert de Graveland. « La police n’a rien fait pour déloger les manifestants ! Ça fait 15 ans que je vais voir des shows black metal et je n’ai jamais entendu de propos d’extrême droite. Les paroles de Graveland traitent de paganisme et du Seigneur des anneaux. »
Vers 20h30, la police a finalement laissé les groupes sortir du théâtre pour se rendre à l’hôtel où ils logeaient. Dans la rue, le calme était revenu. Les fans de black metal et les antifas sont tous rentrés chez eux.
En six éditions de la Messe des morts, c’est la première fois qu’un concert est annulé. Et Graveland n’est pas le premier groupe controversé à fouler les planches du festival. C’est à se demander si la tension de samedi soir, rue Saint-Hubert, est symptomatique d’une situation politique beaucoup plus large, alors qu’on assiste à une montée des mouvements d’extrême droite en Occident.
Mais, à la fin de la soirée, ce sont les fans de black metal qui en ont payé le prix.
Toutes les photos sont de Hugo Gendron.
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