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La pêche dans les jeux vidéo, une ode absurde à l’ennui

Waarom wordt er zoveel gevist in games?

Qu’elle soit compétitive dans la simulation de vie préférée des jeunes adultes Animal Crossing, complètement hasardeuse dans Hadès ou technique et mouvementée dans Assassin’s Creed, la pêche est devenue un passage obligatoire dans les jeux vidéo. Depuis quelques années, le moindre point d’eau se transforme presque systématiquement en bassin de pêche aux canards, où de mystérieuses bestioles aquatiques apparaissent pour se repaître de nos appâts. Plus qu’une amusante coïncidence, ce mini-jeu s’est très largement imposé dans la grammaire vidéoludique comme un moment de pause dans nos aventures.

Quand certains joueurs y trouvent d’ailleurs un répit salvateur, d’autres envisagent la pratique comme une véritable perte de temps, voire même une activité visant à gonfler artificiellement la durée de vie. Le mini-jeux de pêche étant rarement très utile au développement d’une intrigue ; les bars, merlus et multiples barracuda sont au mieux des objets de faible valeur marchande et au pire de simples créatures écaillées dont le seul intérêt est de compléter notre catalogue de découvertes.

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« C’est vrai que c’est très intriguant, m’explique Mathieu Triclot, philosophe spécialiste des jeux vidéo. Il y a cinq minutes j’étais en train de me battre contre des hordes de monstres et là, je me retrouve à attendre, ligne dans l’eau, qu’un poisson morde à l’hameçon. C’est une situation si triviale et si peu héroïque, que ça en devient presque absurde. » Mais alors, d’où peut bien venir cette étonnante obsession pour la pêche ? Les développeurs de jeux vidéo se retrouveraient-ils secrètement tous les week-end pour aller taquiner le goujon ?

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Animal Crossing. Nintendo.

Un secret caché au fond du jardin

Aussi étrange que cela puisse paraître, la pêche a toujours eu une place confortable au sein de l’industrie du jeu vidéo. En 1977, l’année de lancement de la célèbre console Atari 2600, sort le premier jeu de pêche connu à ce jour, Gone Fishing. Un jeu écrit en Basic, où les joueurs devaient taper des instructions pour espérer attraper différents poissons. Au début des années 1980, c’est au tour d’Activision de sortir l’un de leurs premiers jeux, Fishing Derby.

Bien sûr, comme n’importe quelle discipline ou activité sportive, la pêche a eu son lot de simulateurs plus ou moins réalistes. Les plus emblématiques sont d’ailleurs développés au Japon, comme Bass Masters Classic de Nintendo, sorti en 1999 ou Sega Marine Fishing au début des années 2000. Mais la discipline dépasse rapidement les frontières des jeux vidéo de simulation.

« C’est le moment de la contemplation et de l’ennui qui s’oppose à l’héroïsme et au chaos de l’action » – Mathieu Tricot, philosophe

L’une des apparitions les plus remarquées hors des jeux de simulation date du début des années 1990, dans le célèbre titre de Nintendo, The Legend of Zelda: Link’s Awakening. Caché au milieu de la forêt, un petit point d’eau offre au joueur ayant découvert ce lieu secret, la possibilité de faire un mini-jeu de pêche. Un petit jeu d’adresse au milieu de tant d’autres qui donnait aux joueurs la satisfaction d’avoir dévoilé une nouvelle facette du jeu. « Les Japonais sont des grands fans de mini-jeux comme celui-ci, analyse Victor Moisan, spécialiste des jeux vidéo japonais. Ils sont assez rapides et faciles à développer pour les studios et apportent ce côté ‘Easter Egg’ qui est très apprécié par les joueurs. »

Au cours des années 1990, on retrouve de plus en plus fréquemment le mini-jeu de pêche dans les JRPG (Japanese Role Play Game) comme Breath of Fire 3 ou Shenmue. Mais le titre le plus emblématique de cette obsession grandissante, n’est nul autre que Final Fantasy XV. Dans ce titre publié en 2016 par Square Enix, le héros doit traverser un monde gigantesque pour commencer sa quête. Sur son chemin, des centaines d’activités et quêtes secondaires semblent lui offrir une agréable distraction et l’empêcher de rejoindre sa mission.

« C’est le jeu où j’ai passé le plus d’heures à pêcher, se souvient avec douceur Victor Moisan. Tout le jeu est construit pour qu’on soit accaparé par des distractions et que l’on rechigne à être le héros de notre histoire. Le soir, on plante la tente, on fait des grillades et puis surtout, on pêche. » Comme notre spécialiste, des milliers de joueurs se prennent de passion pour cette chasse aquatique. L’année suivante, Square Enix sortira même une extension appelée Monster of the Deep, exclusivement centrée sur la pêche.

Far Cry 5
Far Cry 5. Ubisoft.

Comme un goût de vacances à la mer depuis son salon

Il faut dire qu’au Japon, la pêche est une activité extrêmement prisée. « Le Japon est un pays de hobbyistes, analyse Victor Moisan. Lorsqu’ils se prennent de passion pour quelque chose, ils le font avec un très grand sérieux. » Selon l’expert, cet amour de la pêche s’intègre depuis quelques dizaines d’années dans une sorte de tendance japonaise contemporaine beaucoup plus large qu’est le camping. « C’est une énorme mode au Japon, en particulier l’été. C’est une sorte d’état d’esprit qu’on va avoir pour les jours de vacances. »

« Il y a une grande ressemblance entre le travail et le monde des jeux vidéo, poursuit le spécialiste. Dans les deux cas, la pêche est une sorte de bouée de sauvetage, un répit avant de reprendre le travail. Quand on se retrouve à pêcher dans un jeu vidéo, c’est une manière d’arrêter le temps et d’oublier le poids de toutes les quêtes qu’on a sur le dos. »

« Dans les mini-jeux de pêche, on retrouve en réalité le même phénomène qu’avec les Loot box » – Marion Haza, psychologue spécialisée dans les jeux vidéo

Le philosophe Mathieu Triclot estime de son côté que ce temps suspendu est l’une des raisons principales qui poussent les joueurs à apprécier ces moments de pêche au bord de l’eau. « C’est le moment de la contemplation et de l’ennui qui s’oppose à l’héroïsme et au chaos de l’action. » Un plaisir simple qui explique à quel point la pratique a dépassé les frontières du Japon. Que ce soit autour d’une fontaine dans World of Warcraft ou sur fond de coucher de soleil dans Spiritfarer… Les titres nord-américains ne sont pas en reste.

En France, l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft semble même totalement conquis par ce mini-jeu. À tel point que la grande majorité de ses titres intègrent la pêche d’une façon ou d’une autre. « Désormais, lorsque vous concevez un jeu en monde ouvert, c’est un peu un passage obligé s’il y a des rivières ou des lacs, estime Emmanuel Carré, attaché presse chez Ubisoft. L’objectif est de rendre les mondes créés plus réalistes. »

Rendre son univers plus réaliste – et surtout toujours plus grand –, Ubisoft sait faire. Quand la pêche ressemble à s’y méprendre à un vrai jeu de simulation dans Far Cry 6, elle se transforme en aventure dantesque, harpon à la main, dans Assassin’s Creed Black Flag. Sur ponton ou sur embarcation, il est saisissant de constater à quel point ce simplissime mini-jeu peut exister selon une infinité de variations, jusqu’à vous faire passer 300 heures canne à pêche à la main.

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The Legend of Zelda: Link’s Awakening (remake). Nintendo.

Attrapez-les tous et débloquez un skin de chaussures

Souvent aléatoire, toujours répétitive, la pratique n’en reste pas moins clivante auprès des joueurs. Entre ceux qui se délectent de cette parenthèse contemplative et ceux qui s’indignent de devoir mettre en pause leur chasse aux monstres, il n’y a rien de consensuel dans notre rapport à la pêche. Car ce qui pousse les joueurs à relancer le bouchon des centaines de fois, ce n’est pas uniquement la beauté du geste.

« Dans les mini-jeux de pêche, on retrouve en réalité le même phénomène qu’avec les Loot box, analyse Marion Haza, psychologue spécialisée dans les jeux vidéo. C’est le même fonctionnement aléatoire qui fait que plus on attend, plus on répète et plus on veut continuer. Au moment où on commence à en avoir marre d’avoir la mauvaise récompense, on tire au sort quelque chose qui va réanimer notre volonté de poursuivre. »

Ce n’est qu’après avoir attrapé des centaines de Bar commun dans Animal Crossing – un animal désormais objet de détestation auprès des joueurs du titre de Nintendo – qu’on pourra enfin se réjouir d’attraper un immense Coelacanth. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant quand on connaît l’amour des Japonais pour les jeux de loterie, aussi appelés des Gacha.

D’une certaine façon, la pêche ressemble à une version plus réaliste et futile de Pokemon. À force de lancer notre ligne à la surface de l’eau et d’attendre des heures entières qu’une perche, une truite ou qu’un quelconque requin daigne nous faire signe… Le jeu nous offre la possibilité de trouver le poisson tant désiré. Un trophée visqueux qui viendra s’ajouter à notre belle collection de prises et nous approcher un peu plus d’une parfaite complétion du jeu.

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