Une mosaïque tunisienne datant de la Rome antique. Photo via Dennis Jarvis
Je sais que tout le monde fait tout ce qui est en son pouvoir pour ne jamais y penser, mais il m’est nécessaire de le rappeler : la mort est inévitable. Mais curieusement, il n’y a jamais eu de consensus scientifique pour connaître la pire manière de mourir. La question a été laissée en suspens – peut-être parce que nous ne voulons tout simplement pas connaître la réponse.
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Ceux qui ont un penchant macabre y ont forcément déjà pensé. Nous envisageons la probabilité de mourir par noyade ou par immolation avec détachement, comme si ces incidents ne pouvaient survenir que dans des circonstances absurdes. Les gens se rassurent en se disant : « Peut-être que c’était plus fréquent à l’époque où les chirurgiens ne se lavaient pas les mains avant une opération. » Les seules fois où vous en discutez, c’est autour d’un verre avec vos amis – vous faites un peu d’humour noir, avant de revenir à des sujets plus vivants ; vous par exemple.
Mais ces agonies qui hantent vos cauchemars obéissent à des caractéristiques communes. Et même si la science est très loin de pouvoir y répondre, nous pouvons mettre en perspective différentes hypothèses scientifiques et lire entre les lignes pour pouvoir répondre à la question : « Quelle est la pire façon de mourir ? ».
Avant de s’occuper des choses sérieuses, il est important de définir ce qu’on appelle une « façon » de mourir. Pour être légalement mort, il faut qu’un médecin le constate et rédige un certificat de décès. Selon Kevin Henderson, un coroner qui travaille pour le Comté d’Ontario, dans l’État de New-York, il faut que le certificat comporte trois éléments : la cause, le mécanisme et la manière de votre mort. Bien que le sujet soit particulièrement glauque, je vais me concentrer essentiellement sur la cause.
« La cause de la mort est définie par la maladie ou la blessure qui a produit une perturbation physique conduisant au décès », explique Kevin Henderson.
Eugène Delacroix, 1798-1863, La mort d’Ophélie 1838, Munich Neue Pinakothek. Image : Jean-Louis Mazières
Quand nous pensons à ce qui causera notre mort, c’est le plus souvent l’idée de la douleur potentiellement ressentie qui nous effraie. On définit la douleur « comme une sensation physique désagréable », mais elle reste subjective – et en fonction du contexte, elle peut être plus ou moins violente.
« Le contexte est très important pour mesurer la souffrance » selon Randy Curtis, le directeur du Palliative Care Center of Excellence de l’Université de Washington, à Seattle. « L’accouchement est un bon exemple. C’est connu pour être un moment extrêmement douloureux, mais vous savez que ce n’est qu’une sensation provisoire, vous savez pour quelle raison vous l’éprouvez. Les femmes peuvent tolérer des niveaux de douleur très élevés dans ce cas particulier – tout l’inverse de la peine causée par un cancer, qui abrégera votre vie et qui en sera donc d’autant plus insupportable. »
Si la douleur est très subjective, il est possible de la catégoriser objectivement pour aider les médecins à déterminer le traitement le plus adapté. Il faut d’abord savoir s’il s’agit d’une douleur aiguë (à court terme) ou une douleur chronique (à long terme). Les deux peuvent être atroces, selon Randy Curtis. La source de votre souffrance est aussi à prendre en compte. Les douleurs nociceptives ou somatiques sont dues à des stimuli extérieurs (des blessures) qui agissent sur les nerfs. Les douleurs neuropathiques n’ont pas d’origines identifiées et sont le plus souvent liées à l’alcoolisme, au syndrome du membre fantôme ou à des scléroses multiples.
Peu de personnes ont maîtrisé la souffrance comme les inquisiteurs du début de l’ère moderne qui ont fait de la torture « médiévale » un véritable artisanat. Selon Larissa Tracy, professeur de littérature médiévale à la Longwood Université de Farmville, en Virginie, ces supplices hallucinants se sont répandus allègrement à partir de 1520, après la Réforme protestante.
On ne torturait pas tous les condamnés, relativise Larissa Tracy, seulement les pires criminels : les traîtres et les meurtriers. Mais pour tous ceux qu’on a soumis à la « question », leurs châtiment étaient extrêmement pénibles ; au point d’espérer de mourir le plus vite possible .
Considérons par exemple la pendaison, qui est une des formes les plus communes de condamnation à mort à l’époque. « Ce n’était pas très sophistiqué comme manière de faire – ils tiraient sur la corde pour hisser les criminels afin de les étrangler, ce qui pouvait prendre entre six et dix minutes » décrit Larissa Tracy.
L’Angleterre de la Renaissance réservait aux traîtres et aux hérétiques les plus dangereux un supplice épouvantable: la pendaison et l’écartèlement. Pendant le règne d’Edouard II, on les pendait juste assez pour qu’ils ne meurent pas. Puis on les détachait, et le fun commençait : on les castrait, puis on les vidait de leurs entrailles via leur anus à l’aide d’un tisonnier chauffé à blanc. Enfin, on les décapitait avant de les découper en petit morceaux (certaines chroniques rapportent qu’on utilisait des chevaux pour l’écartèlement, mais selon Tracy, il existe peu de preuves quant à l’efficacité de cette méthode).
En France, l’écartèlement était une des sentences les plus épouvantables, réservées aux régicides. François Ravaillac, assassin de Henry IV, a été exécuté en place de Grève en 1610. Le bourreau avait d’abord brûlé au souffre la main droite de Ravaillac, celle qui porta le coup fatal. Puis, il a tenaillé chaque articulation et muscles pour faciliter l’écartèlement. Ses entrailles avaient également été aspergées d’un mélange de plomb fondu, d’huile bouillante, de poix, de résine, de cire et de souffre. Puis, l’écartèlement se fit à l’aide de quatre chevaux. Il a fallu plus d’une journée pour l’achever.
Être roué vif constituait sûrement une des mises à mort les plus raffinées. Le supplice de la roue était réservé aux pires criminels en Europe et aux esclaves mutins aux États-Unis. On liait le condamné sur une large roue de bois, puis on lui brisait tous les os du corps. On le laissait ensuite agonisant. Certains textes rapportent que certains mourraient au bout de trois jours.
La décapitation était réservée aux nobles car elle procure une mort rapide et beaucoup moins douloureuse.
Mais Larissa Tracy pense que le système judiciaire américain a recours à la peine capitale bien plus souvent que leurs glorieux prédécesseurs. Les méthodes « humaines » utilisées pour exécuter les condamné sont en réalité loin d’être clémentes. Des études récentes ont démontré que le cocktail chimique utilisé pour les injections létales n’aurait pas les effets anesthésiques qu’on lui prêtait. Et l’injection ne devait être qu’une amélioration de la chaise électrique.
« Ils balancent des milliers de volts, le cerveau se met à bouillir et la peau se carbonise, raconte Tracy. Et ils sont conscients pendant toute l’exécution ».
Bien que ces façons de mourir soit extrêmement douloureuses, elles ne durent, en général, que quelques minutes. Les Américains meurent aujourd’hui surtout de maladies qu’ils vont traîner pendant des années. Les principales causes de mortalité aux États-Unis restent les maladies cardiaques et les cancers, qui représentaient 63 % des décès en 2011. Les personnes qui souffrent de ces maladies ou d’autres vivent certes plus longtemps que leurs ancêtres, mais ce gain d’années vécues prolongent leur calvaire et la détresse qui l’accompagne.
« On croit toujours pouvoir être conscient que l’on vit ses derniers instants, mais la plupart d’entre nous mourront petit à petit, l’air de rien » explique Joanne Lynn, médecin spécialiste des soins palliatifs. « Nous continuons de prétendre que l’on meurt d’une crise cardiaque en une nuit, mais c’est loin d’être la réalité. »
Et plus le jour fatidique se rapproche, plus nous devons vivre dans l’angoisse perpétuelle de la mort. « Se sentir décliner est particulièrement pénible, car on redoute l’idée de décrépir un peu plus tous les jours. » Selon Lynn, on a peur de perdre le contrôle, de se sentir affaibli, de ne plus pouvoir manger. Et puis, bien sûr, on appréhende l’ultime fatalité, celle de ne plus exister. D’être mort.
Ce n’est vraiment pas inhabituel d’être confronté à toutes ces inquiétudes. Pour ceux qui atteignent 85 ou 90 ans, l’idée de la mort les ébranle moins, parce que beaucoup de leurs amis sont déjà décédés ; alors certes, « c’est sinistre, mais prévisible », ajoute Lynn.
Mauvaise nouvelle, donc : vous êtes vivant aujourd’hui, votre mort s’éternisera et vous aurez peur en permanence. La bonne nouvelle, c’est qu’on maîtrise bien mieux la gestion de la douleur qu’au Moyen-Âge. Selon ce qui vous fait souffir, les médecins peuvent vous prescrire n’importe quel médicament allant des AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) jusqu’à des opiacés comme la morphine. Une fois encore, le ressenti du patient joue un rôle essentiel.
« La première étape avant de définir un protocole pour traiter le patient est de comprendre ce qui cause la souffrance pour voir si on on peut s’en débarrasser », préconise Randy Curtis. Par exemple, les métastases cancérigènes qui ont atteint les os peuvent être particulièrement douloureuses.
« Certains cancers réagissent très bien aux radiations, dans ce cas, la douleur est bien plus acceptable » selon Randy Curtis. « Mais d’autres n’y sont pas sensibles. Si les médecins poussent la chimio à un certain point, cela peut avoir de sérieuses conséquences très douloureuses, comme des lésions ou des brûlures. »
C’est probablement sur ce type de lit que vous mourrez. Photo : Dan Cox
La douleur, note Randy Curtis, est un des nombreux symptômes qui peut bouleverser un patient à l’approche de sa dernière heure. « Les nausées, vomir, la fatigue, la dépression, l’anxiété et les difficultés respiratoires peuvent vraiment être débilitantes et insoutenables », explique-t-il. Tout ceci appelle la mère de toutes nos angoisses : ne pas comprendre pourquoi nous souffrons, et pourquoi nous sommes affreusement seuls à l’approche de la mort.
Les médecins, confronté tous les jours à ces traumatismes, sont bien plus en mesure d’en exprimer la substantifique moelle. « Ce qui me ferait peur, c’est de ressentir une douleur sévère et de ne pas avoir accès à des médecins qui la prendraient aux sérieux et appliqueraient un traitement adéquat », nous confie Randy Curtis.
Larissa Lynn redoute elle aussi des soins inappropriés. « Je veux un système à qui je peux faire confiance. Que toutes les personnes concernées sachent comment répondre à mes doutes. Qu’elles soient honnêtes quant à mes perspectives », précise-t-elle.
En discutant de la pire façon de mourir avec ces experts de la fin de vie, il semblerait que la plupart d’entre nous y soient confrontés : mourir dans une chambre d’hôpital après un long combat contre la maladie. Et vous pourrez tout autant ne pas bénéficier de l’aide de médecins compétents pour calmer la douleur et de proches pour respecter vos dernières volontés.
Mais le fond du problème n’est pas si existentiel. Que l’on soit éviscéré par un tisonnier chauffé à blanc ou par un cancer, votre santé mentale influencera la perception que l’on peut avoir du « pire ». Les chercheurs vont sûrement développer des nouveaux moyens de traiter et de comprendre la souffrance, et peut-être même la mort elle-même. Mais ces notions psychologiques sont multiples – et soumises à la volonté des patients.