Les vents balayaient la Cité Interdite de Pékin quand Jiajing, 11ème empereur de la dynastie Ming, leva une fiole de porcelaine ornée de symboles représentant la jeunesse éternelle. C’était sa dernière tentative en vue d’accéder à l’immortalité. Il avait été dupé par des conseillers malintentionnés, qui lui avaient fait croire que le poison mortel (du mercure) qu’il s’apprêtait à boire était un élixir de vie éternelle.
Jiajing ne fut ni le premier, ni le dernier à rêver ainsi de jeunesse éternelle. Cette idée hante l’humanité – et ses mythes et légendes – depuis la nuit des temps. Mais jusqu’ici, ce n’étaient que des contes, des légendes, des rêves ; de l’ordre du surnaturel, mais jamais de la science. Jusqu’ici.
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Aubrey de Grey est gérontologue à l’université de Cambridge, mais aussi co-fondateur de la fondation Strategies for Engineered Negligible Senescence (“Stratégies pour parvenir à une sénescence négligeable”, ou SENS), basée en Californie. La gérontologie est l’étude du vieillissement, et Aubrey de Grey fait actuellement des vagues au sein de sa discipline.
De Grey est la figure de proue d’une petite cohorte de chercheurs convaincus que nous sommes à l’aube d’une révolution biologique, laquelle verra naître des thérapies permettant à nombre d’entre nous de réaliser le rêve de Jiajing. Autrement dit, il pense que la première personne qui vivra mille ans est déjà née.
L’immortalité est-elle vraiment à portée de mains ?
“La première chose que je voudrais, c’est que nous arrêtions d’utiliser ce mot, ‘immortalité’. Il n’est pas seulement faux, il est néfaste, m’a dit De Grey. L’immortalité signifie qu’il n’y a aucune chance de mourir, quelle que soit la cause – alors que moi, je cherche à éliminer une cause de décès spécifique, à savoir le vieillissement. Et ce terme est symboliquement fort, il fait croire aux gens que cette quête pose des problèmes moraux et qu’elle est fantaisiste sur le plan technologique.”
Alors que lui se veut optimiste. “Si nous posons la question : ‘La personne qui échappera aux dégâts irréversibles du grand âge est-elle déjà née ?’, alors les chances que la réponse soit positive sont très élevées selon moi, dit-il. Probablement de l’ordre de 80%.”
“À terme, nous serons capables de devancer le problème et de rajeunir les individus aussi longtemps que nous le voudrons. C’est ça, notre objectif.”
Entendons-nous bien : il ne possède pas de potion magique dans son labo, prête à être mise en bouteille et vendue au plus offrant. Il n’existe pas de version 2016 de l’élixir de Jiajing. L’objectif de SENS n’est pas de stopper le processus de vieillissement, mais d’empêcher celui-ci de faire des dégâts sur le corps humain. Ils travaillent par exemple actuellement sur le développement d’une thérapie qui stimule le système immunitaire de manière à ce que celui-ci identifie et élimine les cellules qui ne se reproduisent plus, et les remplace par des cellules saines qui régénèrent les tissus. Ces thérapies vont progresser au fil du temps, et rallonger la durée de vie des individus de manière exponentielle.
“Les thérapies sur lesquelles nous travaillons actuellement ne seront pas parfaites, dit-il. Mais elles seront assez efficaces pour prendre des gens d’âge moyen, disons 60 ans, et les rajeunir suffisamment pour qu’ils n’aient pas 60 ans (sur le plan biologique) avant d’en avoir 90 (sur le plan chronologique). Cela veut dire que nous disposerons de 30 années supplémentaires pour trouver un moyen de les rajeunir encore, quand ils auront 90 ans, de manière à ce qu’ils n’aient pas biologiquement 60 ans pour la troisième fois avant d’en avoir 120 ou 150. Et je crois que 30 ans, ce sera largement suffisant pour y parvenir.”
Jusqu’ici, les gérontologues ont généralement cherché des moyens d’empêcher le métabolisme de causer des dégâts sur le corps, mais De Grey ne pense pas que ce soit la bonne méthode. “Une autre solution consisterait à laisser ces dégâts apparaître, mais à les réparer ensuite régulièrement de manière à ce qu’ils ne soient jamais assez importants pour engendrer des pathologies, explique-t-il. À terme, nous serons capables de devancer le problème et de rajeunir les mêmes individus aussi longtemps que nous le voudrons. C’est ça, notre objectif.”
Le modèle de gérontologie de SENS est fondé sur un principe : toutes les réactions métaboliques peuvent être classées en sept catégories. Parmi celles-ci, on trouve l’accumulation de “cochonneries” à l’intérieur des cellules (des protéines malformées) ; l’accumulation de “cochonneries” à l’extérieur des cellules ; des réticulations extracellulaires (des liens chimiques non désirés qui unissent des protéines) ; la mort des cellules ; des cellules immortelles ; des cellules cancéreuses ; et enfin, des mutations de l’ADN mitochondrial.
Aubrey de Grey affirme que ces “sept dangers mortels” représentent l’ensemble des effets pathologiques du vieillissement. Mais là où il surprend davantage, c’est quand il assure que nous avons déjà les connaissances nécessaires pour contrôler et réparer ces différents types de problèmes, et que ce n’est qu’une question de temps avant que nous puissions mettre en oeuvre ces thérapies auprès d’organismes vivants.
“Nous devons encore avancer pas à pas dans chacune des sept catégories, mais la principale avancée, en termes de publicité, viendra quand nous serons capables de faire rajeunir des souris en laboratoire, dit-il. Une fois que nous saurons faire ça avec des souris, les gens prendront conscience que ce n’est qu’une question de temps avant de pouvoir le faire avec des êtres humains. C’est vers cela que nous voulons tendre, et nous avons de bonnes chances d’y parvenir dans les six à huit prochaines années.”
Sans surprise, de Grey m’affirme que sa stratégie pour enrayer le vieillissement sera certainement au point avant les autres. Toutefois, si c’est vraiment à l’immortalité que vous aspirez, vous feriez sans doute mieux de télécharger votre conscience. Cela peut paraître farfelu, mais Stephen Hawking pense que cela sera possible un jour. Dans un discours prononcé au Cambridge Film Festival en 2013, le physicien avait expliqué : “le cerveau est comme un programme, donc en théorie il est possible de copier le cerveau sur un ordinateur et d’accéder à une forme de vie après la mort.” Une fois que l’esprit d’une personne a été téléchargée sur un ordinateur, il est possible qu’elle puisse y exister tant que la technologie existera. On peut alors débattre du sens réel du mot “vivre”. Et il nous faudra sans doute encore du temps avant d’être capables d’une telle prouesse, mais si les travaux d’Aubrey de Grey parviennent à retarder les effets du vieillissement, nous pourrons peut-être vivre assez longtemps pour connaître enfin l’immortalité numérique.
Que la première personne immortelle soit déjà née ou non, personne ne peut le dire aujourd’hui ; mais il est difficile de ne pas s’enthousiasmer en entendant les prédictions optimistes d’Aubrey de Grey. Jiajing aurait eu 509 ans cette année, si son élixir avait fonctionné. Peut-être qu’un jour, dans un demi-millénaire, nous repenserons à l’année 2016 en tentant de nous en souvenir.