Société

La promiscuité des croyances sud-africaines en photo

Zuid-Afrika religie tradities

L’Afrique est une terre riche en jeunesse, en cultures et en croyances en tous genres. Mais dans la littérature, les médias et sur le plan économique, le plus ancien continent du monde est souvent relégué à un rang tiers-mondiste du fait de la considération qu’on lui porte, et surtout à cause des continuels pillages qu’il subit depuis l’ère coloniale. Et cet acharnement est loin de s’estomper.

Dès l’arrivée de l’homme blanc, le continent africain a dû se plier à de nombreuses exactions, et les croyances millénaires qui cohabitaient en son sein ont dû faire de la place, par la force, à des déplacements de populations, à l’imposition de langues nouvelles ou encore aux diverses campagnes et missions évangélisatrices. Depuis, l’histoire du continent est rythmée par les nombreuses querelles, conflits et guerres qui déchirent les peuples entre eux, créent des déséquilibres à l’échelle locale et forcent les Africain·es à rentrer dans le moule d’une mondialisation des religions dont iels se seraient sans doute passé.

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Ce phénomène de cohabitation imposée est visuellement décrit à travers le travail de Giya Makondo-Wills, dans son œuvre photographique intitulée They Came From The Water While The World Watched. Avec son récit, la photographe mi-britannique mi-sud africaine, revient sur la terre de ses ancêtres, là où une partie de sa famille habite toujours, dans la région de Limpopo, au nord du pays. « Pour moi, la photographie est un moyen d’expression très diversifié et complexe qui a enrichi ma vie de bien des façons, explique Giya. Et je pense qu’elle peut être un grand égalisateur, à la fois accessible et complexe. Elle peut créer des conversations et remettre en question les récits dominants d’une manière vraiment spéciale. »

Limpopo est un parfait exemple de terreau aux cultures qui s’entrechoquent, une province de plus de 5 millions d’habitant·es parlant, en plus de l’anglais, le sepedi, le tsonga, le venda, l’afrikaans, le tswana, le ndébélé du nord et du sud, le sesotho ou encore le zoulou. 

Native de Brighton, Giya est basée depuis 2020 aux Pays-Bas où elle se spécialise essentiellement dans les arts visuels, principalement la photographie documentaire. Elle est aussi conférencière en photographie à l’Académie royale des arts de La Haye (KABK) et co-animatrice de l’émission FOTODOK  book talks

VICE s’est entretenu avec Giya Makondo-Wills, qui dépeint la coexistence locale entre religion chrétienne et croyances ancestrales, entre syncrétisme photogénique et immersion en Afrique australe.

VICE : Pourquoi t’as décidé d’explorer ces croyances ancestrales sud-africaines pour ton projet ?
Giya Makondo-Wills :
L’idée a germé quand j’étais en Afrique du Sud avec ma grand-mère et qu’elle priait avant de quitter sa maison. Quand elle prie, elle ne prie pas que pour Dieu mais pour tous les Dieux, qu’elle appelle « les ancêtres ». Cette combinaison de croyances m’a fait réfléchir à la manière dont le christianisme et les pratiques ancestrales cohabitent en Afrique du Sud, ainsi qu’aux origines de cette promiscuité religieuse. Je me suis donc lancée dans ce projet pour étudier non seulement l’histoire de ces religions par rapport à la colonisation et à l’activité des missionnaires du XIXe siècle, mais aussi leur existence au XXIe siècle et la résilience des pratiques indigènes. Mon investissement personnel dans ce travail tient au fait que ma famille est sud-africaine et britannique. J’ai cette dualité d’histoires dans mes propres origines, j’ai été élevée avec une compréhension des deux pans au niveau des croyances. J’ai commencé à réaliser ces clichés entre 2016 et 2019.

La photo, c’est quoi, au-delà d’être un outil pour immortaliser ces pratiques ?
Je dirais que ma passion pour la photo ainsi que ma motivation viennent d’une préoccupation pour les questions urgentes de notre époque et la manière dont elles se rapportent à l’histoire des communautés marginalisées. Au cœur de ma pratique se trouve l’envie de remettre en question la culture visuelle et le regard occidental, en reconnaissant l’histoire de la photo et son rôle dans l’écriture de nouveaux récits autour de thèmes tels que l’identité, l’origine, la colonisation, le regard occidental et les systèmes de pouvoir. Avec la pensée décoloniale au premier plan de mon travail, je me concentre sur la collaboration à travers la création d’images et sur l’importance de préserver les histoires des personnes qui sont souvent oubliées.

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C’était facile pour toi de te replonger dans tout ça ?

Pour être franche, la seule difficulté que j’ai rencontrée pour réaliser ce projet c’était le temps. Parfois, on peut pas faire tout ce qu’on veut en un seul voyage, alors il faut le prolonger ou le reporter à un autre moment. Mais ici, je travaillais principalement avec ma famille et je logeais chez des parents ou des ami·es, donc dans ce sens, tout s’est bien passé. J’ai justeraté une fois mon vol pour Londres depuis Johannesburg.

Tu peux nous en dire un peu plus sur les traditions et les cultures qu’il ne faut pas oublier là-bas ?
Toutes les traditions dépendent de l’endroit où tu te trouves dans le pays et de la tribu à laquelle t’appartiens. Mais je peux dire que de nombreuses pratiques indigènes nous permettent de rester en contact avec nos ancêtres, notre lignée, mais aussi notre lien avec la terre. Je pense qu’on oublie bien trop souvent à quel point les pratiques indigènes sont essentielles. Elles nous aident à nous recentrer, nous trouver une place, comme étant une petite partie d’un système plus large où on vit en complémentarité et non dans l’adversité avec les autres éléments. Ces pratiques indigènes ne sont pas non plus euro-centriques ni basées sur aucun cadre occidental capitaliste, c’est donc une manière totalement différente de voir le monde.

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C’est qui cet homme que t’as pris en photo, vêtu de fourrure et dont les peaux sont suspendues au plafond ?

Un sangoma, un guérisseur traditionnel, qui vit dans le village où mon père a grandi, dans le Limpopo. Je retourne souvent dans ce village pour y séjourner avec ma famille et c’est là que j’ai réalisé une grande partie de ce travail. Ce sangoma était le médecin de mon père quand il était enfant. À cause de l’apartheid en Afrique du Sud, beaucoup de sangomas étaient la source la plus accessible de connaissances médicales pour de nombreuses personnes dans les zones rurales. 

Je l’ai rencontré grâce à mon oncle et puis on a travaillé ensemble à la réalisation de cette image. C’est l’un des guérisseurs traditionnels les plus en vogue d’Afrique du Sud, il dirige aussi toute une école pour sangomas. J’ai shooté cette image dans sa maison, où il organise la plupart de ses cérémonies. Pendant le processus de création de cette photo, il a choisi ce qu’il voulait porter, comment il voulait poser, etc. Pour moi, c’est là que le travail numérique est vraiment important, parce que je peux lui montrer le résultat tout de suite et on peut l’ajuster ensemble jusqu’à arriver à une image qu’on aime tou·tes les deux. 

Et le type qui tient ce serpent géant ?
Cette image, c’est un bon exemple du résultat de ma technique de recherche… Parfois, je m’enfonce dans un trou de lapin et je me focalise sur un type particulier d’image, et souvent, ça donne exactement ce que je veux ! Le serpent est une référence à de multiples facettes, non seulement au serpent du jardin d’Eden et au serpent sur la croix dans la Bible, mais aussi à la danse du python, Domba, pratiquée par ma tribu Venda et à la graisse de python utilisée par certains sangomas. J’ai rencontré cet homme en allant dans un sanctuaire de serpents à Johannesburg, j’ai eu de la chance, j’étais la seule personne présente ce jour-là… On a donc passé un bon moment à photographier ces serpents jusqu’à ce qu’on tombe sur le python et, encore une fois, on a bien collaboré ensemble pour arriver à cette image.

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Quel type d’appareil photo t’utilises généralement pour ce type de projet ?
Je pense que ça va changer à l’avenir, mais pour l’instant, je travaille principalement avec trois appareils photos. Un reflex numérique Canon 35mm qui appartenait à ma mère ou à mon grand-père, je sais plus ! Je l’utilise principalement pour ma vie personnelle et non pour des commandes ou des missions. Sinon j’ai aussi un Canon Mark III/IV numérique plein cadre avec des objectifs fixes. Pour tout ce qui est shoot rapide et pratique, j’ai toujours quelque chose de facile à emporter : j’utilise un Fuji x100f – c’est une édition plus récente. C’est pratique et ça n’abîme pas mes épaules. J’adorais aussi mon Olympus 35mm, mais il est foutu, je dois le remplacer. Pour être honnête, je suis pas une grande adepte des kits.

T’as toujours su que la photo était le meilleur médium pour ce que tu voulais montrer ?
J’ai la chance de venir d’une famille d’artistes, je suis presque sûre que c’est comme ça que j’ai atterri dans cette pratique créative ! J’avais l’habitude de m’asseoir dans la voiture avec mes parents, surtout à Noël, et ils m’emmenaient photographier toutes les « maisons de Noël » décorées de manière extravagante autour de Brighton. J’ai commencé à prendre la photo réellement au sérieux que vers mes 17 ans. J’ai ensuite suivi une année d’initiation à la photographie au Brighton Metropolitan College, puis je suis allée à l’université du sud du pays de Galles pour obtenir une licence et une maîtrise en photographie documentaire. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance d’avoir été exposée aux arts visuels dès mon plus jeune âge. C’est donc logique d’avoir fini par faire ce dont j’ai toujours été entourée.

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Comment le livre a été reçu ? Tu l’as envoyé aux personnes qui y figurent ?
J’ai réalisé ce livre pendant la pandémie et je suis pas retournée en Afrique du Sud depuis sa publication en 2020. Je vais l’amener avec moi l’année prochaine. Pendant que je finissais la réalisation du projet, j’ai ramené quelques petites impressions pour les gens – que j’ai pu retrouver – mais j’ai hâte d’y retourner avec le projet terminé. Et de voir ma famille. L’accueil a toujours été positif, ce qui est franchement très agréable, surtout quand c’est un travail sur le long terme. Je pense que c’est de là que vient mon amour pour la collaboration – je veux que tous les gens soient contents de la façon dont ils sont représentés… Je sais pas si ça fait de moi une personne qui plaît aux gens ou une mauvaise photographe de documentaires. J’aime pas être agressive ni trop crue dans la façon dont je dépeins les personnes, si je voulais faire ça, je ferais sûrement un autre métier.

Quels sont les enjeux sociaux actuels dans cette partie du monde ? On est en train d’oublier de plus en plus les traditions, comme partout ailleurs ?
Je pense que les pratiques traditionnelles seront toujours maintenues en vie d’une manière ou d’une autre parce qu’elles existent depuis des centaines d’années. Selon moi, la jeune génération doit devenir la gardienne de ces pratiques pour s’assurer qu’elles ne s’éteignent pas. J’espère que les gens du monde entier se pencheront sur les pratiques indigènes de leur pays, parce que je pense qu’elles peuvent nous en apprendre beaucoup sur les êtres humains et sur les raisons pour lesquelles nous sommes tels que nous sommes.

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