Drogue

La secte de « Wild Wild Country » a-t-elle introduit la MDMA à Ibiza ?

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« Je ne pourrais croire qu’à un Dieu qui saurait danser », faisait dire Friedrich Nietzsche à son prophète dans Ainsi parlait Zarathoustra en 1883. Un siècle plus tard, cette citation du célèbre philosophe a trouvé un écho chez Bhagwan Shree Rajneesh, dit Osho, sulfureux chef de secte et sujet de la série documentaire Netflix Wild Wild Country en 2018.

Quel rapport me demanderez-vous. Et bien, depuis longtemps, une rumeur flotte en marge de la culture de la drogue : ce sont les disciples d’Osho, les sannyasins, qui auraient en fait introduit la MDMA à Ibiza au milieu des années 80. À partir de là, la drogue aurait fusionné avec les nouvelles sonorités baléares, jouées notamment par DJ Alfredo dans la célèbre discothèque Amnesia, pour semer les graines de nombreuses tendances contemporaines, du clubbing aux festivals en passant par la défonce elle-même.

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Cette histoire est-elle vraie ? Les sannyasins ont-ils réellement aidé le monde à danser et à se camer ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir.

Mais d’abord, un peu d’histoire : dans les années 30 et 40, Ibiza est devenue le point de ralliement des artistes, musiciens et beatniks qui tentaient d’échapper aux lubies du fascisme européen. Se sont joints à eux les californiens protestataires de la guerre du Vietnam et l’île est devenue une étape incontournable de la hippie trail. À partir du milieu des années 70 et jusque dans les années 80, partisans de l’amour libre et enfants rebelles ont nourri une scène embryonnaire, avec des lieux légendaires au service d’une foule en quête de plaisir.

La MDMA, quant à elle, était passée de la chasse gardée des psys californiens progressistes des années 70 à la scène nocturne gay de New York, Chicago, et tout particulièrement de Dallas, où elle était vendue légalement au bar du club Starck. Elle a finalement été interdite par la DEA en 1985, mais pas avant que le principal producteur d’ecstasy en Amérique, le Texas Group, n’ait fabriqué deux millions de pilules en quelques semaines.

Ces professionnels de la santé avant-gardistes étaient bien connus de la communauté aisée de Rajneeshpuram. Même si le mouvement était officiellement antidrogue, certains de ses membres auraient commencé à consommer de la MDMA dans le cadre de leurs séances de thérapie. Rajneesh lui-même était réputé être un aficionado du protoxyde d’azote, et des personnalités comme son adjointe Sheela et son garde du corps Hugh Milne ont affirmé qu’il avait drogué des sannyasins fortunés lors d’entretiens de collecte de fonds.

Bhagwan Shree Rajneesh
Bhagwan Shree Rajneesh. Photo: Netflix

L’année 1985 a été marquée par la fermeture de l’ashram Rajneeshpuram, le quartier général de la secte dans l’Oregon, sur fond d’accusations de luttes intestines entre hauts gradés et de conspirations non spirituelles visant à commettre des meurtres et des actes de bioterrorisme. À l’époque, il existait des centaines de centres similaires à travers le monde, d’Ibiza à Portland, de Bondi à Berlin. Nombre d’entre eux disposaient de boîtes de nuit et de discothèques. Ces lieux étaient gérés par des sannyasins et les bénéfices servaient à financer leurs centres.

Dans son livre Altered State, qui retrace l’histoire de l’acid house et de l’ecstasy, Matthew Collin écrit que « le mouvement Bhagwan avait l’esprit d’entreprise et était tourné vers l’extérieur. Par conséquent, ses membres ne se sont pas contentés de populariser l’ecstasy, mais ont mis en place des systèmes de distribution qui aboutiraient à sa diffusion au-delà des États-Unis. »

Et Ibiza dans tout ça ?

Dans Shadows Across The Moon, ouvrage fondateur sur la culture freak d’Ibiza, Helen Donlon affirme que « c’est grâce à ces itinérants [les sannyasins] que la consommation de MDMA dans les premiers clubs d’Ibiza est devenue un phénomène ». Mais chercher une source actuelle pour étayer cette affirmation, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Tony D’Andrea est un sympathique anthropologue universitaire qui a étudié les sannyasins à Ibiza avant de les suivre à Pune, en Inde, où il en est lui-même devenu un. Il a beaucoup écrit sur leur influence sur la vie nocturne mondiale et estime qu’ils ont été « un pont crucial entre la contre-culture d’Ibiza des années 60 et la sous-culture de la danse électronique des années 90 ».

Ravers at Cream at Amnesia, Ibiza
Des ravers sur la piste de danse de l’Amnesia, Ibiza, 1999. Photo : Everynight images/Alamy stock photo

« Les sannyasins ont introduit la MDMA à Ibiza mais ils n’étaient pas les seuls : la communauté gay, la scène hippie New Age et les jet-setteurs consommaient également de la MDMA à Ibiza à la même époque, explique-t-il. La drogue n’était qu’un élément accessoire de leur style de vie expérimental, et non une activité économique… Le plus souvent, les membres de la scène partageaient leurs drogues gratuitement, et particulièrement à Ibiza. »

Maria est une Anglaise qui vit sur l’île blanche depuis les années 80. Selon elle, Ibiza était un « paradis sur terre » avant de devenir une destination de clubbing privilégiée. Elle avait des contacts réguliers avec los butanos – le surnom donné aux sannyasins par les habitants espagnols en raison de leurs robes orange qui les faisaient ressembler à des bouteilles de gaz butane.

Je lui demande s’ils ont apporté de la MDMA sur l’île. « Oui, je dirais que oui, mais je n’ai aucune preuve, dit-elle. Elle est apparue à ce moment-là et ils savaient comment la prendre. Les sannyasins se droguaient, ça, c’est sûr. » Maria précise toutefois que ceux qui prenaient de la MDMA étaient l’exception plutôt que la règle.

Terrence, un autre résident de longue date d’Ibiza, s’en fait l’écho. (Maria et Terence ont tous deux parlé sous couvert d’anonymat afin de pouvoir discuter librement des drogues récréatives). « Certains sannyasins prenaient des substances qui altéraient la conscience. Mais c’était il y a très longtemps et la plupart d’entre eux sont morts maintenant », suggère Terrence.

Stephen Armstrong, auteur du livre d’histoire The White Island, me raconte que certains « sannyasins d’Ibiza se sont mis à dealer par nécessité financière lorsque le siège de l’Oregon s’est effondré et que le mouvement mondial s’est écroulé. Ils n’avaient que leurs vêtements et une armoire pleine de MDMA ».

Armstrong avance qu’ils ont commencé à en vendre aux vacanciers, qui à leur tour ont commencé à en vendre lors des sets de DJ Alfredo à l’Amnesia. La drogue semble avoir connu un boom en 1987 lorsque quatre DJ britanniques, les « Famous Four », ont débarqué sur l’île : Paul Oakenfold, Nicky Holloway, Johnny Walker et Danny Rampling. Les soirées hebdomadaires de Rampling à Ibiza, Shoom, ont démarré le 5 décembre de la même année et ont posé les bases de l’acid house.

Nous pouvons donc affirmer sans crainte que les sannyasins ont joué un rôle de premier plan dans l’apparition de la MDMA à Ibiza et qu’ils sont donc indirectement responsables de David Guetta, du Glastonbury moderne et des prodigieuses habitudes de consommation de drogue des jeunes occidentaux. Mais dans My Life In Orange de Tim Guest, l’auteur aujourd’hui décédé écrit que les sannyasins américains sont les premiers à avoir fabriqué la drogue. Une autre source sannyasin m’a dit la même chose. Cela pourrait-il être vrai ?

Philippus Zandstra est le co-auteur de XTC : Een Biografie. Il affirme qu’un sannyasin a été le premier à vendre de la MDMA à Amsterdam à grande échelle en 1986, et que l’ecstasy provenait d’une installation située sur la côte ouest des États-Unis. « D’après ce que je sais, c’était géré par des sannyasins, mais je ne peux pas le confirmer », dit-il, en s’excusant.

Il convient de préciser ici que les sannyasins sont généralement insaisissables : à ce jour, j’ai poursuivi un nombre effarant de semi-pistes et de rumeurs nébuleuses dans cette chasse de plus en plus frénétique. Comme le dit Zandstra : « C’est comme chasser les fantômes. » Et après notre conversation, je me rends compte qu’il est temps d’abandonner ce fantôme particulier.

Cette histoire comporte un autre élément hippie notable : celui de la Convergence Harmonique, un alignement des planètes qui ne se produit qu’une fois tous les 10 000 ans, selon le calendrier maya. Organisé de manière évangélique par un historien de l’art du nom de José Argüelles, l’évènement a rassemblé des milliers de chercheurs de troisième œil du monde entier dans une tentative unifiée d’élever la conscience mondiale par la méditation et la danse. C’était en 1987, soit l’année où Oakenfold, Holloway, Walker et Rampling ont visité Ibiza pour la première fois et ont introduit la rave au Royaume-Uni. Peut-être que Dieu sait danser, après tout.

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