Une équipe de scientifiques dirigée par le minéralogiste Luca Bindi a découvert un quasi-cristal, une forme bizarre de matière qui défie les lois classiques de la cristallographie, dans les vestiges du tout premier essai de bombe atomique, appelé Trinity et mené au Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945. Le quasi-cristal est la plus ancienne structure de ce genre créée par l’homme, et le « premier à être identifié dans les restes d’une explosion atomique », peut-on lire dans l’étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences. Sa composition est jusqu’ici inconnue.
Par mail, Bindi explique que ses collègues et lui étaient « très excités » en faisant cette trouvaille, car ils n’étaient « pas tout à fait certains » de l’issue de leur recherche. « Les quasi-cristaux pourraient être beaucoup plus courants qu’on ne le pensait », ajoute-t-il.
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Les quasi-cristaux fascinent les chercheurs depuis des décennies et ont même valu au spécialiste des matériaux Dan Shechtman le prix Nobel de chimie 2011. Alors que les cristaux normaux contiennent des atomes qui sont ordonnés selon un schéma périodique et répétitif, les quasi-cristaux sont composés d’atomes qui ne se répètent pas en motifs réguliers.
On peut visualiser la différence en imaginant un sol carrelé : les cristaux normaux correspondent à des carreaux parfaitement ajustés d’une seule forme répétitive, comme des triangles ou des carrés, tandis que les quasi-cristaux sont semblables à une mosaïque aux formes multiples qui ne s’emboîtent pas parfaitement, comme des pentagones ou des octogones. Cette structure inhabituelle remet en question les modèles conventionnels de la matière et a donné lieu à des applications polyvalentes en science des matériaux.
De nombreux quasi-cristaux synthétiques ont été créés en laboratoire, mais ils se forment également dans la nature, sous des pressions cataclysmiques. Par exemple, Bindi et Paul Steinhardt, cosmologiste en poste à l’université de Princeton et co-auteur de la nouvelle étude, ont dirigé une initiative qui a permis d’identifier les premiers quasi-cristaux naturels connus dans la météorite russe Khatyrka. Ces cristaux se sont probablement formés à la suite de l’immense choc de deux astéroïdes entrant en collision dans l’espace.
« Nous avons tenté de recréer les minéraux observés dans la météorite en produisant des chocs à haute pression en laboratoire, principalement en tirant un projectile à grande vitesse sur une pile de matériaux. Cela a permis de reproduire avec succès les quasi-cristaux observés dans la météorite, explique Bindi. Cela a naturellement soulevé la question suivante : pourrait-il y avoir des quasi-cristaux cachés dans les vestiges d’autres phénomènes de choc, comme une explosion atomique ? »
Cette étincelle d’inspiration a guidé Bindi vers les travaux de G. Nelson Eby, professeur de géosciences à l’université du Massachusetts à Lowell et co-auteur de la nouvelle étude. Eby et ses collègues avaient méticuleusement étudié un sous-produit de l’essai Trinity connu sous le nom de trinitite rouge, une « roche atomique » issue de la vitrification de sables du désert, qui avait fusionné avec des matériaux artificiels tels que les fils de cuivre des instruments d’enregistrement.
Les échantillons obtenus par Bindi et ses collègues ont été prélevés sur le site de l’explosion en 1945 par l’astronome Lincoln LaPaz. Les chercheurs ont examiné les spécimens à l’aide de techniques avancées comme la microscopie électronique à balayage et l’analyse par diffraction des rayons X.
Les résultats ont révélé « un quasi-cristal icosaédrique jusqu’ici inconnu », composé de silicium, de cuivre, de calcium et de fer, et qui « n’a pas encore été synthétisé en laboratoire », selon l’étude. La découverte démontre que cette étrange forme de matière peut être produite par des explosions nucléaires, un résultat qui a ravi l’équipe.
Ces nouvelles recherches suggèrent que des quasi-cristaux pourraient se cacher dans de nombreux autres sites ayant subi des chocs à haute pression, qu’ils soient anthropiques ou naturels. La découverte d’un plus grand nombre de ces structures pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre leur formation et leur abondance, ce qui pourrait, à son tour, conduire à des percées dans la science pure et à des applications pour les matériaux commerciaux. Par exemple, les propriétés particulières des quasi-cristaux ont été utilisées pour développer des revêtements anti-adhésifs, des technologies optiques et des équipements chirurgicaux.
À cette fin, Bindi et ses collègues vont chercher des quasi-cristaux anthropiques sur d’autres sites de détonation nucléaire, tout en explorant les cratères d’impact, tant sur Terre que sur d’autres corps célestes, afin de trouver des versions naturelles de ces structures.
« Je pense qu’une approche ouverte d’esprit pourrait révéler des surprises, conclut Bindi. Les grandes découvertes ne sont possibles que si nous examinons les choses différemment. »
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