La semaine dernière, la vidéo d’un chimpanzé en train de scroller sur Instagram est devenue virale. Le grand singe déroule son feed, clique sur une photo ou une vidéo, regarde les images, puis retourne au feed. Au premier abord, ça peut sembler étonnant et adorable. On dirait vraiment un être humain perdu dans le trou Internet à une heure du matin.
La plus ancienne version de la vidéo que nous avons pu trouver a été uploadée sur Instagram par Bhagavan « Doc » Antle le 22 avril dernier. Bhagavan « Doc » Antle est le créateur et administrateur du T.I.G.E.R.S. (The Institute of Greatly Endangered and Rare Species), aussi connu sous le nom de Myrtle Beach Safari, une attraction animalière de Myrtle Beach, en Californie.
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Le site officiel du T.I.G.E.R.S. indique qu’il possède des chimpanzés, et l’entreprise a déjà diffusé des vidéos virales des singes aux prises avec divers appareils électroniques.
La vidéo a ensuite été copiée par divers comptes Twitter et chaînes YouTube, ce qui lui a permis de devenir encore plus virale le jour suivant. Internet est fan du chimpanzé so relatable mais les primatologues ne sont pas contents. Et ils ont de bonnes raisons de l’être.
Dans la vidéo, le chimpanzé consulte le fil de Mike Holston, un influenceur qui prétend promouvoir la conservation et l’éducation, mais qui passe beaucoup de temps à traîner avec des animaux sauvages.
Les murs que l’on peut apercevoir en arrière-plan sont similaires à ceux qui apparaissent dans les autres vidéos Instagram de Doc et Kody Antle. Des experts ont affirmé à Motherboard que les éléments de la vidéo permettaient de dire que le chimpanzé, où qu’il vive, ne vivait pas dans de bonnes conditions.
« Désolé d’être un trouble-fête, mais ce n’est pas une vidéo que toute personne soucieuse des chimpanzés devrait être heureuse de voir » regrette Adriana Lowe, primatologue et étudiante post-doctorante à l’université de Kent, Royaume-Uni, dans un mail à Motherboard. « On dirait que l’animal se trouve dans un foyer domestique, ce qui indique qu’il est sans doute un animal de compagnie, ce qui est une très très mauvaise idée. Les chimpanzés font d’affreux animaux de compagnie — ce sont des animaux sociaux et intelligents dont les besoins sont difficiles à satisfaire, même dans un sanctuaire de bonne qualité. »
L’American Society of Primatologists est d’accord. Dans une déclaration au sujet de la possession de primates, l’organisme « décourage tout individu de posséder des primates à des fins non-scientifiques ou non-éducatives, dans un but de reproduction et de vente, ou à des fins de distribution. »
Même partager des images et des vidéos comme celle-ci promeut la possession d’animaux sauvages, affirment les experts. « La recherche montre que le partage d’images et de vidéos de ce genre stimule le marché des animaux exotiques, ce que nous ne souhaitons encourager en aucune façon » déclare Ashely Edes, une primatologue qui lutte contre le partage de la vidéo du chimpanzé sur Instagram, dans un tweet. « Les animaux subissent des conditions horribles dans ce marché, et souffrent lorsqu’ils sont finalement abandonnés. »
La célèbre primatologue et anthropologue Jane Goodall s’est exprimée au sujet de la vidéo dans un communiqué diffusé jeudi dernier sur le blog du Jane Goodall Institute :
Je suis très déçue de voir des images inappropriées d’un jeune chimpanzé circuler sur les réseaux sociaux… En tant qu’individus responsables et emphatiques, j’espère que ceux qui verront cette vidéo ne l’aimeront, ne la partageront et ne la commenteront pas, et que tous les médias responsables adapteront leur traitement de la vidéo pour parler de chimpanzés sauvages ou en captivité responsable.
Ceux qui critiquent le safari d’Antle — et ils sont nombreux, surtout chez les écologistes et les activistes du droit animal — ont taxé les propriétaires de zoos avec pignon sur rue de « pires délinquants » dans le monde déjà toxique du commerce d’animaux exotique aux États-Unis.
En 2016, le zoo a dû se plier à une enquête fédérale après que plusieurs de ses tigres ont souffert de la teigne. Comme le rappelle Gizmodo, T.I.G.E.R.S. figure sur la liste des « roadside zoos to blacklist ».
« Le commerce d’animaux illégal menace sérieusement les populations de chimpanzés sauvages, et il est incroyablement irresponsable, égoïste et juste stupide de vouloir en posséder un », martèle Lowe. « Celui-ci n’est d’ailleurs plus un bébé, ce qui signifie qu’il est dangereux. »
Quant au comportement du chimpanzé de la vidéo — scroller pépère sur un smartphone —, Lowe indique qu’il a pu être entraîné pour ça. Cela demande beaucoup de temps et d’essais infructueux, mais c’est possible. « Celui-ci n’est clairement pas en train de découvrir le téléphone », indique-t-elle. Les chimpanzés, contrairement aux enfants humains, ne sont pas des imitateurs du comportement humain. Ce n’est pas que « monkey see, monkey do » : cet individu particulier a été entraîné à tenir le téléphone et scroller. S’il se soucie de ce qu’il voit ou s’il se contente de regarder les images mouvantes n’est pas clair, affirme Lowe.
Motherboard a contacté Kody Antle par message privé sur Instagram. Selon ses mots, il ne s’agit pas là d’un animal de compagnie, mais d’un « animal ambassadeur qui connecte les cœurs et les esprits aux merveilles des chimpanzés comme aux tourments qu’ils affrontent autour du monde. » Le nom du singe est Sugriva, et Antle a confirmé qu’il vivait au Myrtle Beach Safari. Il a également affirmé qu’il passait ses journées en compagnie d’autres chimpanzés dans un « habitat arboricole de plusieurs acres avec quatre maisons, des télévisions, des loisirs et un contrôle climatique. »
Sugriva a toujours montré de l’intérêt pour les smartphones, affirme Antle, et aime particulièrement scroller les fils des gens qu’il rencontre. Il explique : « C’est un comportement qu’il a complètement acquis par lui-même, nous ne lui avons jamais montré comme utiliser un téléphone autrement qu’en le laissant regarder des gens. »
Par le passé, les Antle ont fait scandale en mettant un casque de VR sur la tête d’un chimpanzé pour une vidéo (virale, déjà). Au fond, le problème n’est pas le fait que des animaux utilisent des appareils électroniques, mais plutôt la proximité entre ces animaux sauvages et des humains non-entraînés. Cela peut faire croire que traîner avec un chimpanzé est facile et marrant quand c’est en fait difficile et souvent dangereux.
C’est sur cette illusion que les Antle ont bâti leur business. Et même s’ils ne sont pas des vendeurs d’animaux sauvages, ils permettent au public de tripoter des tigreaux et d’admirer des chimpanzés munis d’airpods. Et ça, ça donne de fausses idées sur ce que sont réellement les animaux.
« Je comprends que ce n’est pas le sujet de la vidéo mais que ça devrait l’être », affirme Lowe. « Ce genre de contenu encourage les gens à croire que les chimpanzés sont mignons et câlins, et alimente le commerce d’animaux illégal. »
Cet article est paru sur Motherboard US.