L’affaire « Omar m’a tuer » relancée par de nouvelles traces ADN

Dans les beaux quartiers de Mougins, au-dessus de Cannes, l’été 1991 vient de commencer et Ghislaine Marchal, la riche veuve d’un équipementier automobile, est attendue chez des amis pour déjeuner. Elle ne mettra jamais les pieds sous la table.

Le lendemain, le lundi 24 juin 1991, on retrouve le corps inanimé de l’élégante dame de 65 ans dans le sous-sol de sa villa. Elle a le crâne fracassé, la gorge et le ventre entaillés avec un objet tranchant et plusieurs os fracturés. Sur la porte blanche de la petite cave, est écrit en lettres de sang — celui de la victime — une phrase qui va rentrer au Panthéon des faits-divers français : « Omar m’a tuer », faute d’accord inclue.  

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Ce jeudi, près de 25 ans plus tard, c’est justement sur cette porte blanche (mais aussi sur une autre porte du sous-sol où est seulement écrit « Omar m’a t » et un chevron) que de nouvelles traces ADN ont été trouvées. Cette découverte pourrait innocenter celui qui a été condamné en 1994 pour le meurtre de Ghislaine Marchal : Omar Raddad, le jardinier marocain de la victime, qui a toujours clamé son innocence.

Depuis, Raddad a été libéré de prison. S’il avait été condamné à 18 ans de réclusion criminelle, il a été gracié partiellement en 1996 par le président Jacques Chirac, lors d’une visite d’État à Paris du roi du Maroc de l’époque, Hassan II. En 1998, Raddad sort de prison après avoir purgé sa peine, réduite à 4 ans et demi d’emprisonnement, mais sans avoir été innocenté.

« Une grâce n’est pas un acquittement. »

Ce jeudi, l’avocate de Raddad, Sylvie Noachovitch, compte sur ces nouvelles découvertes d’ADN (indispensables pour demander la révision du procès) afin de prouver enfin l’innocence de son client.« Une grâce n’est pas un acquittement », explique à VICE News Maître Noachovitch ce vendredi. « II est persuadé de son innocence et je suis à ses côtés dans ce combat. » Les progrès de la science pourraient ainsi permettre d’identifier un potentiel suspect. En 2002, malgré la découverte d’ADN n’appartenant pas à Raddad sur les portes de la cave, une première demande de révision de la condamnation avait déjà été rejetée.

« Il a 30 ans, il fallait 1 000 cellules pour extraire l’ADN et aujourd’hui, il n’en faut plus qu’une », explique à VICE News le Professeur Christian Doutremepuich, biologiste au Laboratoire d’Hématologie Médicale-légale de Bordeaux, spécialisé dans l’extraction difficile d’ADN sur des dossiers judiciaires anciens.

« Une fois que l’ADN a été récupéré, il faut le comparer avec celui des personnes du dossier, puis au fichier national d’empreintes génétiques (le Fnaeg), et si on ne trouve rien, avec le fichier international — celui d’Interpol. En dernier recours, notre laboratoire peut aussi dégager des caractéristiques morphologiques — la couleur des cheveux, de la peau et des yeux — en partant de l’ADN recueilli. »

Le parquet de Nice, en charge du dossier, estime qu’il faut « rester extrêmement prudent quant aux identités génétiques recueillies sur ces traces », qui « peuvent provenir des protagonistes de l’affaire tout autant que de manipulations ultérieures aux faits ». Le Professeur Doutremepuich abonde dans le même sens, « Si le scellé n’a pas été bien protégé, cela ne sert à rien, on va se retrouver avec l’ADN du greffier ou d’un policier. »

Le mystère de la pause déjeuner

Dès l’arrestation d’Omar Raddad en 1991, des doutes sur la culpabilité du jardinier s’expriment dans les médias français. Pour les soutiens de Raddad, trop de doutes subsistent sur l’implication du jeune Marocain dans le meurtre de Ghislaine Marchal.

Le jour du meurtre, le 23 juin 1991, Raddad travaillait chez une voisine de Marchal, Francine Pascal, qui habite à quelques centaines de mètres de La Chamade, la villa de Ghislaine Marchal. À l’heure de la pause déjeuner, Omar Raddad quitte la propriété de Francine Pascal pour aller manger chez lui, au Cannet (à 5 kilomètres de Mougins) entre midi et 13 heures 10. Pour la justice, c’est à ce moment que Raddad aurait pu passer à l’acte. Selon le rapport d’autopsie, Ghislaine Marchal serait décédée entre 11 heures et 13 heures 30.

Le jardinier explique de son côté qu’il est passé à la boulangerie en face chez lui et a croisé ses voisins dans la cour de son immeuble durant cette pause déjeuner. Si les voisins assurent avoir été présents dans la cour, ils ne se souviennent pas avoir vu Omar. La boulangère non plus, mais précise qu’il y avait beaucoup de clients. Pendant sa pause, Raddad a aussi appelé sa femme (qui était à Toulon) depuis une cabine téléphonique du Cannet à 12 heures 51 — un appel confirmé par France Telecom. À 13 heures 10, Raddad est de retour au Mas Saint-Barthélemy chez Francine Pascal.

À la recherche d’un mobile

Lors du procès de Raddad en 1994 à Nice, la défense de la famille Marchal va se concentrer sur la personnalité d’Omar Raddad afin d’identifier le présumé mobile du meurtre. Il apparaît au cours des auditions que le jardinier est aussi un gros joueur de casino, où il dépense de son propre aveu d’importantes sommes d’argent dans les machines à sous à 5 francs. Les avocats avancent aussi l’hypothèse que Raddad réclamait de l’argent — sous la forme d’avance sur salaire — à ses employeurs notamment pour payer ses dettes de jeu. Peu convaincus par les mobiles avancés, les jurés reconnaissent malgré tout Raddad coupable, mais avec « circonstances atténuantes ».

Après sa condamnation, mais aussi après sa sortie de prison, de multiples théories plus ou moins crédibles vont sortir dans la presse pour innocenter Raddad et trouver le « vrai » coupable. Oeuvres de journalistes et de détectives privés en tout genre, on a pensé successivement que Ghislaine Marchal faisait référence en réalité d’un autre Omar de Mougins ou encore que la veuve avait été assassinée par des membres de la secte du Temple Solaire. Toutes ces pistes ont rapidement été écartées.

« Aujourd’hui, Omar Raddad est heureux de voir qu’il est toujours soutenu après toutes ces années, il est aussi plein d’espoir », explique son avocate. « Omar Raddad se battra jusqu’au bout pour être innocenté. »

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