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Laissez-moi tranquille avec votre télétravail

Laissez-moi tranquille avec votre télétravail

Cela fait déjà un an et demi qu’on nous gonfle avec le télétravail. Une inévitable révolution pour les entrepreneurs en slim noirs et chemises blanches qui écrivent sur LinkedIn qu’ « en chinois, il n’y a qu’un mot pour crise et opportunité », une boîte de Xanax et un alcoolisme naissant pour d’autres. Au départ contraint de nous plier à ce nouveau modèle de vie jusqu’à devenir des avatars Microsoft Teams en surpoids, le monde d’avant avait fini par nous rattraper, comme pour nous rappeler que rien ne change. Et avec lui, le retour dans nos bureaux mal éclairés où règne l’odeur de plats réchauffés mélangée à celle de nos collègues, venant ainsi abattre le mirage d’un monde fait de digital nomades pratiquant le brand content la journée et les podcast inspirationnels la nuit. J’en ai des frissons en l’écrivant

Bien sûr, ce retour a la normal n’eut le même effet chez tous. Pour les premiers, cela signifiait des trajets quotidiens enfermés dans des rames de trains tel du bétail et des collègues qui étalent leurs jambes sous le bureau avant de vous apostropher de « Ça dej où ? » tous les jours à 11h59. Pour les seconds, ce fut une bénédiction puisque la vie de bureau consiste, la plupart du temps, à discuter du dernier épisode de Koh-Lanta à la machine à café, descendre sur le trottoir fumer quatre clopes avant de ne rien foutre devant un tableau Excel abscons. Et entre les deux, ceux qui ne savent pas. Si aujourd’hui on ne compte que 25% de salariés en télétravail et que la guerre semblait gagnée, une cinquième vague du COVID-19 qui agit comme ce pote lourd qui n’arrive pas à terminer sa vanne (et quelque décisions politiques absurdes) pourrait bien nous faire basculer de nouveau dans le monde du travail à domicile – offrant ainsi une nouvelle opportunité à la startup nation de nous emmerder. Et après une année d’essai, je préfère me faire percer les tibias avec un pistolet à clous que de revenir au plein télétravail. 

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Je dois avouer avoir été un grand défenseur du télétravail – du moins au départ. Comme au début d’un flirt à trois heures du matin, je ne voyais que les bons côtés. Enivré par ce simple accrochage dans une routine mécanique occidentale, je m’émerveillais du télétravail comme de l’arrivée d’Internet. J’étais continuellement chez moi et donc dépourvu de toute pression vestimentaire ; je pouvais utiliser mes toilettes et non ceux du bureau où des milliers de crottes flottent chaque jour. Je me permettais même d’aller faire quelques courses en pleine journée après avoir lancé une machine. Le rêve.

C’était comme regarder mes mails en vacances, mais tout le temps

Mais plus les semaines passaient, plus je me sentais seul, gros et malheureux. Mon appartement s’était transformé en un WeWork. Un genre de lieux hybride ni nul, ni bien. Un lieu où je devais tout faire : dormir, uriner, bosser, me laver les dents et parfois rien. Ma vue était la même tout au long de la journée : un bureau mal rangé, des câbles partout et des meubles qui ne bougent pas. À force, j’ai fini par détester mon appartement. Il ne me servait plus de bastion contre les cyclistes parisiens et les étudiants en théâtre mais se trouvait contaminé par les réunions chiantes, les notifications Google incessantes et les tasses de thé. J’avais bien essayé de suivre le mouvement des gens cools – c’est-à-dire bosser dans un café ou un espace de coworking, mais ce fut une bien triste expérience. Qui a envie de bosser dans une boulangerie bio ou sur la minuscule table d’un café qui ne prend pas la carte bleue ?

La liberté géographique qu’implique le télétravail me semblait inutile si c’était pour s’entasser dans des pièces minuscules accompagnées de digital nomades qui pédalent pour recharger leur iPhone. Même chose pour la campagne, que certains imaginent se faire envahir de parisiens. Est-ce que j’aime la campagne et la nature ? Oui. Est-ce que j’ai envie d’y vivre en permanence ? Non.

Avec le télétravail, ma vie se résumait à beaucoup de solitude. Je pouvais faire ce que je veux, mais je devais quand même travailler. C’était comme regarder mes mails en vacances, mais tout le temps. Ou comme si je faisais l’école à la maison. Et quel enfant qui a dû subir cela n’a pas été traumatisé ? Les mois passaient et je perdais l’envie de communiquer avec les gens tant la moindre interaction professionnelle digitale devenait fatigante. Mes collègues n’étaient plus que des pixels grossiers où toutes les voix se ressemblent (quand elles ne grésillent pas). Et bien sûr ma vie privée et professionnelle ne formaient plus qu’un. J’avais toujours conscience des possibles avantages du télétravail, mais plus le temps passait plus je finissais par me dire que je préférais prendre le métro et perdre deux heures par jour plutôt que de rester 35 ans enfermé dans une maison avec un mauvais wifi à faire des call Zoom du matin au soir, 

Depuis que je reviens au bureau, j’ai moins envie de me foutre en l’air. Je vois la rédac, on discute des phobies culinaires, on mange ensemble, on va boire un verre pour penser à autre chose une fois la journée terminée. J’ai davantage envie d’accomplir des choses intéressantes que lorsque nous ne sommes qu’un assemblage de postes. Aller au bureau est pour moi un moment de pause qui a un cadre et qui me permet de séparer les différents espaces de ma vie. Quand je suis au bureau, je travaille, ailleurs je fais ce que bon me semble. Ainsi, le travail ne gangrène pas toutes les strates de ma vie sous prétexte que “je suis libre”. La liberté, c’est de dire « Je suis fatigué, je rentre chez moi ». Je ne me sens pas plus libre chez moi sur une chaise ergonomique à répondre à des mails avec le bruit du lave-vaisselle en fond.  

Pourquoi aller au bureau alors qu’on peut faire une réunion tout en faisant une séance de yoga ?

Il y a maintenant un point qu’il faut régler. Je sais qu’être contre le télétravail vous place souvent dans le rôle du petit chef qui veut surveiller ses salariés, ou un truc dans le genre. En tant que “manager”, je peux vous assurer que si vous soutenez cet argument, c’est que vous ne comprenez rien au monde du travail. La première raison est qu’en 2021, il est bien plus facile de surveiller quelqu’un à distance qu’en présentiel. Vous voyez quand les gens sont connectés, quand ils ont modifié un document ou s’ils sont en retard à une réunion à la seconde près. À quel moment la distance donne plus de liberté ? La seconde raison est qu’au bureau, votre présence peut feinter un certain boulot. À distance, votre charme dans le bureau ou votre créativité disparaissent et ne pourront répondre à la question de votre chef à 17h57, « Salut, t’en es où ? ». À distance, comment voulez-vous faire semblant de bosser ? Plus sérieusement, votre apport immatériel à la dynamique d’un groupe est impossible à distance. Le télétravail réduit le travail à sa plus simple nature : une série de tâches à exécuter en un temps imparti où seul le résultat compte. 

Mais est-ce si surprenant ? Le télétravail est le symbole d’une époque qui doit rentabiliser chaque espace de vie et combler le vide. Pourquoi prendre les transports si on peut bosser à la place ? Pourquoi aller au bureau alors qu’on peut faire une réunion tout en faisant une séance de yoga ? Pourquoi partir plus tôt chercher les gosses si tu peux participer à la réunion avec tes Airpods ? Selon une étude du Parisien, les gens sont nettement plus productifs en télétravail, et surtout ils travaillent plus et plus longtemps. Donc pour le côté “j’ai plus de temps”, on repassera.

Nous cassons nous-même le peu de lien social qui existe encore dans cette société sur l’autel d’un certain modernisme. C’est peut-être pourquoi Santé Publique France a publié mardi 23 novembre dernier un bulletin sur la dépression en 2021 où le télétravail apparaît comme l’un des principaux facteurs.  Et puis si on peut télétravailler, pourquoi bouger ? Ascenseur, trottinettes électriques, Drive, chaise à roulettes, livraison de courses en 15 minutes nous permettent de ne plus nous voir, voire de ne plus rien faire du tout. Il est aujourd’hui possible de vivre sans jamais utiliser ses jambes, de simplement attraper son ordinateur posé sur la table basse à côté du lit. Le télétravail comme moyen d’avoir le contrôle sur sa vie est un beau mirage. Il n’est qu’un moyen pour une entreprise de moins dépenser pour vous.

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