Lamiya Aji Bashar s’adapte encore à sa vie en Europe, après avoir échappé à ses ravisseurs de l’organisation terroriste État islamique (EI). Elle a été leur esclave sexuelle pendant deux ans en Irak.
Aujourd’hui, Bashar ose se sentir en sécurité, voire contente. Je suis « heureuse » maintenant que je suis « libre », nous a raconté la jeune femme de 18 ans à Bruxelles, par le biais d’un interprète il y a deux semaines.
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Elle a reçu ce jeudi le prix Sakharov, un prix pour la liberté de l’esprit — la récompense annuelle que l’Union européenne accorde aux défenseurs des droits de l’Homme et de la liberté.
Après avoir fui le territoire occupé par l’EI en avril, elle suit un programme de reconstruction intense en Allemagne, où elle vit actuellement.
Bashar travaille depuis avec la militante yézidie Nadia Murad, elle aussi récompensée par le prix, elle aussi ancien otage du groupe terroriste. Nadia Murad est devenue ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains. Les deux femmes sont célèbres pour leur lutte pour la communauté yézidie, une minorité religieuse persécutée par l’État islamique.
Parmi les anciens lauréats du prix Sakharov on compte le blogueur saoudien Raif Badawi — emprisonné par le royaume wahhabite — et le docteur Denis Mukwege, un gynécologue qui soigne des victimes d’abus sexuels réalisés par les forces rebelles congolaises. Mais Bashar n’a jamais voulu de ce prix. Elle rendrait tout pour reprendre sa vie d’avant.
Début août 2014, elle était l’une des 6 400 Yézidis « disparus », tombés aux mains des militants de l’État islamique. Des membres de l’EI sont passés par sa ville natale de Kocho, près de Sinjar, en Irak, selon le gouvernement régional du Kurdistan. Elle n’avait que 15 ans quand elle a été vendue pour la première fois en tant qu’esclave, puis violée. La yézidie explique que ses ravisseurs justifiaient leurs actions en disant qu’elles étaient permises par la loi islamique.
Jusqu’à sa fuite début 2016, elle a été vendue cinq fois à des hommes du groupe terroriste : des hommes d’origine saoudienne, syrienne, irakienne. Le dernier était un médecin de Mosul.
Selon le gouvernement régional du Kurdistan, 3 543 femmes ont disparu pendant la prise de Sinjar par l’EI.
Bashar était battue régulièrement. Elle devait également travailler en tant qu’esclave domestique pour la famille de son ravisseur à Raqqa, ainsi que dans un entrepôt d’explosifs, où elle fabriquait des vestes pour des kamikazes à l’aide d’une pâte chimique mélangée à des petits composants en métal, ou des « morceaux de fer », se rappelle-t-elle.
Encore aujourd’hui, l’EI continue à hanter sa famille. Shaha, sa soeur plus âgée, est toujours en captivité à Raqqa, et il y a quelques semaines, son oncle a reçu un appel d’un militant du groupe terroriste : il proposait de la rendre contre la somme de 40 000 dollars [environ 36 666 euros] — sans ses quatre enfants.
Shaha a été enlevée en même temps que Lamiya, ainsi que leurs parents et leurs deux frères. Les quatre enfants de Shaha — deux filles et deux garçons — ont été pris en même temps qu’elle, mais les militants du groupe les ont séparés pendant leur captivité.
« Le soldat de Daesh a parlé à mon oncle ; on ne pouvait pas payer, et on ne pouvait pas non plus lui faire confiance », a dit Bashar. « Et ma soeur a dit qu’elle ne reviendrait pas seule sans enfants. »
« J’ai peur » pour sa sécurité, indique Bashar, mais « je veux que ces zones soient libérées de Daesh. »
Les combattants de l’EI ont pris contact avec plusieurs familles yézidies et ONG récemment, proposant de leur revendre des membres de leurs familles. La plupart du temps ce sont des femmes. «Je connais cinq ou six cas », nous a dit le docteur Mirza Dinnayi, directeur d’Air Bridge Irka, une organisation humanitaire chargée du traitement de victimes de guerre traumatisées. Selon lui, ils sont probablement beaucoup plus nombreux.
Falah Mustafa Bakir, le ministre kurde des Affaires étrangères, a indiqué qu’il a entendu d’autres cas similaires. « On fera tout pour les sauver encore vivantes », nous a-t-il dit. « Ce n’est pas une question de rançon; on fera tout ce qui est possible pour les sauver encore vivantes. » Le « tout » inclut l’utilisation d’images de satellites et le partage d’informations pour localiser et secourir autant de femmes et filles yézidies que possible.
Après plusieurs tentatives, Bashar a finalement réussi à échapper à Daesh en avril dernier. L’opération a commencé quand elle a pu accéder à un téléphone, qu’elle a utilisé pour entrer en contact avec un oncle. Il lui a indiqué comment sortir de Hawija, où elle était maintenue. La jeune femme a été aidée par un contrebandier à Mossoul, avec lequel son oncle s’est arrangé pour livrer Bashar à une autre famille dans une région contrôlée par Bagdad. Les deux ont marché pendant toute une nuit. Elle a ensuite voyagé pendant plus de 24 heures avec une autre jeune yézidie. C’est alors qu’un engin a explosé près d’une ligne de front, tuant son amie et blessant grièvement Bashar. Elle a été sauvée par un passeur.
Aujourd’hui, son visage est marqué à vie, et elle a complètement perdu la vision de son oeil droit.
Peu après sa fuite, elle a gagné l’Allemagne pour des opérations chirurgicales essentielles pour sauver son oeil gauche. Elle suit encore un traitement laser pour tenter d’effacer les cicatrices sur son visage et reçoit un suivi psychologique.
Arrivée en Allemagne, elle a rejoint deux de ses soeurs et sa belle-mère. Ils ont tous eu des destins semblables dans les mains de l’EI et suivent encore des traitements post-traumatiques. Le visa de Bashar expire en février, mais sa famille a débuté un processus qui pourrait leur accorder une résidence permanente. Entre-temps, la jeune femme espère reprendre l’école.
« Ce prix pourrait pousser d’autres nations à penser à nos femmes et soeurs qui sont toujours en captivité et qui souffrent encore », nous a-t-elle dit, avant de savoir qu’elle allait remporter le prix Sakharov. « Ce n’est pas seulement pour moi; c’est pour tout mon village et toutes les femmes et filles yezidies. »
Cet article a d’abord été publié sur la version anglophone de VICE News.
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