YouTube grouille de créateurs riches et célèbres. Quel que soit leur domaine de prédilection, ces personnalités ont un point commun : des « thumbnails » soigneusement élaborés pour générer du clic. Ces miniatures sont cruciales. Comme une couverture pour un magazine, elles doivent donner envie aux passants de faire un effort : cliquer pour découvrir ce qui se cache derrière cette image. De cet acte d’engagement élémentaire découle tout ce qui fait vivre YouTube et ses créateurs de contenus, des visionnages aux abonnements potentiels. Ainsi, pour tous ceux qui se rêvent en Pewdiepie ou Emma Chamberlain, pas de succès sans thumbnails étudiés.
La Youtubeuse Romy Victory définit sa ligne éditoriale comme « vintage et girly ». Contactée par Vice France, elle explique : « Je sors d’une école de communication donc j’ai conscience de l’importance [des thumbnails]. Mais il y a une grosse différence entre savoir que c’est important et maîtriser la chose. Car ce sont des codes particuliers. » Sur ses miniatures, la jeune femme apparaît dans des poses dynamiques, au milieu de montages qui combinent des lettrages attirants (« WTF » ou « Ça a été trop loin ») et des emojis. Elle poursuit : « Il y a des tendances selon les années. Il faut tâtonner et prendre du recul. »
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Certaines modes semblent pourtant perdurer. Les tutoriels pour aspirants Youtubeurs recommandent de placer des « portraits expressifs » et du « gros texte en gras » sur les thumbnails depuis des années. Dans le YouTube des amateurs de Call of Duty, ces codes sont particulièrement suivis : le joueur compétitif Nickmercs inonde ses quatre millions d’abonnés de miniatures dans lesquelles il semble hurler sous des gros titres en « Font Fortnite ». Cela peut sembler grotesque mais ça marche fort : chacune de ses vidéos reçoit des centaines de milliers de vues en quelques heures. « Je me suis inspiré de ce genre de choses mais en allant à l’essentiel, détaille Sinvok, un créateur français spécialisé dans Call of Duty: Mobile. J’essaie de ne pas mettre des effets partout. »
Romy Victory ne sait pas si les miniatures sont « si importantes que ça. » Pourtant, elle consacre des efforts non-négligeables à ses thumbnails : « Ça peut me prendre vingt minutes comme une heure et demie. Je peux faire quatre ou cinq versions de la miniature parce que je veux quelque chose qui corresponde vraiment à la vidéo. » Sinvok, qui s’est lancé sur YouTube après avoir perdu son emploi du fait de la pandémie, a appris le graphisme spécialement pour élaborer ses thumbnails. « Je suis passé par des logiciels gratuits qui me faisaient énormément perdre en qualité, se souvient-il. Depuis deux mois, j’essaie de pousser mes miniatures pour attirer plus de monde, donc je suis passé sur Photoshop. C’est assez compliqué quand on ne connaît rien du tout… J’ai passé des heures sur des tutoriels. »
« Il y a quelques années, les ronds rouges et les titres en majuscule étaient à la mode. Désormais, ils apparaissent assez souvent comme des blagues. » – Romy Victory
Les spécialistes de l’acquisition de trafic sont partagés sur le rôle des miniatures dans la croissance des chaînes Youtube. Les directives de la plateforme, qui se garde bien de dévoiler les secrets de ses algorithmes, recommandent tout de même aux créateurs de surveiller la relation entre le nombre d’impression de leurs thumbnails et le temps de visionnage. Sa « Creator Academy » note que « 90% des vidéos les plus performantes » disposent de thumbnails personnalisés et recommande aux créateurs d’appliquer la règle des tiers, bien connue des photographes et des cinéastes, pour obtenir un résultat percutant. Surtout, ces images doivent être « vibrantes » et transmettre des « informations clés » au sujet de leur vidéo tout en respectant la sensibilité des annonceurs.
En dépit de ces conseils monolithiques, il est évident que la formule du thumbnail parfait est trop mouvante pour réellement exister. « Les goûts des gens de 15 à 25 ans changent beaucoup selon les années, analyse Romy Victory. Quand on vise ce genre de public, on doit suivre la mode. Une recette qui fonctionne dure rarement plus de quelques mois. » Comme pour les titres et les illustrations journalistiques, ces modes vont et viennent au point de devenir des sujets de plaisanterie. « Il y a quelques années, les ronds rouges et les titres en majuscule étaient à la mode, se souvient la jeune femme. Désormais, ils apparaissent assez souvent comme des blagues. » Les performances de la plupart des Youtubers dépendent bien souvent de leur conscience de ces tendances. Il en va autrement pour les plus grands créateurs.
Depuis quelques semaines, la superstar Pewdiepie placarde le même visage lassé sur les miniatures de ses vidéos, quel que soit leur sujet. La démarche est manifestement ironique. Loin des couleurs saturées et des mises en scènes grotesques dont ils raffolaient encore récemment, les thumbnails des jumeaux Jake et Logan Paul optent désormais pour des captures d’écran ou des clichés qu’on jurerait pris sur le vif, plein de regards intenses et de sentiments humides. « Quand on met une miniature sobre, explique Romy Victory, on renvoie à quelque chose de grave ou important. Ça donne l’impression que tu n’as pas voulu travailler sur ta miniature. » Aux excès des miniatures pétaradantes de la fin des années 2010 semble donc succéder une imagerie ironique ou intimiste. Un seul élément semble immuable : le visage des créateurs.
Fildrong réalise des vidéos de stratégie pour les jeux Pokémon. Bien conscient de la particularité de sa ligne éditoriale, il élabore ses miniatures avant tout pour attirer sa communauté. « Elles sont très stables, affirme-t-il auprès de Vice France. J’ai une construction de base pour chaque genre de playlist : les best-of, les nouvelles stratégies, les Let’s Play… Mais c’est toujours la même police et le même code couleur. En général, je mets aussi ma tête pour qu’on puisse me reconnaître. Je suis facile à détourer car je n’ai pas trop de cheveux. » En affichant ainsi son visage sur ses miniatures, Fildrong veut aussi se rendre reconnaissable auprès des internautes qui l’ont vu passer dans les streams de créateurs plus suivis que lui. Il analyse : « L’idée est de mettre un fil conducteur. »
Qu’ils évoluent dans l’ASMR ou dans les jeux vidéo, dans le maquillage ou dans la cuisine, la grande majorité des Youtubers montrent leur visage dès que possible. Leurs traits sont la manifestation la plus claire de leur identité dans le vaste bouillon de la plateforme : ils restent reconnaissables au milieu des mêmes flèches, des mêmes couleurs acides, des mêmes lettres encombrantes pour tous. « Avant, dans le gaming, les créateurs ne montraient pas leur visage, analyse Fildrong. Les gens trouvaient des choses depuis la barre de recherche. Désormais, ils passent plutôt par les recommandations et les tendances. Ils prennent des habitudes avec un créateur. C’est comme ça que nous sommes passés de joueurs à influenceurs. On voulait voir des gens qui jouent aux jeux vidéo. Désormais, on veut voir une personne précise jouer aux jeux vidéo. »
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