Crime

Le Burkina Faso exhume son président assassiné pour dissiper un mystère vieux de 30 ans

Le 15 octobre 1987, des assaillants armés pénètrent dans le bureau du jeune président du Burkina Faso, Thomas Sankara, et éliminent le leader révolutionnaire et 12 de ses collaborateurs, au cours d’un coup d’État mené par son ancien meilleur ami, Blaise Compaoré. Ce lundi, 27 après son assassinat, l’enquête de la justice sur cette affaire a été lancée pour de bon.

Les autorités burkinabés ont commencé à exhumer des corps, au cours de la journée de lundi, au cimetière Dagnoen, situé dans la banlieue de la capitale Ougadougou. Cette nouvelle enquête sur les meurtres avait été annoncée en novembre dernier par le président intérimaire de l’époque Michel Kafando, qui avait pris la succession de Blaise Compaoré, poussé au départ par des manifestations populaires impressionnantes. Début novembre 2014, nos journalistes Pierre Mareczko et Stéphane Puccini avaient filmé la chute de Compaoré dans les rues de Ouagadougou.

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La première étape de l’enquête sera d’identifier les corps grâce à l’identification ADN. « Le processus va prendre un certain temps, » explique Benewinde Sankara, un avocat représentant la famille de Sankara (les deux hommes ne sont pas liés), selon l’Associated Press. D’après l’avocat, la famille de l’ancien président ne devait pas être présente lors de l’exhumation des corps. L’agence de presse AP a fait mention de centaines de badauds aux alentours de Dagnoen ce lundi.

Après la mort de Sankara, ceux qui l’ont attaqué l’ont immédiatement enterré. Il avait 37 ans à ce moment et était au pouvoir depuis quatre ans. De nombreuses rumeurs ont accusé Compaoré d’être derrière le coup, mais aucune enquête n’était jamais été lancée par la justice. Durant les décennies suivantes, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Sankara, s’est battue en vain pour que des tests ADN soient réalisés pour confirmer l’identité de son mari.

Sankara était un panafricain qui est arrivé au pouvoir par le moyen d’un coup d’État en 1983 construit avec des éléments d’inspiration marxiste. Il a milité pour une politique de redistribution des terres et de nationalisation. Lorsqu’il devient président à l’âge de 33 ans, ce pays d’Afrique de l’Ouest est encore connu sous le nom de République de la Haute-Volta. L’ancienne colonie française a vécu trois coups d’État entre son indépendance en 1960 et la prise de pouvoir par Sankara.

Pendant son mandat, Sankara pousse des réformes agraires et lance des projets de développement des infrastructures, tout en interdisant des pratiques comme les mutilations génitales sur les femmes. Il a aussi changé le nom du pays pour Burkina Faso, et il est célèbre pour avoir planté 10 millions d’arbres à travers Ouagadougou. Il a également mis en place un programme de vaccination qui a soigné des millions de personnes contre des maladies comme la fièvre jaune.

Sankara s’est fait un nom comme héraut panafricain et est devenu une icône révolutionnaire dans toute l’Afrique. Une figure qui a eu du succès chez les jeunes du Burkina Faso, notamment lors de leurs manifestations contre le fait que Compaoré s’accrochait au pouvoir.

« Les révolutionnaires peuvent être tués, mais vous ne pouvez pas tuer des idées, » disait Sankara peu avant de mourir.

La polémique autour de sa mort est revenue sur le devant de la scène l’année dernière, après que des mouvements de protestation ont soulevé le Burkina Faso en octobre 2014. Des mouvements nés lorsque Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir après le coup de 1987, a essayé de modifier la Constitution pour qu’il puisse prétendre à un cinquième mandat présidentiel consécutif. Compaoré a fui pour le Maroc, où il vit en ce moment en exil.

Au mois de novembre, Kafando, qui était le président intérimaire après que Compaoré s’est retiré, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la mort de Sankara, en parallèle d’une autre enquête, celle d’un autre assassinat qui fait débat. En 1998 Norbert Zongo, journaliste, a été tué, personne n’a jamais été inquiété pour ce crime. Dans les semaines précédant sa mort, Zongo travaillait sur le meurtre d’un chauffeur qui avait travaillé pour le frère de Blaise Compaoré.

Plus de 8 millions de Burkinabè sont attendus sur les listes de votants pour la première élection présidentielle depuis la chute de Compaoré, prévue le 11 octobre prochain. En avril, le Parlement a fait passer une loi qui empêche les alliés de Compaoré de se porter candidats.

Suivez Kayla Ruble sur Twitter: @RubleKB