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Le Dry January a fait de moi une personne affreuse

Dry January

Hygiénisme du corps et de l’esprit, culte du rendement personnel et obsession du bien-être mental et psychique, le Dry January m’a toujours paru s’accorder parfaitement avec les névroses de l’époque. Je me rappelle qu’en des temps pas si lointains, il était de bon ton de ressembler au cliché sur pattes de l’écrivain torturé et alcoolique qui baragouine des horreurs sans queue ni tête à sa belle-famille en robe de chambre attaqué au blanc-de-Franprix dès 8h du matin. Cette image d’Epinal, désormais fort heureusement aussi rincée que Frédéric Beigbeder, a laissé place à une autre vision des enfers, non moins toxique, mais peut-être plus insidieuse encore : celle de ce “co-founder & CEO” d’une start-up indigne qui t’explique, les yeux dans les yeux, que si tu ne t’asperges pas le visage de jus de bissap en faisant 40 pompes tout en spéculant sur des NFT dès l’aurore, tu as raté ta vie. Alors certes, ces exemples représentent les deux extrémités d’un spectre que l’on pourra qualifier de “dangereusement morbide”. Mais existe-t-il réellement un juste milieu pour faire face aux affres de l’existence ? J’ai voulu en avoir le cœur net en choisissant la voie du samouraï : 31 jours sans alcool ni drogue ni excès, avec une alimentation saine et équilibrée et en faisant même un peu de sport régulièrement. Résultat des courses ? J’ai découvert des choses tout à fait honteuses sur moi-même.

Je suis timide, anxieux, mal à l’aise avec mon propre corps, globalement peu sûr de moi en “société”

Tout le monde le sait (c’est d’ailleurs, en grande partie, pour ça que tout le monde boit), l’alcool possède des fortes vertus désinhibantes. Au niveau de l’organisme, la molécule de l’éthanol (l’alcool, donc) “agit sur de vastes ensembles neuronaux, notamment la noradrénaline, laquelle permet d’évaluer un danger”, comme l’explique le neurobiologiste Jean-Pol Tassin dans un article de Sciences et Vie. De plus, il favorise la sécrétion de “morphines endogènes” et booste la libération de dopamine. Voilà pourquoi, entre autres, passer une soirée en compagnie d’êtres festifs qui comme vous et moi ne savent pas quoi faire de leurs bras, est tout de suite moins stressant. Et découvrir l’envers du décor, à savoir que l’on n’ose plus prendre la parole devant un groupe de 4 personnes dans un bar à 20h, alors qu’on était le premier il y a encore quelques semaines à couper la parole de manière intempestive à tout le monde, a de quoi décontenancer.

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Incapable d’avoir une vie sociale sans alcool, j’en veux aux autres d’être heureux

Non Marie-Charlotte, sans alcool la fête n’est pas “plus folle”. Elle est pleine de doutes, de haine de soi, de rancœurs. Car si l’alcoolisme induit indubitablement des comportements à risques, qui peuvent mener au licenciement, au divorce, à la stigmatisation et à l’ostracisation sociale, l’arrêt pur et simple de l’alcool peut également mener à une forme d’isolement. Qu’y a-t-il de plus triste que de voir son colocataire partir un samedi soir, tout en sachant qu’il reviendra aux aurores, en ayant perdu un nombre incalculable de points de vie et de dignité, mais en ayant vécu des expériences transcendantales (ce n’est pas moi qui parle, c’est le FOMO), tandis que vous restez chez vous à vous demander si ajouter telle virgule à telle phrase réhaussera l’intérêt d’un article que personne ne lira car tout le monde sera en gueule de bois. Il y a autre chose : lorsque vous ne buvez pas et que vous êtes entouré de personnes bourrées, vous vous rendez compte à quel point vous pouvez développer des penchants misanthropes. Les gens se répètent, sortent des phrases connes comme pas deux et rigolent pour rien, ne vous écoutent pas ou ne comprennent rien à ce qu’on leur dit – bref, ils sont insupportables. Vous vous surprenez donc à quitter les lieux autour de 22h pour vous poser au lit avec un livre, loin du tumulte ambiant et de la compagnie de ce que vous considérez désormais comme le rebut de l’humanité.

Je suis chiant

La consommation d’alcool altère les capacités motrices et cérébrales, ce qui veut dire que lorsque vous buvez, vous vous trouvez en grande partie privé de vos capacités d’analyse, de discernement et de jugement. Et si la consommation d’alcool crée un sentiment d’euphorie, une énergie qui peut même parfois être créatrice, arrêter les frais permet de se retrouver au plus profond de soi-même. Et parfois, on n’a pas vraiment envie de savoir comment on fait les saucisses : désormais, ma vie ressemble à cette scène de Louie, pleine de ruminations, de doutes et de questionnements sur l’existence, et pourrait se conclure de la même manière : “I’m a boring asshole now”.

L’alcool résout pas mal de vos problèmes (sur le moment, car après c’est pire)

Pendant ce mois d’abstinence, j’ai fauté une fois, et recommencé à boire à l’issue d’un coup de mou. A ce moment-là, une vague de chaleur a envahi mon corps et je me suis alors rendu compte que tous mes problèmes s’étaient envolés – voire même qu’ils n’avaient peut-être jamais existé. Et lorsqu’on arrête de boire de l’alcool, il n’y a sans doute pas de moment plus sournois que de se rendre compte à quel point on en avait besoin. Boire lorsqu’on est anxieux crée un effet boomerang. Car lorsqu’on boit, l’homéostasie, soit la stabilisation de l’organisme, s’en trouve alors déréglé. L’organisme va alors s’attacher à réguler à la baisse les neurotransmetteurs qui induisent la relaxation et boostent la dopamine, ce qui va faire que le lendemain, l’anxiété sera encore plus présente qu’au départ. Et c’est là que naît la dépendance : l’être humain, dans sa glorieuse débilité, va vouloir reboire pour calmer ses angoisses. Pour éviter de dériver vers l’alcoolisme pur et simple, on peut se dire qu’il est déjà grand temps de s’arrêter au stade “pré-alcoolique”.

Mais au final, je ne suis même pas certain que l’alcool me manque tant que ça (et c’est peut-être le pire)

Au bout d’un certain temps, je me suis habitué à mon nouveau moi, et ai même trouvé certains avantages à avoir une meilleure peau, perdre du poids, mieux dormir, être plus concentré sur mes tâches quotidiennes, être globalement en meilleure santé voire même me trouver un peu plus beau qu’avant – étonnant non ? Par ailleurs, une étude menée par l’université du Sussex a montré en 2018 que le Dry January pouvait avoir des effets bénéfiques sur le long terme, y compris en modifiant notre rapport à l’alcool sur la durée, celle-ci baissant d’elle-même au bout d’un certain temps. En effet, pour le dire vite, moins on boit d’alcool, moins on a envie d’en boire. Actuellement, j’en suis donc presque au point de relire tout ce que j’ai écrit précédemment et de rédiger à la place une morning routine de type militaro-auto-satisfaite afin de convaincre quiconque de devenir une meilleure version de soi-même, toujours prompte à critiquer les autres, et en particulier ceux qui ne sont pas comme nous. Et si, tout simplement, on arrêtait tous un peu de boire sans avoir besoin d’emmerder le monde ?

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