Cet article a d’abord été publié sur VICE.
Le 16 mai dernier marquait les vingt ans du cessez-le-feu dans le Haut-Karabakh, une enclave arménienne en plein coeur de l’Azerbaïdjan. Bien qu’ayant proclamé son indépendance, elle n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. De 1988 à 1994, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont affrontés dans un conflit qui a provoqué la mort de 30 000 personnes. Un compromis – négocié par la Russie – a été signé en 1994, mais des soldats armés restent présents sur la « ligne de contact ». Des dizaines de personnes se font toujours tuer chaque année, et des centaines de milliers d’autres continuent à vivre exilées. Svante E Cornell – directeur de l’Institut Asie centrale-Caucase – parle de ce litige comme « la mère de tous les conflits non résolus ».
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Les tensions se sont récemment accrues. L’Azerbaïdjan a organisé de grands exercices militaires à sa frontière avec l’Arménie en avril dernier. Une crainte tenace existe concernant la récente annexion de la Crimée par la Russie – acclamée en Arménie, qui supporte un Haut-Karabakh indépendant, et dénoncée en Azerbaïdjan, qui y est opposée. Cette annexion pourrait faire pencher la balance et provoquer l’éclatement d’un conflit qui impliquerait les grands acteurs régionaux que sont la Russie, la Turquie, Israël et l’Iran. « Je m’inquiète des conséquences que cela peut avoir sur le Caucase du Sud » a déclaré Katherine Leach, ambassadrice britannique en Arménie.
Quoi qu’il en soit, la Russie – qui fournit des armes et de l’argent aux deux camps – tirera profit de la situation en capitalisant sur l’insécurité de la région. Vladimir Poutine a récemment déclaré lors d’un discours à Erevan, la capitale de l’Arménie, que « la Russie ne quittera jamais la région et qu’au contraire, sa présence sera renforcée ».
Tout cela était prévisible. La situation s’était détériorée depuis quelques temps, et les dépenses militaires des pays du Caucase du Sud ont fortement augmenté ces dernières années. L’Azerbaïdjan, en particulier, a acquis des moyens militaires très importants, et de nombreux acteurs craignent que Bakou ne se décide à tester son arsenal, deux décennies après son conflit avec l’Arménie.
C’est là que la Russie rentre en jeu. Ce n’est un secret pour personne : Moscou appuie les deux camps – bien qu’officiellement, elle soutienne les troupes arméniennes stationnées dans une base du district de Gyumri. En 2012, le Kremlin a envoyé des soldats lors des plus grandes manoeuvres militaires qu’ait connu la région. Mais la Russie vend parallèlement des armes et des équipements militaires à l’Azerbaïdjan.
« Avec Poutine de retour au Kremlin, je pense que l’objectif de la Russie est de maintenir le statu-quo » a déclaré Thomas de Waal, membre éminent de la Fondation Carnegie et auteur de Black Garden : Armenia and Azerbaijan Through Peace and War. « Les Russes ne veulent pas d’une guerre qui les obligeraient à prendre clairement partie en faveur de l’Arménie, mais ils n’ont pas non plus l’air de vouloir la paix. La Russie a choisi de bloquer la situation et de maintenir son influence. »
Chaque camp cherche le soutien de Poutine, et cela fonctionne – surtout pour l’Arménie. À la fin de la guerre du Haut-Karabakh en 1994, la Turquie a fermé sa frontière avec l’Arménie, ce qui a entrainé l’isolement du pays et a incité les dirigeants arméniens à réclamer le soutien de la Russie. Sans surprise, l’Arménie a annoncé – en même temps que l’Ukraine – la fin de son partenariat avec l’UE en vue d’une adhésion et son intégration dans l’Union douanière russe.
Un conflit au Haut-Karabkh pourrait rapidement s’étendre aux régions limitrophes. La Turquie soutient l’Azerbaïdjan, tout comme Israël qui a d’ailleurs vendu des armes et de nombreux drones à Bakou – officiellement pour maintenir la pression sur son voisin iranien (qui supporte l’Arménie). Dans un câble diplomatique américain daté de 2009 publié par Wikileaks, le président azéri Ilham Aliyev décrivait la relation de son pays avec Israël comme un « iceberg immergé à 90% ». Ainsi, un enchevêtrement d’alliances régionales se cristallise autour du Haut-Karabakh.
Il est néanmoins possible que ces relations diplomatiques s’arrêtent brusquement. Les négociations de l’OSCE sont menées par le Groupe de Minsk, présidé par les États-Unis, la Russie et la France. Or, les doutes subsistent concernant la survie de ce groupe, notamment au vu de la relation actuelle entre Moscou et Washington. Selon l’ambassadrice Leach, les conséquences d’une dislocation seraient dramatiques étant donné qu’aucune autre solution viable n’existe.
La résolution du conflit pourrait bien entendu venir de l’intérieur même de la République du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont des armées puissantes, et le Haut-Karabakh dispose de sa propre force de défense. Depuis l’annexion de la Crimée, les autorités de cette République autoproclamée font entendre leur voix et ne se contentent plus d’être défendues par l’Arménie. Plus tôt dans le mois, Robert Avetisyan, le représentant du Haut-Karabakh aux États-Unis, m’a confié : « Nous voulons que le Haut-Karabakh soit vu comme le principal acteur des négociations avec l’Azerbaïdjan ».
Certaines personnes pensent que la seule solution concevable serait l’organisation d’un référendum sur la souveraineté du Haut-Karabakh. Mais il existe encore des frictions quant aux électeurs de ce référendum : les Azéris exilés du territoire seraient-ils autorisés à participer au scrutin ?
Paradoxalement, au regard de la situation en Crimée, l’Azerbaïdjan doit faire preuve de prudence. La crise ukrainienne a souligné la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie et a accéléré la recherche d’alternatives non-russes. L’Azerbaïdjan pourrait être la solution. « La région caspienne, dont l’Azerbaïdjan est le leader, est la seule alternative à la Russie », a déclaré George Friedman, directeur de l’Institut d’analyse de risques Stratfor. L’Europe travaille déjà à étendre les gazoducs d’Azerbaïdjan vers le continent. En décembre, Bakou a signé un contrat de 33 miliards d’euros avec BP, faisant ainsi de la Grande-Bretagne le plus important investisseur étranger du pays.
Cette problématique énergétique explique peut-être pourquoi certains États européens ont fermé les yeux sur les récentes atteintes aux droits de l’Homme perpétrées par le régime de Bakou – dont certaines au Haut-Karabakh. Un journaliste et une militante des droits de l’Homme ont récemment été arrêtés sous couvert d’espionnage pour l’Arménie. « En Azerbaïdjan, une des conséquences du conflit au Haut-Karabakh est le développement d’une paranoïa face à de prétendus espions azéris » explique Rachel Denber, experte de la région pour Human Rights Watch. Des incidents ont éclaté lorsque les autorités azéris ont exacerbé le nationalisme de la population afin de lutter contre toute forme de sympathie envers les Arméniens.
Il est probable qu’aucune des deux parties ne souhaite la guerre. Mais l’invasion de la Géorgie par la Russie en 2008 a prouvé que des imprévus pouvaient survenir lorsque des tensions ethniques, des revendications nationalistes et des intérêts russes entraient en jeu.
Dans ce contexte, l’ambassadrice Leach espère que ces nouveaux acteurs deviendront familiers avec la situation du Haut-Karabakh, région oubliée de la scène géopolitique internationale.
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