Le gouvernement fédéral préparait des mesures législatives pour autoriser la police à obtenir sans mandat des renseignements sur les Canadiens, au moment même où il menait une consultation nationale dans laquelle il feint l’incertitude sur cette question.
Pourtant, la Cour suprême du Canada avait déclaré inconstitutionnel ce programme d’accès sans mandat.
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Des documents, que VICE a obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, font état de rencontres d’un groupe de travail fédéral-provincial sur la cybercriminalité, qui a recommandé la préparation des nouvelles mesures législatives pour redémarrer ce programme. Ce que dit précisément cette loi se trouve dans un rapport qu’Ottawa refuse de rendre public, contre l’avis de la fonction publique.
Ces documents s’ajoutent à une grande quantité d’information, que VICE a obtenue, montrant que le gouvernement Trudeau prépare le terrain pour l’octroi de nouveaux pouvoirs d’enquêtes, tout en veillant à ce que l’information à propos des tactiques de surveillance de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou du Service canadien du renseignement (SCRS) reste hors du domaine public.
Le programme qu’Ottawa cherche à relancer autorisait la police et les agences de surveillance, entre autres, à obtenir des données et des renseignements personnels sur les Canadiens sans mandat par l’entremise des compagnies de télécommunication, notamment. Bien que le gouvernement ait affirmé devant les tribunaux que cette pratique, qui ne laissait souvent aucune trace écrite, n’était qu’une façon pour la police d’obtenir des renseignements de base sur les abonnés pour trouver un nom et une adresse à partir d’un numéro de téléphone ou d’une adresse IP.
Mais des reportages dans les médias, dont VICE, et des documents présentés à la Cour suprême montrent que le programme servait constamment à obtenir des données personnelles pour lesquelles un mandat devrait normalement être requis. La Cour y a vu une tentative délibérée de relier une personne précise à des activités en ligne précises. Elle a conclu qu’il s’agissait d’une violation de la vie privée des Canadiens et ordonné son annulation, sauf en cas d’urgence.
Selon des notes internes et des déclarations préparées pour les médias que VICE a obtenues, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a insisté pour préparer des réformes législatives qu’avait recommandées le groupe de travail sur la cybercriminalité au cours d’une réunion des ministres fédéral et provinciaux de la Justice et de la Sécurité publique en septembre dernier.
Dans les documents, il n’y a aucune mention relative à la supervision ou à des contrôles, mais on soutient que le gouvernement veillera à l’équilibre entre le droit à la vie privée et la nécessité d’obtenir ces données.
« Aucune nouvelle disposition législative portant sur les renseignements de base sur les abonnés n’a été préparée et aucune autorisation d’en préparer une n’a été accordée », nous a répondu le ministre Goodale. On « élabore des propositions de ce que pourraient être les mesures législatives », insiste-t-il.
Les chefs de police et le SCRS luttent pour que ce programme soit restauré depuis 2014. Dans une résolution qu’elle a adoptée, l’Association canadienne des chefs de police dit vouloir une loi permettant aux « forces de l’ordre l’autorisation d’obtenir, en temps réel ou presque en temps réel, des renseignements de base sur les abonnés auprès des fournisseurs de services de télécommunication ».
Des avocats et des experts ont réagi en affirmant que, bien qu’il puisse être raisonnable de permettre à la police de relier un numéro de téléphone ou une adresse IP à une personne ou une adresse, une supervision judiciaire reste nécessaire pour prévenir les abus.
Dans le cadre d’une consultation publique du gouvernement Trudeau menée en 2016, on a demandé aux Canadiens leur avis sur une variété de questions, comme la possibilité de mettre en œuvre une version du programme d’accès sans mandat. Le ministre Goodale voulait « entendre les Canadiens au sujet de l’accès aux renseignements de base sur les abonnés ».
Mais la décision d’aller de l’avant avec des réformes législatives a été prise trois mois avant la fin prévue de la consultation.
Le fondement de la décision, le rapport d’un groupe de travail fédéral-provincial spécial sur la cybercriminalité, reste secret. Les notes internes obtenues cette semaine disent que le ministère de la Sécurité publique appuie la publication d’un résumé du rapport.
VICE a tenté à plusieurs reprises de mettre la main sur le rapport du groupe de travail, auprès des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu’au moyen de la Loi sur l’accès à l’information, mais n’a essuyé que des refus.
Un porte-parole du ministre Goodale a expliqué par courriel que « le rapport serait rendu public à la discrétion des ministres de la Justice et de la Sécurité publique du fédéral, de provinces et des territoires ».