Le décor est planté pour la première Coupe du monde de football d’hiver jamais organisée. De nouveaux stades, des lignes de métro et toutes sortes d’infrastructures ont été construits mais, alors que le monde entier a les yeux rivés sur le Qatar, l’État arabe continue d’avoir mauvaise presse. Les scandales de corruption, les violations des droits de l’homme et les conditions de jeu extrêmes sont devenus synonymes de ce tournoi.
Le foot a le pouvoir d’unir et de guérir autant que de laver le cerveau. Quand la Coupe du monde commencera, il y a de fortes chances que les questions pratiques et éthiques autour de la compétition passent à la trappe. Si ça devait arriver, voici un petit récap des plus gros problèmes avec ce tournoi.
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La corruption
En mai 2015, les autorités suisses ont fait une descente dans un hôtel de Zurich et ont arrêté sept hauts responsables de la FIFA. Cette opération faisait suite à une longue campagne du FBI visant à exposer une conspiration criminelle vieille de plusieurs décennies dans les hautes sphères de ce sport. Le nœud de l’affaire ? Des fonctionnaires de la FIFA avaient accordé des voix aux hôtes potentiels de la Coupe du monde (principalement la Russie et le Qatar) en échange de pots-de-vin.
Sur les 22 membres du Comité exécutif de la FIFA qui ont voté en faveur de la candidature du Qatar pour la Coupe du monde en 2010, 15 ont depuis fait l’objet de poursuites pénales. En échange des votes, Mohammed Bin Hamman, magnat qatari de la construction, a effectué des paiements illicites d’une valeur de 880 millions de livres sterling à divers responsables d’associations nationales de football.
Pour beaucoup, il est effarant qu’en dépit de cette corruption bien documentée, la Coupe du monde ait quand même lieu. Alors, pourquoi ? Eh bien, les autorités affirment que, comme une grande partie des travaux d’infrastructure était déjà achevée lorsque le scandale de corruption de la FIFA a éclaté, il aurait été impossible de priver le Qatar des droits d’organisation. Ce raisonnement reviendrait à dire que si un inspecteur découvrait les plans élaborés d’un tueur en série, il déciderait que les plans sont si bons qu’il serait dommage de l’arrêter en si bon chemin.
La mort de travailleurs migrants
Lorsque les stades tout beaux tout neufs de la capitale qatarie seront dévoilés en novembre prochain, ayez une pensée pour celles et ceux qui ont payé ce tournoi de leur vie. En février 2021, une enquête du Guardian a révélé que 6 500 travailleurs migrants étaient morts au Qatar depuis l’attribution de la Coupe du monde, principalement des hommes originaires d’Asie du Sud. Sous le système de parrainage Kafala, qui fait des employés des travailleurs sous contrat ne pouvant pas quitter le pays sans un visa de sortie assuré par leur employeur, ces ouvriers ont subi des conditions assimilables à de l’esclavage moderne.
Si de récentes réformes du travail ont mis fin au système de Kafala, le projet de construction de la Coupe du monde n’en est pas moins basé sur de faibles salaires, des conditions médiocres et une « culture de la peur », dans laquelle des travailleurs au franc-parler ont été emprisonnés pour « diffusion de fausses informations ». Ce déséquilibre du pouvoir a en partie conduit Human Rights Watch à qualifier de « conditions de vie surpeuplées et insalubres », alors que les travailleurs effectuaient généralement des journées de travail de 14 à 18 heures.
Le résultat ? Des décès tragiques et qui auraient pu être évités. Le Bangladais Mohammad Shahid Miah est mort électrocuté à cause de câbles exposés dans son logement. Un nettoyeur, Ghal Singh Rai, s’est tué une semaine après son arrivée du Népal. De nombreux autres décès soudains et inexpliqués ont été enregistrés. La souffrance de ces hommes et de leurs familles est la conséquence la plus honteuse de cette Coupe du monde.
L’attitude à l’égard des personnes LGBTQ
Une autre préoccupation d’ordre éthique : la persécution des personnes LGBTQ+ au Qatar, un pays où l’homosexualité est illégale et passible d’emprisonnement. L’arrière gauche australien d’Adelaide United, Josh Cavallo, le seul footballeur masculin de première division ouvertement gay au monde, a exprimé son inquiétude à l’idée de se rendre au Qatar. De nombreux supporters LGBTQ+ craignent également un accueil hostile. Le ministre des affaires étrangères, James Cleverly, a suggéré aux supporters LGBT de se montrer « respectueux » et de faire preuve de « souplesse et de compromis » s’ils prévoient d’assister à la Coupe du monde.
La FA a de son côté assuré aux fans anglais gays qu’ils ne seraient pas arrêtés pour manifestation publique d’affection (phrase horrible). Mais les supporters ne sont pas les premières victimes – les citoyens qataris LGBTQ+ sont confrontés à un climat d’hostilité tout au long de l’année. Les organisateurs de la Coupe tentent de faire bonne figure, utilisant une architecture tape-à-l’œil et le pouvoir inégalé du football en relations publiques pour tromper gentiment les visiteurs. Mais une fois que tout le monde sera parti, les LGBT de nationalité qatarie vont continuer à souffrir.
Ça se passe dans le désert…
L’organisation d’une Coupe du monde estivale dans des conditions climatiques désertiques dépassant les 40°C est impossible. Mais la décision de déplacer le tournoi en hiver a mis en colère à la fois les traditionalistes du tournoi et les téléspectateurs habitués à des Coupes du monde très chaudes, caractérisées par des festivités estivales arrosées de bière. La plupart des fans de foot vont probablement suivre la coupe à la télévision, mais l’intérêt des tournois internationaux n’est-il pas de permettre aux personnes qui ne s’intéressent pas particulièrement au foot de profiter d’un cocktail d’optimisme national aveugle, de solidarité collective et de consommation d’alcool en excès ? On peut dire que le monde a plus que jamais besoin de cette joyeuse distraction.
L’expérience du supporter ? Un enfer sur terre
Les supporters de football anglais sont généralement connus pour être chahuteurs, torses nus et de gros buveurs de bière. Mais ils auront du mal à faire honneur à cette réputation au Qatar. Les boissons alcoolisées ne seront servies que dans les bars et restaurants des hôtels quatre et cinq étoiles de Doha, qui seront inévitablement bondés. Et même si vous arrivez au bar, vous devrez débourser 12 à 15 £ (14 à 18 euros) pour une pinte. En 2021, le Qatar a été désigné comme le lieu au monde où la bière est la plus reuch.
« Doha est l’endroit le plus chiant que j’aie jamais visité de ma vie » – Tom Williams, journaliste de The Athletic.
Par ailleurs, des images récentes des cabines hors de la ville utilisées pour l’hébergement des supporters ont montré qu’un nombre inquiétant de constructions n’ont pas encore été achevées. Les droits de retransmission du tournoi sont si chers que de nombreux cafés, restaurants et hôtels n’ont pas les moyens de payer les droits de retransmission des matchs. Certains hôtels ne diffuseront même pas les matchs en direct ! Évoquant la perspective d’une ambiance de carnaval à Doha, Tom Williams, de The Athletic, a récemment décrit la ville comme « l’endroit le plus chiant que j’aie jamais visité de ma vie ». Génial.
Que se passera-t-il une fois la compétition terminée ?
Les Coupes du monde ont la réputation d’être synonymes de réjouissance à court terme et de gâchis à long terme. Après la Coupe du monde de 2014 au Brésil, de nombreux stades construits avec l’argent des contribuables sont tombés en ruine. Ne soyez pas surpris si cela arrive aussi au Qatar.
Pour être juste envers les organisateurs, plutôt que de risquer que les terrains s’effondrent, ils démonteront de nombreux nouveaux stades et distribueront des tronçons de tribunes aux nations voisines. Ce qui nous amène à la question suivante : pourquoi la FIFA n’a-t-elle pas attribué les droits d’organisation à un pays d’Asie occidentale ou d’Afrique du Nord disposant d’une infrastructure footballistique et d’un système de championnat national durable ? La réponse à cette question se trouve probablement dans le compte en banque du pays hôte.
Dans ces conditions, il est incroyable que le Qatar accueille la Coupe du monde 2022. Les gens ont raison de dire que les fans de football du Qatar méritent de vivre une Coupe du monde dans leur pays, mais pour beaucoup, ça ne suffit pas à justifier cette décision. Il y a un équilibre à trouver entre la volonté de développer le football dans le monde et celle de le céder au plus offrant, sans se soucier des violations des droits humains ou de l’expérience des spectateurs.
Malgré tout ce qui se passera cet hiver, et même si des superstars comme David Beckham tentent de masquer la réalité à coup d’opérations de RP scandaleuses, la Coupe du monde du Qatar laissera un arrière-goût que les fans de football ne sont pas près d’oublier.
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