Tenter d’expliquer précisément ce qu’est le shred, c’est prendre le risque de se faire avaler par la spirale dans laquelle Jean-Pierre Raffarin est tombé un matin de 2005, au terme d’une conférence de presse à Matignon, dans laquelle il abordait l’épineux sujet du référendum sur le traité de Rome.
Déjà, écartons d’emblée toute ambiguïté : nous ne parlons pas ici de shredding (fait de balancer des semi-remorques de notes sur une guitare en un minimum de temps et avec un maximum d’effets et de techniques, du tapping au sweeping en passant par les solos sur gamme mineure harmonique et les imitations de cris d’animaux type hénissement de mustang), ni de shredders (übermensch de la six cordes qui pratiquent le shredding, genre Steve Vai, Chris Impellitteri ou Yngwie Malmsteen).
Non, le shred se réfère ici à une pratique qui, mise entre de mauvaises mains, aurait pu se limiter à un simple meme mais qui, grâce à une poignée de génies, a réussi à accéder au rang d’art véritable. Comment résumer le shred en une phrase ? Disons que ce sont des types qui jouent tellement bien qu’ils ont décidé de jouer volontairement hyper mal et de le faire tellement bien que ça en devient totalement surpuissant. Vous suivez ? Pas grave. Vous allez comprendre. Voici le guide Noisey du shred.
L’INITIATEUR
La légende voudrait que le shred ait vu le jour en 2007, avec une série de vidéos réalisées par un musicien et artiste multimédia finlandais du nom de Santeri Ojala. Comme on le verra par la suite, c’est presque vrai. « Presque », car le véritable initiateur du mouvement artistique majeur de ces 10 dernières années est en réalité apparu un peu plus tôt, courant 2005, dans l’anonymat le plus total, livrant à la Société-Internet une oeuvre composée d’une seule et unique pièce : une spectaculaire version du classique de Danzig, « Mother », extrait du premier album du groupe sorti en 1988 (mais qui ne deviendra un tube thermonucléaire que cinq ans plus tard, grâce à la version live figurant sur le EP Thrall / Demonsweatlive). Un shred total s’il en est, car bien qu’a priori concentré sur la voix de l’ex-leader des Misfits, il n’en oublie pas pour autant la piste instrumentale (comme le prouve cette funeste errance mélodique à 2:22) ni les bruitages inopinés (superbe cri de coq à 3:10).
Videos by VICE
Autre shred notable de la deuxième vague : la reprise du « One » de Metallica par Korn sur MTV Icon. Outre la ligne de chant infernale de Jonathan Davis et l’arrivée de la disto avec un demi-temps de retard façon « Fête De La Musique », le vrai coup de génie ici, c’est le coup des dreadlocks qui fouettent le micro. Nul Zadiste ne s’était figuré l’indisposition avant la mise en ligne de ce chef d’oeuvre.
LA SYNTHÈSE MassbetelnutL’EXPÉRIMENTATION
La marque des vrais génies : à chaque nouvelle oeuvre, faire table rase et tout reprendre à zéro, si possible dans le sens inverse. C’est exactement ce que fera Massbetelnut qui, après avoir mis le peuple à genoux, lui assène une cuisante tourlousine avec « Les Princes Des Villes » de Michel Berger, shred au-delà du shred qui marque la rencontre entre Can, Whitehouse, Pierre Schaeffer et William Basinski.
LA HAINE Live At Pompeii
Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il est persuadé qu’un jour, après l’apocalypse, après la bombe, un groupe de survivants découvrira le shred et bâtira une civilisation entière sur ses préceptes.