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Le guide ultime pour devenir cannibale

En librairie, les guides sur la bouffe ne manquent pas. Chaque année, on peut se taper le guide Michelin, Le Fooding ou encore le Foodbook Omnivore pour se tenir au courant des derniers restaurants à la mode. Mais il y a aussi les éternels « 20 meilleurs burgers de [insérer la ville de votre choix] », le « Top Cinquante des meilleurs burgers du monde » ou encore « Non sérieux, franchement, voici la liste ultime des meilleurs burgers » — et ces derniers envahissent les rayons et le web quotidiennement. L’omniprésence de tous ces classements dans le paysage culinaire est devenue telle, que si des visiteurs extraterrestres débarquaient demain sur Terre, ils s’interrogeraient très probablement sur la capacité des humains à choisir un plat au restaurant sans que ce dernier n’ait été au préalable validé par au moins deux blogs bouffe différents et trois guides pour « foodies » en goguette — et on l’aurait bien mérité.

Force est de constater que le guide d’Antonio Cascos Chamizo se positionne sur un tout autre créneau. Dans To Eat or to be Eaten, A Guide to Cannibalism, on trouve des schémas de découpe bouchère pour détailler la viande humaine que l’on peut ensuite accommoder à loisir grâce à une sélection de différentes recettes cannibales, comme le tartare d’humain à la mangue ou encore le bifteck d’homme au cidre.

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Illustrations de chair humaine en pâte à modeler, A Guide to Cannibalism.

Antonio n’est pas un tueur en série à qui l’on aurait donné une tribune pour partager ses lubies cannibales tout droit sorties des films de Ruggero Deodato. Non, Antonio est un étudiant espagnol diplômé de la faculté des arts d’Oslo et son guide s’inscrit dans son mémoire de fin d’études. Un projet qui l’a également amené à imaginer une série de récipients de vaisselle évoquant différentes parties du corps humain, toutes fabriquées avec l’aide d’authentiques poils et cheveux.

La page du guide intitulée « infos pratiques » fout quand même un peu mal à l’aise : on y découvre qu’un corps humain moyen « contient suffisamment de viande pour nourrir une personne pendant un mois entier » et « assez de protéines pour subvenir aux besoins nutritionnels journaliers de 60 adultes. »

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Pour finir de convaincre l’apprenti cuisto-cannibale qui sommeille en chacun de nous, le guide souligne aussi le fait que pour les citoyens « des Etats-Unis ou de n’importe quel pays européen, aucune loi n’interdit noir sur blanc de manger de la chair humaine ». Comme ça a l’air plutôt OK de bouffer de la chair humaine, il ne reste plus qu’à se mettre d’accord sur la meilleure manière de la cuisiner.

On a donc contacté Antonio pour discuter avec lui de la consommation de viande rouge en général et des problèmes qui y sont liés. Pour rappel : Antonio n’est pas un psychopathe bouffeur de chair humaine, mais juste un de ces designers hyper-sympathiques comme on en trouve partout à Oslo.

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MUNCHIES : Salut Antonio. Dis-moi, comment tu as eu l’idée d’écrire un guide pour manger comme un cannibale ?

Antonio Cascos Chamizo : J’étais à la recherche d’un concept suffisamment illusoire pour venir bousculer les idées reçues et les références culturelles préconçues. Je suis tombé sur les écrits de deux explorateurs allemands, Johann Baptist von Spix et Karl Friedrich Philipp von Martius, qui décrivent leur voyage en Amérique du Sud en 1817 et leur rencontre avec la tribu Miraña.

Quand ils ont rencontré pour la première fois la tribu, ils ont demandé à un des chefs pourquoi leur peuple pratiquait le cannibalisme. Le chef trouvait bizarre l’idée même que des personnes puissent trouver la pratique choquante : « Vous les blancs ne mangez pas de crocodile ou du singe alors que c’est bon. Si vous n’aviez pas autant de porcs et de crabes, vous mangeriez des crocodiles et des singes. Ce n’est qu’une question d’habitude. Quand j’ai tué un ennemi, c’est mieux de le manger que de le laisser pourrir. »

C’est un argument à prendre en compte !

Ça m’a vraiment choqué et m’a fait réfléchir sur la possibilité d’explorer un tabou alimentaire tel que le cannibalisme de manière artistique. C’est un bon moyen de tester les frontières du relativisme culturel. Mon travail oblige à réfléchir sur ce que le comportement humain considère comme acceptable ou non, et ça remet au centre des débats la question de ce qui est « éthique » ou pas.

A human butchery diagram featured in To Eat or to be Eaten—A Guide to Cannibalism. Image courtesy Antonio Cascos Chamizo.

Il faut dire que les illustrations sont plutôt suggestives.

Comme c’est un énorme tabou dans notre société, le cannibalisme provoque des émotions complexes et donne lieu à un certain malaise — C’est là où débute la conversation.

D’accord. Mais tu crois que les humains devraient avoir le droit de se bouffer entre eux ?

Souvent, les coutumes ressemblent davantage à des habitudes. Ce n’est pas à moi de dire si un tel comportement est acceptable ou non. Mais il faut savoir que dans la plupart des pays occidentaux, il n’y a pas réellement de loi qui interdit de manger de la chair humaine.

Le guide donne des recettes pour cuisiner de la viande humaine. Tu peux m’en dire un peu plus ?

Ce sont de vraies recettes que j’ai adaptées. Je les ai faites avec différentes viandes animales qui partagent des propriétés gustatives très proches de la viande humaine. Ça vaut le coup de les essayer !

Il y a aussi des schémas qui montrent comment découper correctement un corps humain. Quel genre de recherches t’a fait pour arriver à une telle précision ? Je suppose que tu n’as pas réellement mutilé des corps humains.

Non, je te rassure ! C’était facile, j’ai simplement étudié les propriétés des différents muscles et des différentes zones du corps humain. Je me suis aussi aidé des schémas de découpe qui existent déjà pour les animaux.

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“The Hairy Bowls,” vessels designed by Chamizo to look like human body parts.

En dehors de ces schémas, qu’est-ce qu’on peut trouver d’autre dans ton livre ?

Je propose aussi des accords vin et viande et je donne des indications sur les parties du corps humain qui ne sont pas comestibles ou qui sont à éviter — soit parce qu’elles ont de faibles valeurs nutritionnelles et sont difficiles à digérer, soit parce qu’elles peuvent causer des troubles et des dégénérescences neurologiques.

Intéressant. Le projet inclut aussi quatre récipients qui font penser à des morceaux de corps. Peux-tu m’expliquer de quoi il s’agit ?

Les « Hairy Bowls » sont la partie commerciale de A Guide to Cannibalism. Je voulais que les objets s’inscrivent dans la continuité du guide. Si les récipients sont présentés en dehors de ce projet, ils seraient justement victimes du tabou et provoqueraient sans doute du dégoût.

Je voulais que ces objets interpellent au-delà de leur seul aspect visuel. En les utilisant, les gens sont confrontés au cannibalisme et au tabou qui entoure cette pratique, notamment parce qu’ils sont amenés à les manipuler. Je me suis donc mis à travailler avec des cheveux humains et des matériaux qui ressemblent à de la chair humaine en termes de texture, de reliefs et de souplesse.

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Le guide présente également le cannibalisme comme une solution potentielle pour remédier aux problèmes alimentaires liés à la surpopulation ou les famines. C’est une manière de faire réagir les gens, de les choquer ?

Exactement, c’est mon intention. Le projet n’est absolument pas de faire l’apologie du cannibalisme mais plutôt d’attirer l’attention sur le manque de ressources alimentaires, la surpopulation et les dérives du consumérisme. Mon intention était de mettre en place un concept illusoire — mais probable — afin d’ouvrir un espace de discussion et de réflexion. C’est un peu comme si je proposais un monde parallèle, qui reste dans l’ordre du possible d’une certaine manière : ça pousse les gens à réfléchir sur notre présent mais aussi sur les enjeux de notre avenir.

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Merci d’avoir parlé avec nous, Antonio.

Non, merci à vous. Ça me fait plaisir que vous ayez compris qu’il est question de militantisme et de communication dans ce projet, et non de manger ses voisins !

Dernière recommandation : ce livre est à utiliser uniquement à des fins de divertissement.