Culture

Le guide VICE du film d’horreur folk

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Si Midsommar a de grandes chances d’être le carton horrifique de l’été, c’est parce que le deuxième film d’Ari Aster (après l’excellent Hérédité sorti l’année dernière) semble vouloir réinjecter un vent nouveau à un genre dont on nous répète régulièrement qu’il souffre d’une grosse fatigue artistique. Si les critiques soulignent à juste titre le caractère irréel et inhabituel du film (ça se passe en plein jour, il n’y a pas de jump scares, tout ça), certains semblent pourtant occulter qu’il s’inscrit dans un sous-genre d’épouvante relativement obscur, le folk horror movie, né en Angleterre à la fin des années 60 avec The Wicker Man comme principale figure tutélaire.

Midsommar rend d’ailleurs ouvertement hommage au film de Robin Hardy de 1973, en partageant avec lui certains points saillants de l’intrigue – en gros, un héros (ou une héroïne ici) se retrouve piégé loin de chez lui/elle au milieu d’une communauté païenne qui s’adonne à des rites disons, « archaïques ». Et vu le succès que Midsommar risque de rafler, gageons qu’il fera sûrement des petits. Ce qu’on ne lui souhaite pas vraiment à vrai dire, sa force résidant en grande partie dans son étrangeté – ainsi que celle du genre qu’il invoque.

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Anglicisme

Y a-t-il un endroit plus adapté à la naissance du film d’horreur folk qu’un pays qui a attendu l’an de grâce 1951 pour abroger une loi édictée presque deux siècles plus tôt – le Witchcraft Act – punissant les citoyens dénonçant les actes de sorcellerie ? À l’époque, le Royaume-Uni connaît un retour de flamme du paganisme et de tous les rites associés aux traditions préchrétiennes de l’île.

Parmi les plus fervents véhicules de cette tendance, on trouve Gerald Brosseau Gardner, écrivain ésotérique borderline mystique qui, en plus de publier des ouvrages sur la sorcellerie, Witchcraft Today (1954) ou The Meaning of Witchcraft (1959), participe à la diffusion d’un mouvement religieux plus connu sous le nom de wiccanisme.

Passionné d’occultisme, Gardner, qui apparaît barré d’un rictus diabolique et le cheveu hirsute sur les quelques photos qu’on a de lui – on raconte qu’il avait pour habitude de former avec son peigne deux pics évocateurs – parvient à remettre ce qu’il estime être une « ancienne religion » au goût du jour.

La wicca est un pot-pourri de toutes les civilisations qui ont mis un jour les pieds en Angleterre depuis le Mésolithique et cette étrange manie d’empiler les gros cailloux. Influences gaélique, picte, calédonienne, slave, celtique, nordique ou romaine se mélangent pour donner naissance à un courant néopaganiste qui s’exportera ensuite dans toute l’Europe.

Contrairement aux cultes observés dans les films d’horreur folk, la wicca n’encourage pas les sacrifices humains et ne prépare pas l’avènement de Baphomet mais prône plutôt une magie bienveillante qui respecte la nature. Ce qui n’a pas empêché certains scénaristes d’aller puiser dans les témoignages historiques comme celui de Jules César qui écrit dans le livre VI de La Guerre des Gaules :

« Tout le peuple gaulois est extrêmement religieux (…) Ils pensent, en effet, que le rachat d’une vie humaine par une autre vie humaine peut seul apaiser les dieux immortels. (…) Certains peuples ont des mannequins de taille colossale, en osier tressé qu’ils remplissent d’hommes vivants ; on y met le feu et les hommes périssent ainsi carbonisés. »

Il faudra attendre 1968, quatre ans après la mort de Gardner pour que le pionnier du sous-genre sorte en salles. Il s’agit de Witchfinder General de Michael Reeves avec Vincent Price, premier opus de la fameuse Unholy Trinity à l’origine du sous-genre.

La longue tradition locale du cinéma d’épouvante incarnée par les studios de la Hammer est l’autre terreau purement britannique et propice à la naissance des films d’horreur folk. Au début des années 1970, la société de production traverse pourtant une crise causée par l’essoufflement des figures cultes que sont Dracula, Frankenstein ou La Momie, usées jusqu’à la corde. Les films d’horreur folk en profitent eux, avec l’aide des acteurs estampillés Hammer comme Peter Cushing ou Christopher Lee.

Étrangement, la Hammer ne s’était pas rendu compte que les forêts du Sussex ou de l’Hertfordshire filmées pour représenter celles de Transylvanie se suffisaient à elles-mêmes. Si les films d’horreur folk ont connu un certain succès, c’est aussi grâce aux paysages anglais. Ben Wheatley, réalisateur d’A Field in England et de Kill List reconnaissait lui aussi la puissance de cet environnement :

« J’ai grandi dans l’Essex, à côté d’une forêt et je faisais des cauchemars particulièrement précis. Je rêvais par exemple de manière récurrente d’une ferme qui n’était pas loin de la maison – et j’en rêve encore. Pour moi, c’était une sorte de peur primale de l’environnement dans lequel je vivais. Je crois qu’avec le temps, ça s’est transformé en un intérêt prononcé pour la campagne et comprendre pourquoi elle est flippante et, par extension, pourquoi l’Angleterre est si flippante ».

Enfin, l’apparition des films d’horreur folk peut aussi s’expliquer par le contexte politique et social. Dans Folk Horror : Hours Dreadful and Things Strange, Adam Scovell, auteur et cinéaste, précise que le sous-genre est bien un produit de son époque. Qu’il est autant une émanation des Swinging Sixties que le symptôme d’une désillusion post-hippie. Il ajoute que le fantasme d’une vie en harmonie avec la nature s’est progressivement éteint avec le début des années 1970, le rêve de libération collective se transformant en cauchemar New Age à base d’épanouissement personnel.

À quoi reconnaît-on un film d’horreur folk ?

Dans une interview donnée à Fangoria au début des années 2000, Piers Haggard, réalisateur de The Blood on Satan’s Claw, autre tiers de la Unholy Trinity, décrivait les films d’horreur folk (c’est même lui qui a inventé le terme) comme un « sentiment » plus qu’un sous-genre.

On trouve pourtant à travers les œuvres des éléments récurrents : paganisme, folklore rustique et occultisme. On pourrait y ajouter pêle-mêle alphabet runique, consanguinité, sacrifice de vierges, bad-trip hallucinogènes, couronnes de fleurs sur les têtes des jeunes filles en fleur, etc.

Le socle de la Unholy Trinity

Si certains aujourd’hui (Adam Scovell, toujours) datent le premier film d’horreur folk à 1922 (en parlant du film suédois à l’esthétique documentaire Häxan), c’est véritablement sa Unholy Trinity évoquée plus haut qui en constitue le socle esthétique, culturel et historique. Soit trois films anglais plutôt fauchés réalisés entre 1968 et 1973 donc, et aux atours pas forcément similaires – ce qui a contribué, en outre, au flou artistique qui a entouré le genre ensuite.

Witchfinder General (1968) raconte l’histoire d’un chasseur de sorcières du XVIIe siècle placé par le Parlement pour enquêter sur des actes de sorcellerie et de satanisme prétendument commis dans l’est de l’Angleterre. Gravement corrompu, il en profite pour torturer des innocents et violer de prétendues sorcières avant de les pendre sauvagement.

L’action de The Blood On Satan’s Claw (1971) se passe dans un village au début du XVIIe siècle, dans lequel les enfants sont peu à peu tous possédés par le diable.

Enfin, The Wicker Man (1973), sans doute le plus connu (et le meilleur) des trois films, raconte l’histoire d’un policier anglais qui se rend sur une île au large de l’Écosse afin d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Sur place, il se rapidement compte que la petite communauté apparemment bienveillante se pique de rituels païens, de vénération d’un « Dieu-osier », de danses nues sur l’herbe, et accessoirement de sacrifices humains lorsque la récolte annuelle du maïs n’a pas été bonne.

De prime abord, ces trois films portent un jugement moral variable sur les communautés et les individus qu’ils dépeignent, et charrient chacun des esthétiques et des enjeux différents. Si The Blood on Satan’s Claw pourrait être le plus moralisateur du lot (dans sa façon de s’attaquer plus moins frontalement à la disparition des valeurs chrétiennes de l’époque hippie), Witchfinder General s’attaque lui aux dérives du clergé (et par extension des hommes de pouvoir) et à leur manière de contrôler les foules à coups de superstitions archaïques. En ce qui concerne The Wicker Man, même si la mort du personnage principal est tragique, pas sûr que notre sympathie aille non plus à sa ferveur dévote et rigide, elle aussi complètement à côté de la plaque.

Ce qui lie ces films, c’est le folklore qui entoure et enveloppe ces communautés – qui reste quant à lui imperturbable, et qui fait naître ainsi véritablement la terreur. Le sacrifice final du héros de The Wicker Man ne résout pour ainsi dire rien, mais peu importe : ce qui compte, c’est que la foi perdure, que le mysticisme demeure, que les rites et les sacrifices continuent. Comme si, ce qui importait avant tout, c’était que l’inéluctable arrive à bon port.

Pourquoi le film d’horreur folk revient

À partir de 2010, le genre, qui n’avait pas été véritablement théorisé jusqu’alors (mais qui s’était s’est dispersé depuis les années 70 en retenant un zeste cosmétique de psychédélisme et d’hallucination collective), a commencé à être progressivement conscient de lui-même. Pourtant, à ce moment-là, tout ce qui touchait aux sacrifices humains, aux personnages secondaires brûlés vivants et à la ruralité n’était alors pas vraiment en vogue au cinéma. Ces motifs ne rentraient pas (encore) de manière aussi visible dans le bréviaire du genre que semble avoir consulté un film comme Midsommar, lequel obéit à la lettre aux tables de la loi des codes du film d’horreur folk, quand bien même pour s’en jouer – ne serait-ce que sa durée, pour le coup assez impie pour un film de genre.

Dans Eden Lake de James Watkins par exemple, petite chose de 2008 aux allures de survival en milieu chav, le personnage de Michael Fassbender se fait brûler vif, la communauté se referme sur elle-même et prend au piège un couple de jeunes gens bien venu passés un week-end tranquille au bord d’un lac. Le film, à l’instar de nombreux autres productions de cette période, va piocher à loisir dans différentes formes et codes de genre. Pour cet entre-deux pas encore décidé, on peut également penser à Kill List de Ben Wheatley, qui ne se révèle véritablement folk que dans son dernier tiers, ou encore les hybrides The Ritual (2017), Crow (2016), voire même le Village de Shyamalan, réalisé en 2004 mais qui témoigne déjà d’un goût pour les communautés repliées sur elles-mêmes en prise (ou non) avec des forces occultes.

The Witch (2015) de Robert Eggers, dont le titre complet est The Witch: A New England Folktale, est l’un des premiers films des années 2000 à ouvertement formuler un commentaire et un parti-pris sur le film d’horreur folk, au-delà du simple hommage trop appuyé (comme, au hasard, Apostle (2016) de Gareth Evans, clin d’œil pas très finaud à The Wicker Man qui tombe complètement à plat). En ancrant The Witch dans une réalité tangible (le film raconte l’histoire d’une famille de Puritains en Nouvelle-Angleterre au XVIIIe Siècle dont la fille serait, ou non, possédée par le diable), Robert Eggers tisse une toile de fond et un climat malaisants plus que véritablement effrayants – le fameux « sentiment » qui surplombe tout le canon folk. On ne sait jamais vraiment si le diable a effectivement infiltré la famille, ni si tout cela ne relève pas simplement d’une hallucination collective. Eggers a déclaré qu’il voulait évoquer un « cauchemar puritain » plus qu’un film d’horreur en tant quel tel, et que les réalisateurs d’horreur ne l’intéressaient pas tant que cela, voyant par exemple en Ingmar Bergman un véritable cinéaste d’épouvante, notamment par sa capacité à raconter « l’horreur intérieure ». Ce qui est très poseur comme déclaration, mais on comprend l’idée.

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The Witch, à l’instar de Midsommar, correspond à cette nouvelle génération de cinéastes empreints de cinéma de genre mais également de réalisme exacerbé – ce dernier point infiltrant jusqu’au blockbusters les plus mainstream de ces quinze dernières années, comme Batman, où le Joker est devenu un vulgaire terroriste et le justicier masqué un vigilante comme un autre.

Pour ce qui est du film d’horreur folk, Robert Eggers, Ben Weathley, et Ari Aster sont les trois noms qui ont émergé ces dernières années et qui ont contribué à dépoussiérer l’épouvante en lui injectant à la fois le réalisme suscité, ainsi qu’une dose d’imaginaire (de folklore, donc) salvatrice. Les trois se démarquent du tout-venant horrifique, non dans leur respect des conventions du genre (voire même dans leur manière de jouer avec ou de s’en détacher), mais dans leur volonté d’en faire un motif plus qu’une charpente scénaristique. En gros, on ne vient plus voir leur film pour claquer des dents, mais pour comprendre d’où vient la peur. Le cadre de l’histoire n’est plus secondaire, mais primordial, comme si les rapports entre la fonctionnalité du film de genre et les enjeux souterrains du récit étaient maintenant inversés. Dans une interview pour Vulture, Ari Aster déclarait récemment : « Pour moi, c’est la mise en place qui est toujours la plus intéressante quand je fais un film. Les morts sont presque subsidiaires. La raison pour laquelle le deuxième acte va fonctionner, c’est grâce à tout ce que tu auras construit précédemment dans le premier acte. »

Et effectivement, que ce soit dans Midsommar, ou à plus forte raison dans son précédent film Hérédité, ce n’est pas tant l’horreur et ses procédés qui comptent que ce qu’ils révèlent des névroses de leurs personnages, ainsi que du motif absolument terrifiant de la cellule familiale qui court chez Ari Aster. Détail surprenant : dans Midsommar, ce qui reste en tête longtemps après la séance, c’est qu’on se rend compte à quel point l’archétype du couple qu’on nous a présenté à l’écran n’avait pas été aussi bien filmé depuis des années – alors qu’on était censé être avant tout dans un film-qui-fait-peur, non ?

Plus loin, Ari Ester poursuit : « Ce qui m’a excité, c’était l’idée de faire un film d’horreur folk un peu désinvolte. Tous les éléments du genre y sont présents, mais ils sont presque périphériques. En général, quand on va voir ce genre de film, voici ce qu’on se demande : ‘’Ces gens vont probablement être sacrifiés. Comment vont-ils être sacrifiés ? À quel point est-ce que ce sera grotesque ? Est-ce que les morts vont être particulièrement fucked up ?’’ Ce qui, pour moi, n’est pas très intéressant. Le premier jalon que je me suis posé à moi-même, c’était d’obéir à ces codes, mais de les amener autre part en chemin. »

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