À la fin des années 90, le britannique Phil Parker, ostéopathe et gourou du développement personnel, a souhaité développer une nouvelle méthode pour aider ses patients à surmonter leurs problèmes de santé. Il s’est alors intéressé aux liens entre le corps et l’esprit, un sujet qui connaissait un regain de popularité à l’époque, notamment dans la recherche universitaire. Ses recherches et ses compétences lui permettent alors de se débarrasser d’une « blessure de la main extrêmement grave » en un temps record, comme il l’explique sur son site officiel.
Le Lightning Process – ou procédé éclair – était né. Il tire son nom d’une promesse : apprendre à contrôler son cerveau pour guérir spontanément d’une maladie chronique en un éclair. « C’est une méthode basée sur l’un des concepts-clés des neurosciences au cours des 20 dernières années : la neuroplasticité. Un cerveau peut se reconstruire. On s’est dit qu’il y avait une possibilité de contrôler ce phénomène ou en tout cas, de l’influencer », nous explique Michèle Chaudesaigues, l’unique praticienne française. Après cela, les descriptions de cette méthode deviennent plus floues. Sur les supports officiels, le LP est défini par ce qu’il n’est pas : ni un remède miracle, ni traitement médical, ni une thérapie de choc, ni un coaching. Ce qui est d’autant plus troublant que la neuroplasticité, un phénomène réel, est réputé pour son exploitation par de nombreux charlatans.
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Pour représenter cette méthode, les praticiens choisissent l’analogie du programme informatique. La maladie devient un logiciel bugué et le LP, un service de débogage. « Il y a un déclencheur qui a le choix entre deux réseaux dans le cerveau. Celui de misère, pour ne pas dire douleur, dépression, maladie, etc., ou celui de la bonne santé, explique la professionnelle française. J’apprends aux gens a intercepter ce déclencheur au démarrage du programme pour le réorienter vers le réseau du bien-être. » Pour apprendre à contrôler leur neuroplasticité et se reprogrammer vers la bonne santé, les clients doivent suivre une formation de 15 heures réparties sur trois jours.
Ni un remède miracle, ni traitement médical, ni une thérapie de choc, ni un coaching
Le lightning process a un grand champ d’applications. Les clients sont atteints de pathologies très diverses : syndrome de fatigue chronique, dépression, allergies, phobies, anxiété… Le site français de référence, tenu par Michèle Chaudesaigues, liste plus d’une dizaine de troubles. « J’ai guéri de la fibromyalgie, j’ai guéri de la dépression. J’ai même guéri de mes bronchites chroniques alors que j’en avais constamment depuis 50 ans, s’exclame la praticienne française. C’est difficile de l’expliquer à la mentalité française. Quand vous dites que vous soignez les allergies et les fibromyalgies, ils répondent « Vous êtes une charlatan, ces pathologies n’ont rien à voir ». Sauf que je ne soigne pas les maladies mais le mauvais fonctionnement du cerveau. Peu importe ce qui en vous va mal. Je me suis moi-même réduit une masse dans le sein, preuve à l’appui. » Malgré nos demandes, aucun document ne nous a été transmis pour prouver cette affirmation.
Le créateur du Lightning Process explique sa polyvalence par le fait que l’origine de la maladie psychique ou physique n’a pas d’importance, sauf pour les personnes atteintes de stress post-traumatique. « Dans le cas de personnes ayant un SPT ou une victime de viol, il est utile de connaître l’origine. Pour les aider à sortir de là, je mets ma casquette de thérapeute pour lever le blocage et les aider à reprendre le contrôle de la situation telle qu’elle était », ajoute Michèle Chaudesaigues. Notons que ces pathologies ne peuvent être diagnostiquées que par observations cliniques. Par exemple, pour la dépression, le manque de repères stables ne permet pas de proposer un avis impartial. D’un psy à l’autre, le diagnostic peut donc varier. « Les malades ayant des tests cliniques comme des prises de sang pour confirmer leur pathologie sont plus difficile à soigner. Il y a tellement de sciences et d’études que les clients ne sont pas capables de croire qu’ils peuvent inverser la tendance. Je préfère quand il n’y a pas de marqueurs ou preuve clinique car ils ne peuvent se raccrocher à rien, reconnaît Michèle Chaudesaigues. Ils ont juste besoin d’avoir la foi. »
Outre la foi, il faut aussi avoir le budget pour s’offrir le « LP ». Suivant la localisation de la formation, il faut débourser environ 600 livres au Royaume-Uni, 600 euros en France, 1 500 dollars en Nouvelle-Zélande et jusqu’à 2 000 dollars aux USA. Des frais conséquents pour trois jours de formation et un suivi téléphonique. Michèle détaille : « Même des années après, des clients ayant oublié leur LP me rappellent, au bord de la déprime. Ce n’est pas donné mais rapporté à l’heure et à ma spécialisation, ce n’est pas très cher. Payer 15 heures de kiné, par exemple, revient beaucoup plus cher. Comme tout le monde, j’ai besoin de vivre. Je suis en Nouvelle-Zélande. Je finance les voyages en France, les Airbnb, la voiture pour deux mois et demi. Tous les ans, je dois aussi payer à Phil Parker une licence par pays, du Continual professional development, un gros montant, et l’équivalent de 90 € par client. Je suis verrouillée par les royalties, je n’ai juste pas le droit de pratiquer le Lightning Process gratuitement. Ce métier me coûte de l’argent. Je travaille 10 à 12 heures par jour mais je veux vraiment aider les gens. »
« Tellement personnalisé qu’il est inexplicable »
Michèle Chaudesaigues présente le LP sur sa chaîne YouTube.
La formation soigne tous les maux mais elle n’est pas accessible à tous : les sites officiels demandent aux clients aspirants de faire quelques devoirs. D’abord, la lecture : le livre en anglais, An Introduction to the Lightning Process de Phil Parker – pour les francophones, le livret de Michèle Chaudesaigues – et les témoignages sélectionnés. Il faut ensuite classer neuf affirmations disponibles sur le site comme « Vous avez de l’influence sur votre santé. Vous méritez d’aller mieux. » selon un barème allant de 1, « je n’y crois pas du tout » à 10, « j’en suis persuadé(e) ». La dernière étape est un rendez-vous en visioconférence ou par téléphone, qui n’est plus obligatoire depuis qu’elle déclenché des rumeurs de dérive sectaire. « Cela permet de vérifier que je suis réceptif à la méthode, c’est-à-dire si je crois en la capacité du cerveau à reprendre le contrôle du corps. Comme je suis mathématicien, j’ai failli ne pas être pris. Ma formatrice a hésité mais elle a vu que j’étais prêt à faire le travail nécessaire », explique Valentin, 19 ans, qui dit s’être débarrassé d’un trouble non-diagnostiqué grâce au LP. Un épisode violent de vomissements et diarrhées l’avait délesté de 10 kg en un week-end, le laissant sans solution, nauséeux et épuisé pendant 9 mois.
À ce stade, il reste difficile de s’imaginer une séance de LP. Les sites de Phil Parker et Michèle Chaudesaigues égrainent les adjectifs dithyrambiques – le LP serait « fantastique, efficace, simple, puissant, incroyable » – mais les détails sur le contenu concret de la formation manquent. « Le départ est ‘Voilà comment je me sens, voilà comment je veux me sentir’ et je mets de la sensation kinesthésique dessus. Mais c’est un exercice tellement personnalisé qu’il est inexplicable », affirme Michèle Chaudesaigues, qui raconte avoir fait son exercice LP jusqu’à 30 fois par jour pour se guérir. « Pour schématiser, le Lightning process est une synergie entre la Programmation Neuro-Linguistique (PNL), l’ostéopathie, et des techniques d’autohypnose, même si ce terme n’est pas utilisé en formation. On nous apprend des techniques pour pratiquer discrètement son exercice LP devant des gens car sinon, ce serait bizarre », lâche Valentin. L’efficacité de la Programmation Neuro-Linguistique, une méthode qui prétend reprogrammer le cerveau à l’aide du langage, est largement mise en doute par les études scientifiques qui lui ont été consacrées.
Dans la note aux proches que le siège londonien du Phil Parker Group nous a transmis, il est demandé de ne pas rire si les clients ont assez de courage pour réaliser leur exercice en leur présence. Une série de mouvements accompagne donc la réalisation d’un exercice LP. « Toute la gestuelle autour de la méthode est surprenante, reconnaît Marie, qui s’est lancée pour soigner une fibromyalgie assortie d’une polyarthrite rhumatoïde. J’avais besoin d’intellectualiser les actes que je faisais pour en apprécier les effets. D’autres n’ont pas ce besoin et se laissent aller complètement dans la méthode. » L’auto-hypnose est là pour ça, même si elle n’est pas évoquée dans les descriptions sommaires du LP. D’abord évasive, Michèle Chaudesaigues a fini par nous confier que l’auto-hypnose suscitait trop d’amalgames pour être évoquée. « Les gens mettent un contenu différent de la réalité sur l’hypnose. Ils imaginent que l’on va laver leur cerveau, affirme-t-elle. Il y a un peu de coaching avec la phase de reframing (recadrage), de la PNL et un peu d’auto-hypnose pour altérer le niveau de conscience et de ressenti kinesthésique. Ce sont eux qui contrôlent. »
« On comprend bien que l’on doit fermer notre bouche »
Quand les officiels n’offrent pas assez d’informations, il peut être intéressant de se tourner vers les pratiquants. En temps normal, Internet offre un bon point de départ pour trouver des témoignages. Avec le LP, bizarrement, les résultats sont peu nombreux sur la toile française. Tous les témoignages qui expliquent les joies d’une vie libérée de la douleur grâce au LP sont publiés sur un site et un blog tenus par Michèle Chaudesaigues, qui vante également la méthode sur les forums médicaux les plus fréquentés. Elle nous confie même avoir été bannie d’un forum sur la fibromyalgie car le modérateur ne considérait pas le LP comme efficace. Sur les plateformes officielles et dans les mails que nous avons échangés avec le siège londonien – auxquels la professionnelle française et Phil Parker ont systématiquement été ajoutés en copie – on recommande chaudement de contacter d’ancien clients. Discuter avec eux serait le meilleur moyen d’en savoir plus. Une liste de contacts est disponible sur demande. « Nous avons les témoignages de nos clients pour prouver que ce ne sont pas des hurluberlus », soutient Michèle Chaudesaigues.
La note à remettre aux proches mentionne que les étapes initiales du LP consistent à ne plus parler de maladie et de rester positif ; le silence est fait sur de possibles désagréments et rechutes post-formation. C’est un premier indice. Dès que l’on interroge les clients qui figurent sur la liste de contacts officielle, le mystère autour du faible nombre de témoignages se dissipe. « On nous fait signer une clause de confidentialité, explique Valentin. On nous demande si on voudra répondre aux journalistes après la formation. On nous dit d’insister sur ce qui est bien et de dire aussi ce qui ne va pas. Je n’ai pas été briefé pour cet appel mais j’ai échangé par mail avec ma praticienne avant et je la rappellerai après. Je lui demanderai si j’ai le droit d’envoyer des documents. »
Difficile d’en savoir plus quand les praticiens suivent leurs clients d’aussi près. « Cette culture du secret doit avoir une origine commerciale. Cela évite que les gens aillent piocher dans d’autres techniques pour s’autoguérir. On nous dit ‘C’est pour l’éthique, on ne vous oblige à rien’ mais on comprend bien qu’on doit fermer notre bouche, affirme Marie. Faire payer pour que les gens aillent bien reste mieux que faire payer pour arnaquer. Ça a un coût mais ça n’empêche pas le résultat. » Dans les rayons des libraires, on retrouve en effet des livres de développement personnels basés sur la neuroplasticité, la PNL et la sophrologie.
80% de cas désespérés
Lus sur les sites ou recueillis lors d’interviews, ces témoignages ont la même trame, le même vocabulaire : peu de dates et de faits, beaucoup de sentiments négatifs puis la joie retrouvée. Le bonus final est souvent l’accomplissement d’un défi sportif après des années de douleurs neurasthéniques. Tout commence avec le choc de la maladie et l’absence de diagnostic catégorique. Vient ensuite l’absence de solution allopathique, puis le doute sur la réalité de la pathologie. Le quotidien est bouleversé, les solutions introuvables. C’est alors que les promesses du Lightning Process apparaissent comme un miracle, auquel on croit par désoeuvrement. Le client est soudain soutenu et entouré.
« Michele a cru en l’existence de ma maladie, et c’est important car le corps médical ne trouvait pas de solution, n’en cherchait plus et remettait même en doute ma parole. Je n’en savais pas plus avant de m’engager mais j’étais convaincu que ça allait m’aider. C’est difficile de se lancer dans le Lightning Process avant d’être vraiment désespéré », nous confie Valentin, qui utilise toujours un canard en plastique, offert comme un animal totem lors de la formation, pour se souvenir du chemin parcouru. Alicia, une quadragénaire qui affirme s’être débarrassée de ses crises d’angoisses grâce au LP, va dans le même sens : « C’est un peu un saut dans l’inconnu car on reste un peu perplexe au début de la formation. Il faut un certain degré de fatigue physique et mentale pour être intéressé par le Lightning Process, parce qu’on est sûr de rien. »
Dans la majorité des cas, les malades ou leurs proches sont en recherche de solutions de médecine non conventionnelle lorsqu’ils découvrent le LP. Mais parfois, ce sont les praticiens qui contactent directement les futurs clients. « Sur mon blog consacré à la fibromyalgie, j’ai écrit un article expliquant qu’il fallait profiter des moments de rémission, raconte Marie. C’est d’ailleurs à la suite de ce post que la praticienne m’a contacté. J’étais sceptique après avoir essayé tant de choses qui n’ont pas fonctionné sur la durée. Je me suis dit ‘Qu’est ce que c’est que ce charlatanisme?’ Au bout de plusieurs mois, en désespoir de cause, l’idée a fait son chemin. Le ras-le-bol m’a poussé à me lancer. »
La confusion et la solitude sont souvent lourdes chez ceux qui choisissent de s’engager dans cette formation sans en connaître les détails. Une affirmation que Michèle Chaudesaigues confirme : « J’ai plus de 80 % de cas désespérés. Les clients, passés au moulin des spécialistes, sont perdus par l’absence de réponse. Le soutien que l’on apporte est une grosse partie de la guérison ».
En septembre 2017, L’Université de Bristol a publié une étude qualitative sur l’efficacité du LP sur des adolescents ayant une fatigue chronique faible à modérée. Leur travail conclut à une efficacité probable. Ils précisent : « Nous ne savons pas quel aspect du LP est le plus important ou le plus aidant ». En effet, l’étude cherche moins à savoir comment le LP fonctionne qu’à vérifier si les adolescents qui l’associent à un traitement médical se sentent mieux. Le protocole d’étude n’ayant pas été fait à l’aveugle, cette publication n’a pas aidé le LP a se dépêtrer de sa réputation. Après sa publication, le National Heath Service du Royaume-Uni n’a pas déplacé le Lightning Process dans la liste des traitements recommandés.
« Très controversé »
Le Lightning Process a déjà 19 ans et Internet ne l’a pas aidé à devenir plus populaire. Il n’est présent que dans 10 pays : L’Angleterre, l’Islande, l’Irlande, la Norvège, la Suède, la Roumanie, les USA, l’Australie, la France et la Nouvelle-Zélande, où Michèle Chaudesaigues officie également. La carte interactive disponible sur le site officiel fait apparaître 45 praticiens tout autour du monde. « Le LP est très controversé. S’il n’y a pas d’études ou d’explications scientifiques très compliquées, personne n’y croit. On en est au même point que pour l’homéopathie il y a 35 ans. On nous prend pour des charlots car cela paraît invraisemblable. Pourtant, c’est établi scientifiquement », martèle Michèle. Certaines études indiquent que des phénomènes neuronaux qui lient le corps et l’esprit existent bel et bien, mais rien ne prouve que les méthodes neuro-pseudoscientifiques qui prétendent les exploiter ont vraiment une incidence sur eux. En dépit du fait que les praticiens LP basent leur argumentaire sur des preuves scientifiques, ils changent de discours quand vient le moment de prouver les changements que leur méthode est supposée apporter.
Air d’arnaque pour personnes vulnérables, séparation des proches, culpabilisation en cas d’échec, culte du secret et grosses sommes, le LP facilite les rumeurs. « Je n’ai pas été attaquée en France mais Phil Parker a subi une campagne de dénigrement importante, explique Michèle Chaudesaigue. Il y avait énormément de messages sur Internet écrits par des trolls que l’on a dû démentir régulièrement. Phil Parker nous a dit que beaucoup étaient d’ailleurs payés par l’industrie pharmaceutique, qui n’est pas très contente que les gens se guérissent sans médicament. Quant aux médecins, ils nous prennent pour des allumés. »
Plusieurs messages de familles et amis sur des forums anglophones racontent que le LP les a éloignés de l’un de leurs proches. Pour Valentin, c’est une affaire de bon sens. Le malade doit écarter les éléments néfastes pour retrouver la santé. « Personne ne nous dit de couper les ponts avec certaines personnes mais si celle-ci n’est pas essentielle à sa vie et causent du tort, il faut s’en éloigner. » D’autres parlent du sentiment d’échec décuplé après une formation qui n’a pas été efficace. Phil Parker annonce sur son site des résultats supérieurs à 80%, sans préciser la méthodologie de calcul de ce résultat. Certains se sentent perdus lorsque le résultat n’est pas au rendez-vous. Et pour les convaincus, le Lightning Process lui-même n’est pas responsable quand les résultats n’arrivent pas. « Si ça ne marche pas sur certaines personnes, peut-être qu’elles n’étaient pas prêtes. Devenir bien portant après des années de maladie, ça peut paraître bête, mais c’est flippant. Qui vais-je être ? Quelle va être mon identité après avoir été pendant tant d’années, la malade ? Certains ont peur d’aller vers cet inconnu », affirme Marie.
Face au secret qui entoure le LP, beaucoup d’interrogations demeurent. Et si le Lightning Process n’était qu’un groupe de soutien pour personnes malades, enrubanné dans quelques grandes idées scientifiques, qui apporte réconfort et sentiment d’appartenance, un noyau de confiance pour se remettre ? « Est-ce que ça a marché par effet placebo ? A la rigueur, tant mieux, se réjouit Marie. Le placebo est une énorme capacité du cerveau. Ça n’a rien de péjoratif. C’est un grand pouvoir que l’on a tous. »