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Le père d’Angèle et Roméo Elvis nous a parlé de sa période post punk

Interview, Allez Allez, Angèle, Roméo Elvis

En faisant l’effort de ranger sa chambre, on pourrait se constituer un jeu des 7 familles rien qu’avec la bonne musique belge. Du label Crammed Discs avec ses Tueurs de la lune de miel et Minimal Compact, à Damso en passant par Telex, Soulwax, Front 242 et TC Matic, il y a même de quoi fabriquer un paquet de cartes pour Noël. Dans la famille Van Laeken, on ne veut cette fois ni le fiston rappeur Roméo, ni la néo popstar de fille Angèle mais Serge, le papa. Tombé dès son plus jeune âge dans la marmite punk, cette belle grande gueule se retrouve pendant 16 mois à tenir la basse du groupe Allez Allez, réponse bruxelloise à la fièvre funk jazz qui se répand début 80 dans la new-wave, de l’Angleterre (A Certain Ratio, Quando Quango, Haircut 100…) à New York (Liquid Liquid, Lizzy Mercier Descloux, Bush Tetras…). Les six d’Allez Allez construisent leur Europe à eux en embarquant une voix british, Sarah Osborne, qui, en les larguant après deux albums, précipitera la fin du groupe. On la retrouvera juste au pinceau sur la pochette du maxi The Beginning de Rhythim is Rhythim, alias Derrick May.

Sous le nom de Marka, Serge a ajouté deux cordes à son manche et s’est lancé dans une carrière solo depuis le début des années 90. Entre temps, les deux albums d’Allez Allez (African Queen, 1981, et Promises, 1982) sont devenus cultes auprès d’une génération qui découvre l’arbre no-wave et funky que cachaient les Sex Pistols. Trente-cinq ans plus tard et deux enfants majeurs sur les bras, voilà Marka à la tête de la reformation avec une nouvelle chanteuse. On ne saura pas ce qu’en pensent ses enfants bien qu’un coup de fil d’Angèle vienne interrompre brièvement notre entretien. On leur posera la question la prochaine fois.

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Noisey : Quand vos enfants étaient petits, tu leur faisais écouter Allez Allez ?
Marka : Ils connaissent au moins le morceau « African Queen » mais pas tous les autres. Ils ont grandi au moment où je signais en solo chez Columbia vers 1995. J’avais les deux à la maison et ils ont vu tous les clips qu’on a tournés en Belgique.

Comment le groupe s’est-il formé ?
Tout est parti du mouvement punk qui touche Bruxelles fin des années 70. Parmi tous les groupes, les Mad Virgins dans lequel jouent trois mecs que je rencontre à l’école. On est amis et je deviens leur roadie. Au bout de deux ans, ils commencent à faire du surplace. Marc Desmare (qui formera plus tard La Muerte) veut les manager mais ils refusent. Avec le guitariste, le bassiste et le batteur, Marc créé alors le groupe Marine dont je reste le bon pote et le roadie. On a vingt ans, tous redoublé deux fois et on est toujours à l’école. Mais « Life In Reverse » devient single de la semaine du NME et cartonne en Angleterre. Entre temps, le bassiste a été remplacé par Paul Delnoy, Roland Bindi a été ajouté aux percussions et surtout, Sarah Osborne est arrivée au chant. Elle avait eu une petite love affair avec Marc. Mais lors de l’enregistrement de l’album aux studios CBS à Londres, des problèmes apparaissent et le groupe se sépare. Marc part alors avec le bassiste. Le guitariste Christian Debusscher, compositeur avec Nico, se retrouve avec le groupe et les chansons, mais sans bassiste. Il fait alors appel à moi.

Tu savais jouer de la basse ?
Je suis engagé parce que j’ai une chouette gueule, c’était souvent comme ça à l’époque. On sort le premier album avec deux chansons ajoutées aux trois enregistrées aux studios CBS sur lesquelles je ne jouais pas. La chance, c’est que ces deux nouvelles sont les tubes du disque : « African Queen » et « Allez Allez ». Il sort en décembre 1981, au moment où je rentre à l’armée. Manque de bol car de toute la période qui va suivre, je vais rater la moitié des concerts sauf les grands événements où je réussissais à me démerder pour venir.

Vous étiez à l’écoute de ce qui se faisait à New York ou Manchester ?
Christian sortait dans d’autres boites que les endroits punk. Il s’était rendu compte qu’il y avait de la chouette musique comme Chic, et des jolies filles. C’était autre chose que les atroces punks ! Ils ont commencé à écouter des productions américaines comme Bohannon, se sont mis à singer cette musique et à la jouer comme des morveux qui n’y connaissent rien. Un peu comme ce qui peut arriver aujourd’hui quand tu fais du montage sur ordi, il y a eu un heureux accident avec ces gars qui ne savaient pas jouer. Ils ont commencé à écrire des chansons plutôt rapides. Je suis arrivé là-dedans sans avoir fait de studio de ma vie. On a réalisé « Allez Allez » qu’ils avaient déjà travaillée et j’ai suivi la ligne de basse. C’est sur « African Queen » que j’ai apporté pour la première fois une ligne, devenue mythique en Belgique, dont je suis assez fier. Allez Allez est né là, en sortant du studio en août 1981.

Tu avais appris la basse dans ton coin ?
J’ai vite appris. Parfois tu as un don et tu ne t’en rends pas compte. Le plus beau que j’ai, c’est que je suis super à l’aise sur scène. Mes enfants ont aussi ce don. Quand je vois ma fille parler au public, je me vois parler. J’ai aussi une oreille musicale mais l’ignorais car je venais de rien : pas d’artiste dans la famille, pas de solfège, rien du tout. À un moment, j’ai juste pris une basse pour faire comme les copains. Je n’ai jamais été très bon musicien mais j’ai un truc.

Est-ce que tes enfants en ont hérité ?
Roméo est comme moi, plus sur l’énergie, mais Angèle a capté chez moi le sens du dialogue avec le public entre les morceaux. De ne jamais se laisser avoir, même si ton ordi se plante, de s’en moquer, même. Après un an d’école de jazz, je lui ai proposé de faire la route comme claviériste. Elle a tourné deux ans avec moi et a vu comment je faisais. On a fait des tous petits bistrots, puis des plus grosses salles, de grands festivals, et on a joué au Japon, en Amérique centrale.
De sa maman comédienne, elle a capté le sens de la répartie. Elle était récemment invitée sur TV5 avec un humoriste qui ne la connaissait pas. Le présentateur lance que son frère est très connu, Angèle lâche direct que c’est Jean-Jacques Goldman et le gars ne comprend pas que c’est une blague. Ça, c’est ma femme.

C’est drôle de voir comment dans votre cas, le punk s’est réapproprié le disco qui en était l’ennemi quelques années plus tôt…
Tu as raison, et c’était particulièrement criant chez Christian. Quand on s’est rencontrés en janvier 78, c’était déjà la fin du punk. Dès le mois de juin, on s’habillait avec des couleurs criardes. Un an après, on écoutait Diana, l’album de Diana Ross produit par Nile Rodgers avec le hit « I’m Coming Out ». Après, dans la manière d’être et de faire, on est restés punks toute cette période-là, et encore un peu aujourd’hui. Dans le sens où on ne s’est jamais interdit quoi que ce soit, qu’on a tout fait par nous-mêmes, y compris ce qu’on ne savait pas faire. Tu retrouves ça aujourd’hui dans le rap.

Il y avait une émulation au sein de la new wave belge ?
Le souvenir que j’ai, c’est qu’on ne se prenait pas pour de la merde. On était des sales gamins. On n’était donc pas appréciés parce que Christian était accusé d’être un vendu à faire du disco. On était un peu branchés mais malgré nous, là où Marc de Marine était beaucoup plus dans l’image.

Vos liens avec l’Angleterre n’étaient pas aussi à la base des jalousies ?
Quand tu remets ça dans le contexte de l’époque, nous étions le premier groupe belge signé en Angleterre, chez Virgin. Le public et les fans nous aimaient bien, mais les mecs qui faisaient la même chose et n’arrivaient pas à remplir des salles ou à passer à la radio le vivaient mal. C’était un peu ridicule parce que quand je vois comment fonctionne mon fils avec les autres groupes de rap bruxellois et belges, tous s’aident beaucoup plus. Ils ont une ouverture d’esprit qu’on n’avait pas. Il n’y avait pas de featurings, on ne s’invitait pas. Quand Roméo me disait qu’il allait jouer en Suisse et en Hollande, je lui répondais qu’il n’avait pas de groupe mais ça ne l’empêchait pas d’être invité. Ensuite, c’est lui qui invitait en retour. Quand tu fais le compte de toutes ses prestations, la moitié était des invitations, du coup il jouait quatre fois plus qu’un autre.

C’est vrai que le nom d’Allez Allez venait d’une chanson de Defunkt ?
En effet, je crois qu’il y a un morceau avec une ambiance boite de nuit au début où on croit entendre « allez, allez ! » C’est très intéressant car l’expression fait très belge mais se dit aussi en anglais et sonne donc internationale. On ne voulait pas nous empêcher de regarder au-delà de la petite frontière belge et on commençait à y arriver. Ça s’est juste fini quand la chanteuse a décidé d’arrêter.

Le fond de l’affaire, c’est son mariage avec Glenn Gregory ?
Ça a joué mais la vraie histoire est plus complexe. On enregistrait la chanson « Valley of the Kings » à Londres dans un tout petit studio appartenant à John Foxx, l’ancien chanteur d’Ultravox, avec Martyn Ware comme producteur. Il avait quitté The Human League et avait réalisé un titre avec Tina Turner pour son projet British Electric Foundation. Il avait aussi créé le groupe Heaven 17 dont Glenn était chanteur. Et voilà que celui-ci passe lui rendre visite en studio… Là, on n’existait plus. Ça a été le coup de foudre entre Sarah et lui. On est en juin 82, ils se marient en janvier et elle décide d’arrêter. Entre temps, le deuxième album Promises est sorti en novembre. Ça s’est fini en eau de boudin et on a été pour ainsi dire disque d’or grâce au boulot fait dans la tournée en amont. Pour Promises, on a fait deux concerts, l’un à Forêt Nationale, l’autre en première partie de Kid Creole, puis c’était fini.

Quelle était son autre raison de quitter le groupe ?
On ne la traitait pas très bien. Nous étions cinq mecs, cinq gros lourds qui n’hésitaient pas à lâcher des caisses dans la camionnette. Quand elle devait se changer, on lui disait de se changer devant nous… « Vas-y, ça nous dérange pas ! » On n’était pas cool avec elle, on la traitait comme un mec. Elle en a eu assez. Quand elle a rencontré un gars d’une autre sphère, avec plus de succès, dans le business anglais, elle a arrêté de chanter. On s’est dit qu’elle allait se lancer seule, ce qu’elle n’a jamais fait. Elle est restée encore six mois avec lui, avant de se séparer. Puis elle a rencontré Carl Craig et a chanté sur plusieurs de ses titres mais ça n’a pas non plus trop marché. Ensuite, elle n’a plus jamais chanté. Je l’ai vue à Londres il y a cinq six ans où elle a fait son deuxième tatouage à Roméo. Elle est devenue peintre, tatoueuse et maquilleuse de Boy George pendant des années. Il y a deux ans, je l’ai invitée à la reformation en lui expliquant qu’on gagnerait encore plus d’argent au complet mais elle m’a expliqué qu’elle ne voulait plus chanter, qu’elle ne voulait plus revivre ce cauchemar.

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C’était impossible de continuer sans elle à l’époque ?
Sarah était charismatique et très importante pour le groupe. On l’a mesuré à son départ. D’abord, elle était anglaise et chantait avec un magnifique accent qui faisait toute la différence avec les autres groupes belges, qui voulaient tous chanter en anglais avec des accents pas top. C’est pour ça qu’on a intéressé la presse musicale anglaise, que le NME a parlé de nous. C’était difficile de continuer sans elle car elle était la tête de proue du groupe. En plus, elle était jolie, drôle, et ses paroles vraiment bien. Tous les mecs étaient amoureux de Sarah, que ce soit dans le groupe ou chez les fans. À son départ, on a eu beau vouloir continuer, c’était peine perdue. On ne pourrait jamais retrouver la magie qu’il y avait entre nous à ce moment-là. Aujourd’hui, 35 ans plus tard, on a trouvé une chanteuse qui peut donner le change mais les enjeux ne sont plus les mêmes. Le seul aujourd’hui, c’est de s’amuser. Sur les six musiciens d’origine, nous ne sommes plus que quatre, dont trois ne faisaient plus de musique. J’ai gardé un pied dedans alors que l’un travaille dans un magasin, l’autre dans la pub et le dernier dans un restaurant. Je les ai convaincus que ça passe par moi, qu’ils me fassent confiance pour l’organisation comme trouver les locaux, les tourneurs, les concerts… Mais on fait la musique ensemble et je ne prends aucune décision seul.

Ça t’a fait quoi que le groupe soit récemment redécouvert à travers des compilations ?
Ce qui n’était pas chouette avec Allez Allez, c’est que justement, deux décidaient pour tout le monde. La fin n’a pas été sympathique et je gardais un souvenir amer de la séparation, du fait que ça n’était pas facile avec les autres. Quand la compilation a été réalisée, ça a encore été fait sans prévenir personne, je n’ai même pas eu un exemplaire. Comme l’impression qu’on fait les trucs dans ton dos. Quand on a remonté le groupe, j’ai tout pris en main car je fais de la musique depuis 35 ans, tu vois. C’est depuis que je me rends compte qu’on a été mythiques pour toute une génération. En avance ? Je ne sais pas. On a eu des succès à l’époque, des trucs magiques, on était jeunes et cons, et c’est pour ça qu’on s’est tiré une balle dans le pied. Je vois la différence aujourd’hui avec mes enfants ou d’autres groupes belges. Je parle d’eux car le marché ici est tellement petit qu’il faut toujours voir au-delà de nos frontières. Outre les bonnes chansons qui permettent de réussir, ils ont aussi été mieux préparés au succès, entourés de managers, de tourneurs, d’éditeurs qui connaissent le boulot. Nous, c’était les balbutiements, il n’y avait pas de circuits de salles pour tourner, on jouait sur des sonos de merde, on roulait dans des camionnettes. Ma fille se déplace en tour-bus. Moi, j’ai jamais mis mon cul dans un tour-bus, tu vois ?

Le livre Allez Allez par Marka sorti en 2017 est disponible aux éditions Lamiroy.

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