Le sprinteur étourdi, le parachutiste, l’acteur oscarisé, le « Ashley Young », la danseuse étoile… Il existe une infinité de types de plongeons dans le football, mais un seul mot pour désigner ceux qui se livrent à cette activité : les tricheurs. Même si, on ne va pas se mentir, certains spectateurs savent se montrer très créatifs pour leur trouver des qualificatifs.
Mais ne serions-nous pas, après tout, souvent beaucoup trop durs avec les joueurs qui plongent ? Selon WikiHow (la référence pour absolument tout, qu’il s’agisse d’apprendre à faire cuire des spaghetti ou à satisfaire à un test d’urine après s’être défoncé), la première étape est de renoncer à toute forme de dignité. Ce qui résume bien la façon dont nous percevons les coupables de plongeons.
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C’est sans doute un peu injuste. Ne devrions-nous pas plutôt considérer le plongeon comme un art ? Pour beaucoup, il ne s’agit là que de tricherie éhontée, un mélange de mensonge, de comédie et de supplication. Mais lorsqu’il est parfaitement réalisé, c’est aussi un geste technique assez fin. N’y a-t-il donc personne qui sache apprécier la beauté d’un plongeon parfait ?
En tout cas, une chose est sûre : les plongeurs n’ont pas beaucoup d’amis au plus haut niveau du football. Pas une seule Coupe du monde, pas une seule saison ne s’achève sans que de nouvelles voix ne s’élèvent pour inciter les arbitres à sévir à l’encontre des simulateurs. Les supporters se montrent parfois plus cléments envers les plongeurs, mais seulement quand ça les arrange. Les mêmes individus qui ne cessent de s’en prendre à cet ailier du club rival qui n’arrête pas de se jeter par terre n’ont aucun problème à s’indigner quelques minutes plus tard que leur propre attaquant n’ait pas osé exagérer et s’effondrer de tout son poids après un léger contact dans la surface adverse.
Pour mieux apprécier l’art du plongeon, il faut essayer de comprendre pourquoi les joueurs le font. Alors que les footballeurs ne cessent, depuis trente ans, de devenir de plus en plus imposants physiquement, les joueurs les plus petits et les plus frêles sont obligés de trouver un moyen de se protéger pour ne pas être définitivement relégués hors des terrains les plus prestigieux. Il se pourrait bien que le plongeon ait alors une influence bénéfique sur le jeu. Sans cela, les plus beaux gestes techniques et les inspirations géniales seraient menacés de disparition, tout comme les joueurs qui nous font nous lever de nos sièges (ou renverser nos bières sur nos canapés).
Et puis franchement, y’a-t-il une si grande différence, au plan moral, entre le joueur qui fait une faute délibérée sur son adversaire en prenant un air innocent et celui qui plonge dans l’espoir de tromper un arbitre inattentif ? Dans les deux cas, on ne peut nier qu’il y a une forme de beauté, remarquable à défaut d’être vertueuse, dans un acte de tricherie parfaitement maîtrisé.
A vrai dire, l’opprobre dont sont frappés les plongeurs relève moins de l’intégrité sportive que d’une certaine remise en cause de leur masculinité. Combien de fois a-t-on entendu un supporter pas très malin, généralement en train de vider une pinte accoudé au comptoir, traiter un joueur à terre de « gonzesse » ou de « tarlouze » (© Loulou Nicollin) ? Lorsqu’un joueur tombe suite à un contact, sa virilité fait immédiatement l’objet de commentaires (et on sait combien la virilité est un enjeu majeur dans le foot). Gary Lineker avait même suggéré que les tricheurs reçoivent des « cartons roses », même s’il n’avait pas osé allé jusqu’au bout de son idée en proposant de leur faire porter des tutus roses et du rouge à lèvres.
En Angleterre, il y a aussi une dimension nationaliste dans le mépris dont les plongeurs font l’objet. Il est commun d’entendre que seuls les étrangers plongent, et que les quelques locaux qui s’y abaissent ont (forcément) subi l’influence négative des étrangers et de leurs trucs d’étrangers. « On voit ça ici désormais, mais c’est quelque chose qui vient d’ailleurs, avait déclaré Alan Stubbs, l’ancien défenseur d’Everton. Ces joueurs comprennent l’Anglais, il ne peuvent pas faire semblant de ne pas savoir que c’est mal vu ici. »
De toute évidence, Stubbs n’avait jamais entendu parler de Francis Lee, l’attaquant de Manchester City tout ce qu’il y a de plus anglais, qui s’était illustré en devenant l’un des premiers « serial plongeurs » de l’histoire du foot retransmis à la télévision. Ou John McDonald, ce pur Ecossais surnommé « Polaris » lorsqu’il portait le maillot des Rangers, du nom du sous-marin du même nom (on vous laisse deviner pourquoi). Ou Michael Owen, anglais jusqu’au bout de ses crampons Umbro, qui tentait de faire passer ses multiples plongeons grâce à son visage de bambin innocent et sa coupe de cheveux de garçon sensible. Et pourtant, il y allait, le bougre.
Aux Etats-Unis, le « flopping », comme on l’appelle là-bas, est traité avec le même mépris qu’en Europe. Après tout, la plus importante Ligue du pays, la NFL, vient tout juste d’admettre qu’il fallait peut-être traiter les joueurs victimes de traumatismes crâniens avec un peu plus de compassion et d’attention médicale (il s’est avéré qu’une petite tape dans le dos et un coup de « spray magique » ne suffisaient pas à prévenir des dégâts irréversibles au cerveau). Le rejet de toute forme de plongeon et de tricherie par les Américains trouve ses racines, comme chez nous, dans l’idée que les sportifs devraient se comporter comme des hommes.
« Certains joueurs se comportent comme s’ils avaient perdu une jambe après le moindre contact avec un adversaire », avait d’ailleurs écrit un célèbre journaliste américain après un match d’Arjen Robben à la dernière Coupe du monde. « D’autres passent tellement de temps à se rouler par terre qu’on dirait que leurs vêtements sont en feu, s’était ému un autre. C’est très gênant et cela doit cesser immédiatement. »
A l’inverse, au Brésil, réputé être la patrie où le football est élevé au rang d’art, le plongeon est perçu comme un acte de rébellion. Tromper les autorités (y compris les arbitres) est même considéré comme un geste héroïque par certains, ce qui s’explique peut-être par les combats passés des premiers occupants du pays contre les colons.
Autrement dit, il y a une multitude de facteurs à prendre en compte pour comprendre ce qui peut pousser un joueur à plonger. Même d’un point de vue strictement sportif, il y a des nuances importantes.
Pour beaucoup, c’est une question de morale. Mais comment en vouloir à un joueur de plonger quand il peut en tirer un avantage aussi conséquent qu’un penalty ? La surface de réparation est arbitrée différemment des autres zones du terrain, n’est-il pas naturel que les joueurs s’y comportent eux aussi différemment ? On leur met une belle carotte sous le nez, et il faudrait qu’en plus ils n’essaient pas de l’attraper ?
Evidemment, le moyen le plus simple de mettre un terme aux tricheries serait d’avoir recours à la vidéo lorsque les arbitres doivent prendre une décision difficile. Mais un football sans plongeons ne serait peut-être pas l’utopie à laquelle aspirent certains. En réalité, c’est peut-être même ce qui préserve les meilleurs aspects du jeu.