Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn, maitres Jedi. Image via
Il y a quelques mois, une école d’apprentis Jedi ouvrait ses portes à Celles-en-Hainaut, en Belgique. S’il s’agit de la première académie francophone destinée aux combats au sabre laser, des écoles similaires existent un peu partout dans le monde – les Italiens de la LudoSport Lightsaber Academy organisent même des duels entre pratiquants depuis 2008. Aujourd’hui, la ligue est présente dans 17 villes d’Europe, et les premiers ateliers français commenceront en septembre prochain, à Paris.
Videos by VICE
Néanmoins, la Guerre des étoiles n’a pas seulement inspiré des agités qui se prennent pour Mace Windu. En 2001, un recensement réalisé dans les pays anglo-saxons avait fait apparaître le Jediisme comme religion de première importance, du moins dans les statistiques. En Angleterre et au pays de Galles, par exemple, on recensait près de 400 000 « Jedi », « maîtres Jedi » et « chevaliers Jedi », soit 0,8 % de la population britannique – un chiffre plus important que celui des communautés juive, sikh et bouddhiste. À l’époque, le Office for National Statistics avait choisi de comptabiliser ces Jedi comme « non religieux » en vertu du fait que nombre d’entre eux étaient en réalité ouvertement athées et décrivaient leur action comme un pied de nez à une enquête statistique perçue comme intrusive. Quoiqu’il en soit, dix ans plus tard, lors du recensement de 2011, 170 000 Britanniques se déclaraient toujours comme « Jedi ».
Le Jediisme selon Wikipedia
Si on peut écarter la possibilité qu’une nouvelle religion de masse ait réellement vu le jour, l’activité de certains forums anglo-saxons tels que TempleOfTheJediOrder.org, ChurchOfJediism.org, OrderOfTheJedi.org – des sites dédiés à la religion Jedi – témoigne de l’existence d’un véritable courant spirituel. Un chercheur de l’University of Cambridge évalue à environ 2 000 le nombre réel de disciples sérieux de la religion Jedi en Angleterre. En France, s’ils sont plus difficiles à trouver, j’ai tout de même réussi à en dénicher un présent sur la toile sous le pseudonyme « Alexandre Orion ». Il a 48 ans, réside à Dijon, est fonctionnaire mais aussi maître Jedi et pasteur du « Temple Of The Jedi Order », une communauté qui compte quelques 150 membres actifs à travers le monde, dont quelques Français.
Alexandre Orion
VICE : Être Jedi, ça consiste en quoi exactement ?
Alexandre Orion : Il y a la notion d’héroïsme, et aussi celle de cycles cosmogoniques. Mais il faut garder en tête qu’à part ça, la légende des Jedi telle qu’on la voit dans La Guerre des étoiles a très peu à voir avec ce qu’on fait réellement. On s’inspire beaucoup de la philosophie de Joseph Campbell, un mythologue américain, notamment la culture de l’individuation – attention, pas l’individualisme.
C’est donc une philosophie plus qu’une religion ?
Ce qui est intéressant, c’est justement le syncrétisme de la religion Jedi. C’est un beau mélange de différentes formes de spiritualités, notamment asiatiques, comme le taoïsme et le bouddhisme, mais également d’autres.
Certains d’entre vous pensent-ils pouvoir utiliser le pouvoir de la force ?
Absolument pas. Le vrai pouvoir, c’est la connaissance de soi.
Pourquoi vous êtes vous tourné vers le Jediisme ?
J’avais dix ans quand la Guerre des étoiles est sorti. J’ai toujours aimé la science-fiction, mais c’est surtout quand j’ai vu La Puissance du Mythe[interviews télévisées de Joseph Campbell] que ça a commencé – le mysticisme de Star Wars dépasse la science-fiction. J’ai aussi découvert le philosophe Alan Watts ou encore le film Mindwalk. À cette époque, je discutais avec des amis toute la nuit jusqu’au petit matin ; on parlait philosophie orientale et occidentale. C’est à partir de cette période que j’ai commencé à me percevoir comme un Jedi. En 2012, je me suis inscrit sur le site du « Temple Of The Jedi Order ». À la base, ce qui m’a conduit vers le Jediisme est mon intérêt pour les philosophies orientales, le bouddhisme, le taoïsme et la mythologie comparée. Je me suis tourné vers le Jediisme car ce n’est que la voie moderne de courants spirituels plus anciens.
Comment fait-on pour devenir chevalier Jedi ?
Beaucoup de gens viennent nous voir en nous parlant de sabres laser, ce qui n’est pas ce que nous proposons. On devient membre du site en remplissant un petit formulaire. On accepte tout le monde, sauf peut-être les tueurs en séries ou les criminels car il y a un certain nombre de mineurs sur le site que l’on doit protéger. Ensuite, on devient « novice », on suit une initiation et on étudie. On lit la doctrine de l’Ordre, qui n’est pas longue – deux ou trois pages. Les novices discutent avec les plus anciens, et on les intéresse aux principes de la dialectique – thèse, antithèse, synthèse.
Vous leur apprenez à penser ?
On leur apprend à penser, mais pas quoi penser. L’idée du dogmatisme nous insupporte. Puis, les initiés deviennent des apprentis et des chevaliers les prennent sous leur coupe. On travaille l’approfondissement de soi. On présente une suite d’épreuves, mais celles-ci ne sont pas standardisées. Nous ne sommes pas l’Éducation nationale ; il n’y a pas de programme, on fait en fonction de ce que l’apprenti a besoin d’apprendre ou de désapprendre. Il y a une relation intime entre le maître et l’apprenti. Les deux se connaissent bien. Dans mon cas, mon maitre Jedi m’a appris à ne pas être trop rapide dans mes jugements et à pratiquer le discernement, mais pas trop vite.
Y-a-t-il un Conseil de votre ordre Jedi ?
Oui, il s’agit de l’autorité administrative. On admet les chevaliers, on évalue ceux qui ont réussi leur apprentissage. L’apprentissage ne s’arrête pas pour autant. Il ne s’arrête jamais. Après avoir été « chevalier », on devient « maître chevalier », ce qui implique le double du temps d’études. Le maître chevalier peut prendre jusqu’à trois apprentis.
C’est tiré de la Guerre des étoiles ?
C’est tiré de la pédagogie ! La vie est dynamique, les connaissances statiques se perdent, on apprend et on enseigne. Une vieille femme m’a un jour dit : « Il y a deux règles pour enseigner : aimer ce qu’on enseigne et aimer ses apprenants. Le reste, ce ne sont que des détails. » On a trop tendance à se perdre dans les détails.
Vous avez des apprentis Jedi ?
Oui, plusieurs. On se parle, on s’intéresse à notre manière de penser. L’apprentissage commence seulement quand un lien s’est créé. On se connaît bien.
Les arts martiaux sont nécessaires aux Jedi ?
Je suis agacé quand les gens prennent ça trop au sérieux. Le sabre laser n’a pas une place très distinguée dans ma philosophie – pas en tout cas plus qu’un manche à balai ou un aspirateur. Mais en même temps, le jeu, c’est la camaraderie. C’est une belle forme de spiritualité. Les enfants qui jouent tout le temps sont les êtres les plus spirituels qui soient. Néanmoins, les arts martiaux m’intéressent sur deux aspects : la dimension de protection des plus faibles, et le fait qu’ils soient accessibles à tout le monde, peu importe le physique.
Vos collègues de travail savent que vous êtes maître Jedi ?
Non. Mes collègues ne le savent pas, mais ce n’est pas un secret. Si on me pose des questions, je réponds. J’ai des responsabilités au sein de la communauté, mais ça ne veut pas dire que j’ai le mot définitif sur nos croyances. Je ne me présente jamais comme un maître Jedi. Par ailleurs, j’ai du mal avec le terme « maitre ». Je ne suis pas un moine zen perché sur son arbre. Le Jediisme, c’est avant tout accepter la condition humaine. On essaye de donner un sens à la vie, sachant qu’on n’aura jamais une vérité complète. On apprend à se réconcilier avec le fait d’être là et le fait de savoir qu’on ne le sera pas toujours.