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Le robot pizzaïolo rêve-t-il de pâtons électriques ?

Robot Pizza

[Ndlr : selon Le Parisien, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la liquidation judiciaire de la start-up qui a conçu Pazzi et n’aura pas réussi à commercialiser le robot, vendu au prix de 300 000 euros l’unité.]

En 2016, le musée Guggenheim faisait l’acquisition d’une œuvre élaborée par le duo d’artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu, baptisée Can’t Help Myself (« Je ne peux pas m’en empêcher »). Installé dans une cage de plexiglas, un robot-spatule industriel du constructeur Kuka tentait de ramener compulsivement vers lui un liquide épais et rouge comme du sang. Une tâche sisyphéenne – malgré ses efforts, le liquide finissait toujours par se répandre à nouveau – exprimant « la relation que les humains entretiennent avec les technologies ». Ses créateurs expliquaient le procédé ainsi ; « L’œuvre d’un artiste est une projection de sa volonté. Il n’a pas besoin d’être présent physiquement. À la place, il peut avoir recours à un agent externe pour porter sa volonté. »

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Chez Pazzi, « l’artiste » a aussi cédé sa place à un « agent externe ». Dans la première adresse parisienne de la chaîne de restauration rapide, inaugurée début juillet à côté du Centre Pompidou, le chef est un robot six axes qu’on croirait échappé d’une chaîne de montage de Xsara Picasso. Derrière une vitre, au vu et au su de tous, le pizzaïolo mécanique confectionne Quatre Fromages (la Quatro Fromazzi AOP, 10,50 euros) et autres Margheritas (la Margharizza, 7 euros). Le ballet est bien huilé ; un pâton est tassé par un cylindre rouge, recouvert de sauce puis, soulevé par des picots et dirigé vers un four circulaire. Après un passage en coulisse pour récupérer la garniture et quelques minutes de cuisson sur pierre, il finit sa course dans une boîte à pizza classique où il est découpé en trois coups de roulette XXL. Le rail achemine le résultat jusqu’à une ouverture creusée dans le mur en briques et le client, qui a passé commande sur une borne adjacente, n’a plus qu’à retirer sa bouffe.

« Le but, c’est que ça soit sympa à regarder. (…) Donc on a travaillé pour reprendre la gestuelle du chef et essayer de transmettre une émotion. » – Sébastien Roverso

Et le robot ne s’arrête pas là. Entre deux pâtons, voilà qu’il se lance dans une ambitieuse chorégraphie sur Petrouchka de Soso Maness et PLK craché par les enceintes du resto. Ses bras se sont légèrement repliés et esquissent un mouvement en rythme avec la musique rappelant un transpalette qui aurait bu deux gin-to de trop. « On a pris le parti du ‘show cooking’ et on l’assume, explique l’un des fondateurs de Pazzi, Sébastien Roverso, citant les animations culinaires que peuvent offrir certaines cuisines ouvertes, le « dîner spectacle » de la chaîne de teppanyaki américaine Benihana en tête. « On est transparent. Le but, c’est que ça soit sympa à regarder. Au tout début du projet, on étalait la sauce avec un système qui la faisait gicler mais avec Cyril [Hamon, co-créateur], on s’est dit que c’était horrible à regarder. Ça n’aurait rien changé au goût donc on a travaillé pour reprendre la gestuelle du chef et essayer de transmettre une émotion. »

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Ingénieur sur le projet, Juliette, en charge des logiciels liés à la machine, décrit l’enivrante mécanique : « À l’intérieur de ce bras, il y a 120 actionneurs et 200 capteurs. C’est énorme. Il y a une combinaison presque infinie de possibilités qui peuvent entraîner des ratés. Et sur ce genre de modèle, quand un truc ne fonctionne pas, c’est l’ensemble qui tombe en panne. » Le robot pizzaïolo de Pazzi n’est pas le seul à avoir été pensé pour la restauration. Ces dernières années, les initiatives se sont même multipliées. Miso Robotics, spécialisé dans ce domaine, a sorti plusieurs stations automatisées capables de gérer le nettoyage d’une bassine d’huile aussi bien que la cuisson d’une viande – Flippy, chef de partie chez CaliBurger à Pasadena, peut retourner 150 steaks hachés par heure. Des restaurants sans brigade ont vu le jour à Guangzhou, Berlin et surtout Boston, où Spyce a reçu le soutien et l’expertise du chef étoilé Daniel Boulud. En Espagne, les médias se sont entichés d’un robot capable de cuisiner une paella tandis qu’à Rome, mon collègue Andrea, qui s’enfile d’habitude des cocktails raffinés, s’est sacrifié en allant tester Mr. Go, distributeur de pizza, prête en trois minutes et disponibles 24 heures sur 24, pour un résultat que l’on qualifiera poliment de mitigé.

« Le robot doit savoir gérer tous les paramètres différents pour viser le zéro défaut. Ça nécessite énormément d’itérations mais il en a besoin pour s’en sortir. » – Sébastien Roverso

Pour apprendre les rouages du métier de pizzaïolo, le robot doit, comme l’humain, apprendre de ses erreurs. « À chaque fois qu’il fait un pâton, il le pèse. Si jamais le pâton est un peu trop lourd, il va le corriger la fois d’après, précise Sébastien. S’il y a un trou dans la pâte, il va s’interroger ; est-ce que le trou n’est pas trop gros ? Est-ce que ça va poser problème ? Est-ce que je vais quand même réussir à la mettre en boîte ? » Reprenant une vieille devise Shadoks, l’apprenti pizzaïolo affine son art au fur et à mesure qu’il le pratique. « Ce qui est complexe, c’est de gérer les cas rares, renchérit son créateur. Ils sont nombreux parce que la pâte est vivante et ses caractéristiques évoluent au fil du temps. Les ingrédients, les textures, le robot doit savoir gérer tous les paramètres différents pour viser le zéro défaut. Ça nécessite énormément d’itérations mais il en a besoin pour s’en sortir. »

Même si les appareils technologiques font aujourd’hui partie du quotidien, leur irruption dans certains secteurs est encore parfois synonyme de méfiance. En gastronomie, on continue d’associer le robot et l’automatisation de la cuisine à la malbouffe ou aux excès de l’industrie agro-alimentaire. Ceux qui s’en servent seraient les fils putatifs de Jacques Tricatel, ce personnage fictif de la comédie de Claude Zidi, L’Aile ou la cuisse. Le Napoléon du prêt-à-manger tire sa fortune de ses usines où poulets crées in vitro et légumes caoutchouteux sont produits en batterie jusqu’à ce que le critique culinaire, Charles Duchemin (incarné par Louis de Funès) et son fils Gérard (joué par Coluche), ne découvrent ses méthodes et ne provoquent sa chute. 

À quelques pas d’un des derniers Flunch de la capitale, Pazzi, né en 2012 dans un garage pour le story telling très Silicon Valley, veut prouver qu’innovation et goût ne sont pas incompatibles. « On aurait pu aller beaucoup plus vite si on n’avait pas cherché à faire d’excellentes pizzas, abonde Sébastien. On a beaucoup galéré mais ça nous tenait à cœur et cette qualité a été rendue possible par le chef Thierry Graffagnino qui a élaboré la recette de la pâte ». À la différence de certains confrères, plus réfractaires à l’idée de filer des tips à un robot, Graffagnino aime la technologie – consultant et triple champion du monde de la pizza (en 2011, 2012 et 2013), il possède notamment deux distributeurs dans le Val-d’Oise. « Lui, à partir du moment où le robot fait de bonnes pizzas, il est content », sourit Sébastien.

Si on peut s’interroger sur la contradiction inhérente au projet – pourquoi développer un bijou technologique aussi complexe pour « singer » un geste de bouffe aussi simple ? – la pizza de Pazzi n’est pas mauvaise. Les ingrédients sont bons et la pâte craquante offre une respiration pas désagréable après les kilos de napolitaines englouties depuis l’avènement des Popine, Tripletta ou Iovine’s. Mais elle lui donne aussi une texture pas si éloignée de celle des pizzas surgelées cuites dans un four maison. En gros, il lui manque un truc de spontanéité et de fraîcheur pour se rapprocher des pizzas de restaurants tradi. « Je ne crois pas qu’on ait vocation à remplacer la pizzeria de quartier, assure Sébastien. On voulait être les premiers sur le créneau pour que, justement, d’autres ne véhiculent pas de clichés à propos de la robotique et de la cuisine. Après, ça ne veut pas dire que des pizzaïolos ne vont pas faire mieux que nous. On est là pour offrir une pizza en restauration rapide. Et le robot a toute sa place puisqu’il permet de faire ça vite et à bon prix. » Dans un coin de la capitale connu pour le tarif délirant de ses commerces de bouche, on reconnaîtra qu’un des objectifs a été rempli : les pizzas ne coûtent pas plus cher qu’ailleurs et certaines sont même abordables.

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Conservant son habituelle mesure, BFM TV s’était posé la question en avril dernier : « Les robots vont-ils tuer les cuisiniers ? » On n’a toujours pas la réponse mais en attendant, ils charbonnent. À Rambuteau, les premières semaines d’exploitation n’ont pas été de tout repos pour le robot pizzaïolo qui s’est momentanément désolidarisé de son socle et a nécessité quelques pauses maintenance. Avec ses deux adresses (une au Val d’Europe, le centre commercial de Marne-la-Vallée) Pazzi espère surtout ne pas connaître le même sort que Zume, la start-up qui pensait inonder l’Amérique de sa flotte de camions à pizza automatisés et qui s’est finalement reconvertie depuis dans le recyclage.

Note de la rédaction : une erreur dans la date d’acquisition de l’œuvre de Sun Yuan et Peng Yu par le musée Guggenheim a été corrigée.

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