L’article original a été publié sur Broadly.
S’il y a un son qui résumera le programme politique de l’administration Trump, ce pourrait être celui d’un enfant qui pleure après avoir été séparé de ses parents à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
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Ce qu’on entend dans un enregistrement qu’a obtenu ProPublica et qui a été joué lors d’un point de presse à la Maison-Blanche n’est qu’une des conséquences de la politique d’intolérance en vertu de laquelle les migrants qui tentent de franchir la frontière peuvent être arrêtés. Plus de 2000 enfants ont été ainsi séparés de leurs parents au cours du dernier mois. À plusieurs des parents, on a dit qu’on allait simplement faire prendre un bain à leurs enfants. Ils ne les ont jamais revus.
Les « mami » et « papá » qu’ils lancent ne sont que la pointe de l’iceberg pour ces enfants dont la vie pourrait être irrémédiablement bouleversée par cette séparation. Des experts disent qu’elle peut constituer un traumatisme au plus haut degré pour ces enfants et peser sur leur développement cognitif, leur santé mentale et leurs interactions avec le monde dans les années à venir.
« Chez les tout-petits, le sentiment de sécurité que procure la relation avec leurs parents est central dans leur développement. Il leur donne le sentiment que le monde est sécuritaire et qu’ils peuvent l’explorer », dit Mark Reinecke, chef de la psychologie au département de psychiatrie et d’études du comportement de la faculté de médecine de la Northwestern University, en Illinois. « Quand ils vivent dans une situation de stress, les enfants se tournent vers leurs parents pour savoir comment réagir. »
Le procureur général des États-Unis Jeff Sessions soutient qu’on s’occupe très bien des enfants hébergés dans des installations fédérales, notamment un ancien Supercentre Walmart du Texas où ils sont 1500. Toutefois, les psychologues estiment que la qualité des soins n’est presque pas pertinente : les études montrent que la séparation des parents en bas âge peut être une difficulté impossible à surmonter, qu’importe la qualité des soins que l’enfant reçoit.
« Des personnes disent que les installations sont OK, mais ça ne veut pas dire qu’il est OK de séparer des enfants de leurs parents », dit Debra Zeifman, professeure de psychologie du Vassar College, dans l’État de New York. « Même s’il y a des ressources et que leurs besoins physiques et hygiéniques sont comblés, les enfants séparés de leurs parents ne s’épanouissent pas et ne se développent pas normalement dans tous les aspects. »
La théorie de l’attachement, poursuit-elle, aide à expliquer pourquoi une séparation peut faire autant de tort à l’enfant. D’après cette théorie, maintenant considérée comme fondamentale par les psychologues pour comprendre le développement de l’enfant, le lien émotif entre le jeune enfant et la personne qui prend soin de lui est déterminant sur les plans cognitif, social et émotionnel.
Ce qui ne peut pas dire que les enfants un peu plus vieux qui sont séparés de leurs parents à cause de l’application de la loi par l’administration Trump s’en sortiront nécessairement mieux. Bien qu’ils soient en mesure de mieux comprendre ce qui se passe autour d’eux, ils risquent aussi de souffrir de problèmes de santé mentale plus tard.
« Si je suis un adolescent, ce sera l’incident fondamental de ma vie, dit Mark Reinecke. Les effets en aval peuvent être la dépression, l’anxiété, l’irritabilité. Ils peuvent être plus instables, plus méfiants. Il y a un vaste éventail de conséquences émotionnelles et sociales découlant de traumatismes répétés dans les premières années de la vie. »
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La communauté médicale croit unanimement que la pratique de séparer les enfants de leurs parents pourrait avoir, et aura probablement, de tels effets. Vendredi dernier, American Academy of Pediatrics a fait paraître une lettre dans laquelle elle s’oppose à la Border Security and Immigration Reform Act. Cette la loi a pour objet de supprimer le statut DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) qui permettait aux immigrants de bénéficier d’un moratoire de deux ans, réduire le nombre d’immigrants qui entrent légalement aux États-Unis, mettre en place des mesures répressives contre les demandeurs d’asile et contribuer à financer le mur promis par Trump à la frontière, sans faire quoi que ce soit pour éviter que des enfants soient séparés de leurs parents à la frontière.
« Nous savons que la séparation des familles cause des torts irréparables chez les enfants », ont écrit les pédiatres dans la lettre. « Ce genre d’expérience hautement stressante peut perturber le développement cérébral de l’enfant. L’exposition prolongée à un grand stress — appelé stress toxique — peut avoir des conséquences sur la santé d’une personne tout au long de sa vie. »
Les experts en psychologie de l’enfant à qui nous avons parlé rappellent que les personnes qui cherchent asile aux États-Unis ont normalement déjà subi des stress immenses en raison des conditions dangereuses de la fuite du pays duquel ils sont originaires, avant de vivre une nouvelle vague de stress à la frontière s’ils sont interceptés par les agents du service frontalier.
Debra Zeifman note aussi que ce traumatisme peut avoir des conséquences pour les autres membres de la famille et de la communauté. « Il y a beaucoup de mécanismes de transmission intergénérationnelle potentielle du traumatisme. Même si vous êtes citoyen américain, accepter qu’un proche ne soit pas un criminel, mais soit néanmoins considéré comme tel est une horrible expérience. Et que des enfants vivent aussi cette expérience est très dommageable. »