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Le vin nature est son étiquette

Plein de trucs m’ont poussé vers le vin nature. Mon daron qui a commencé à s’y intéresser en fréquentant les bonnes tables du quartier, mon pote qui a grandi dans le Jura, les cavistes qui ont tenté de m’expliquer la différence entre sulfite et levure indigène ou mon rédchef qui m’envoie chaque semaine l’adresse d’un site offrant la livraison à partir de 120 balles de quilles (avec le code Bienvenue2018).

Et puis j’imagine qu’il y a la fameuse crise de la trentaine qui incite à trouver un hobby rappelant vaguement la philatélie et l’envie de se bourrer régulièrement la gueule pour échapper à un quotidien fait d’échanges de mail passif-agressif. Ou peut-être que c’est cette combinaison de jeux de mots foireux et de dessins un peu olé-olé qu’on trouve parfois sur les étiquettes de vin nature qui me fait marrer plus que de raison et me rappelle Les Dingodossiers.

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Avec cette dernière observation, j’ai réalisé que je confortais bien involontairement un texte scientifique cité par un article de la Revue du vin France ( Étiquettes, de l’académisme à l’esprit underground) expliquant grosso modo que « le dégustateur dans l’élaboration cognitive de sa perception d’un vin accorde davantage d’importance à la vision qu’aux autres sens ».

Je ne sais toujours pas si cette élaboration a lieu avant que le vin soit carafé, ni si séparer le contenu du contenant est un acte sacrilège, mais j’ai quand même voulu poser la question à des vignerons, des vigneronnes et des artistes : qu’est-ce qu’une étiquette de vin nature nous dit du pinard et de celles ou ceux qui le font ?

« Pour moi, une étiquette doit refléter le caractère du vigneron. Enfin, j’espère que c’est le cas avec les miennes parce que c’est en ce sens que je les ai imaginées. Comme j’ai fait des études dans le marketing, c’était un peu ma partie », explique Vincent Marie, lead viticulteur du domaine No Control installé en Auvergne.

« La conception de l’étiquette fait partie intégrante de mon travail, assure quant à elle Julie Brosselin, vigneronne dans le Languedoc. Quand j’ai mis en bouteille mes premières cuvées, j’ai passé beaucoup de temps à mettre au point les dessins, à choisir les formats de bouteilles et d’étiquette. On apporte tellement de soin à la vigne et à la cave qu’il m’importe d’aller jusqu’au bout, jusqu’à la bouteille. »

Julie Brosselin a fait appel à sa sœur graphiste pour une vingtaine de croquis à l’encre de Chine dans un esprit calligraphique. « La liberté d’expression que l’on s’accorde se voit dans nos étiquettes, nos noms de cuvée et nos vins. Il n’y a aucun jugement de beau ou de bon. Chacun fait comme il veut et le résultat est le fruit du vigneron, de ses choix et de ses difficultés », poursuit-elle.

Une philosophie partagée par la plupart des producteurs interrogés. L’étiquette permet aussi de raconter une histoire, comme celle de Philippe Wies et son domaine de La Petite Baigneuse dans le Roussillon qui a décidé d’utiliser le même dessin pour toutes ses cuvées.

« On a investi il y a fort longtemps une ruine qu’on a reconstruite. Après quelque temps, un voisin débarque avec sous le bras une figurine en porcelaine des années 1930 : ‘Maintenant que la maison revit j’aimerais bien que la petite baigneuse rentre chez elle’. À ma création du domaine il me semblait plus sympa de l’appeler La Petite Baigneuse que ‘domaine machin’. J’ai donc scanné une photo de la figurine, un tour de filtre sur Photoshop et voilà », se souvient-il.

« Il y a une idée très répandue et très bizarre qui veut que le vin soit très sérieux. Un peu comme une loge maçonnique. »

« Dans le vin naturel, on est souvent issu de reconversion professionnelle. On est ce qu’on appelle des néo-ruraux. On ne reprend pas de domaine en particulier, on en crée un de toutes pièces. Du coup, on a envie de se faire plaisir et de ne pas rester dans les standards des étiquettes des vins conventionnels ou celles un peu lourdingues qu’on a l’habitude de voir », renchérit Vincent Marie.

Dans la grande tradition dionysienne qui associe la consommation de pinard à une activité épicurienne, certains vignerons nature ont pris un vieil adage – celui qui veut que les étiquettes soient un peu comme les préliminaires – au pied de la lettre décorant leurs bouteilles à grand renfort de nichons et de postérieurs.

Deux étiquettes des vins de Gérard Descrambe.

L’expression d’une culture « paillarde » mélangeant humour et érotisme qui n’est pas nouvelle (visiblement, il y avait déjà des étiquettes osées en Champagne à la Belle Époque) et qu’on retrouve sur une des cuvées emblématiques du vin nat’ : la Grololo. Un nom qui fait référence au cépage (grolleau) et dont les vignerons Jo et Isabelle Pithon racontent la genèse sur leur site.

Gérard Descrambe, vigneron bio de Saint-Émilion qui a affiché pendant plusieurs décennies des étiquettes de Reiser, Cavanna, Charb, Tignous ou Wolinski et qui fournissait en quilles la rédaction de Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo a toujours lutté contre le côté « cul-serré » du vin.

« Il y a une idée très répandue et très bizarre qui veut que le vin soit très sérieux. Un peu comme une loge maçonnique. Au début des années 1980, j’avais deux repoussoirs ; le bio, la plupart des gens avaient un a priori négatif à l’époque, et les dessins. Au début, les gens passaient en rase-mottes devant mon stand. 5 ou 6 ans après je ne vendais que les bouteilles avec les dessins. »

« C’est un peu comme habiller quelqu’un qui n’a pas l’habitude d’assister à une cérémonie. Il faut qu’il soit séduisant pour les autres mais qu’il se sente aussi à l’aise. »

Une affiche de Michel Tolmer, une étiquette de Catherine et Pierre Breton et la fameuse cuvée Grololo.

Les vignerons nature ne sont probablement pas les premiers à « bouleverser les codes » de l’étiquette de vin – qui apparaît en même temps que la lithographie en Allemagne à la toute fin du XVIIIe siècle. Par contre, ils injectent une touche indéniable de modernité.

« L’essor des vins dit ‘nature’ notamment a fait exploser la palette des représentations, avec l’affichage de convictions anarchistes, voire sataniques », écrivait Pierre Citerne dans La Revue du vin de France. On n’est pas méga convaincu niveau Belzebuth mais ce qui est sûr c’est qu’il y a aujourd’hui autant d’étiquettes différentes qu’il y a de vignerons.

« Les vignerons ne sont pas naturellement portés sur la communication. C’est un problème qu’ils doivent régler parmi d’autres et qui peut s’apparenter à des papiers de douane à remplir », rigole Michel Tolmer, un des illustrateurs les plus emblématiques du vin nature et auteur de la bande dessinée Mimi, Fifi et Glouglou aux éditions de l’Épure ainsi que de nombreuses affiches ou étiquettes (pour Pierre Breton ou Karim Vionnet) dédiées au vin nat’.

Deux affiches réalisées par Michel Tolmer.

« Pour une étiquette, j’aime bien quand on me lance une balle, que je la rattrape et que je la renvoie. Il y a deux personnes sur deux rives opposées qui se tendent le bras. C’est un peu comme habiller quelqu’un qui n’a pas l’habitude d’assister à une cérémonie. Il faut qu’il soit séduisant pour les autres mais qu’il se sente aussi à l’aise. C’est une question de feeling. Essayer de comprendre ce qu’il y a dans la bouteille, ce que tente de faire le vigneron et en faire une retranscription qui soit naturelle, qui paraisse évidente. »

Il y a souvent chez les dessinateurs qui collaborent avec des vignerons ou vigneronnes nature une conscience aiguë du travail réalisé. « Je connaissais déjà bien les vins naturels ayant fait pendant six ou sept ans les vendanges chez Jean-Claude Lapalu dans le Beaujolais qui fait de très belles choses en la matière », raconte Yann Legrand qui a illustré des bouteilles de Delphine Roibet, viticultrice dans l’Aude.

« J’étais donc conscient de l’engagement et des risques que prennent ces vignerons. J’aime l’idée du travail à l’échelle humaine, d’une production respectueuse qui préfère la qualité à la quantité, la volonté du bien fait qui exalte l’identité créatrice. »

Julien Kuntz, qui a dessiné pour Catherine Riss, vigneronne en Alsace, ajoute : « J’aime travailler avec des gens qui sont proches de la nature. Ce sont souvent des passionnés, ce qui rend le travail d’autant plus intéressant. J’ai voyagé au fil des jeux de mots de Catherine (c’est elle qui titre ses vins) où se mêlent géographie, géologie, astronomie, œnologie qui réveillent les sens et attisent mon inspiration. » Doit-on goûter un vin avant de l’illustrer ? Julien Kuntz est catégorique : « Oui, il faut s’en enivrer ;-) »

Les illustrations de Julien Kuntz pour Catherine Riss. Avec l’aimable autorisation de Julien Kuntz.

Même si l’on n’est pas dans le vin conventionnel, l’étiquette de nature est soumise à certaines contraintes. Dimension du lettrage, du taux d’alcool, mentions légales. « En Vin de France, on n’a pas le droit de mettre le cépage – sauf si on fait une demande particulière – ni le millésime », rappelle Vincent Marie.

« Les contraintes, on peut s’en affranchir en partie, assure Michel Tolmer. C’est un exercice de style. Certains vignerons vont dans l’hyper artisanat en dessinant chaque bouteille. Je pense que la contrainte n°1, c’est que l’étiquette puisse être identifiable et visible de loin. Après, je ne l’ai pas toujours respectée. »

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Est-ce que l’étiquette joue vraiment sur la perception qu’on a du vin ?

Pour Michel Tolmer, elle a un impact. « C’est comme une couverture de livre. Si vous avez un très beau texte mais que sa jaquette est moche, bah ça va être un frein. L’étiquette fait partie des milles conditionnements qu’on a avec le vin au même titre que la taille du verre, sa forme, la température, la compagnie, la pression atmosphérique, l’heure de la journée, la réputation du vigneron ou la soif qu’on a. »

Du côté de Philippe Wies, on est un peu moins catégorique : « Je ne crois pas qu’il y a une interaction entre l’étiquette et l’appréciation du vin. Enfin pas à la première bouteille. À la troisième peut-être. »