Les aspirations politiques de l’extrême droite québécoise

Il est désormais impossible d’ignorer qu’une frange de l’électorat conservateur se sente aliénée du pouvoir, si bien que l’extrême droite se fait de plus en plus imposante en Occident. Il suffit de penser à l’élection de Trump, au Brexit et à la popularité grandissante de Marine Le Pen.

Cette montée de l’extrême droite n’épargne pas le Québec, même s’il est difficile de mesurer l’ampleur exacte du phénomène ici. Plusieurs groupes et groupuscules québécois se mobilisent pour défendre des positions radicales contre l’islam, l’immigration, et les accommodements religieux et culturels. Le texte ci-dessous s’inscrit dans une série de portraits de quelques-un de ces groupes.

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Il n’a pas beaucoup plu en septembre dernier à Drummondville, mais il tombait des cordes le jour de la manifestation anti-islam.

Par contre, la pluie — ainsi que l’absence de circulation ou de passants — n’a pas démonté les quelque vingt participants qui ont fait les cent pas devant le petit centre communautaire musulman, brandissant pancartes et slogans.

« Restons maîtres chez nous! » a crié une femme dans un haut-parleur en direction de la rue déserte. « Le Québec n’est pas musulman! »

De l’autre côté, deux enfants à la peau foncée regardent la scène depuis une fenêtre au deuxième étage. L’une des manifestantes, une grande femme dans la quarantaine les aperçoit et les pointe d’un doigt accusateur : « Oui, c’est de vous qu’on parle », lance-t-elle.

Un résident fait part aux manifestants de son désaccord.

Après quelques joutes verbales contre des résidents en désaccord avec eux et l’arrivée de policiers, la manifestation s’est essoufflée et les participants ont empilé leurs pancartes contre la porte du centre. Mais il y aura bientôt d’autres actions organisées par l’extrême droite au Québec, en croissance dans la dernière année.

Ce rassemblement était l’initiative de la branche québécoise de PEGIDA, un groupe d’extrême droite allemand. Fondé à Dresden en 2014 par Lutz Bachmann, Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes (en français, Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) a souvent été accusé d’incitation à la haine. (Plus tôt cette année, un tribunal allemand a déclaré Bachmann coupable de discours haineux pour des commentaires anti-immigration publiés sur Facebook.)

Néanmoins, le chef de PEGIDA Québec, Stéphane Asselin, maintient que le groupe n’est pas xénophobe ou raciste. Son ambition principale, a-t-il expliqué à VICE, est de « contrer l’islam politique et l’intégrisme ».

Et il souhaite défendre ses idées à l’Assemblée nationale.

Un homme montre son affiche.

PEGIDA Québec s’est formé au début de 2015, et le démarrage a semblé pénible. Sa première sortie, une manifestation contre des musulmans dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, n’a attiré qu’une poignée de participants et s’est noyée dans le flot de contre-manifestants, rassemblés contre le racisme.

Ensuite, en novembre, le soi-disant membre de PEGIDA Jean-François Asgard a publié une liste des mosquées de Montréal sur la page Facebook du groupe, accompagnée d’une invitation à agir sans équivoque : « repensez plusieurs fois votre plan pour ne jamais etre mis aux arret. cest ds la qualité de notre engagement que nous les vaincrons!! » [sic x 100]

Des médias ont parlé de la publication, poussant le groupe à condamner le geste et à se distancier de François Asgard, qui, selon Stéphane Asselin, n’a jamais été un membre légitime de PEGIDA. « Je ne l’ai jamais rencontré, dit-il. Je ne sais même pas si c’est une vrai personne ou bien un troll. »

Maintenant, après l’arrivée de réfugiés syriens, les attaques de Paris, de Bruxelles et de Nice — qui ont ébranlé le monde et touché une corde particulièrement sensible au Québec —, PEGIDA Québec semble bien installé.

Stéphane Asselin explique que son groupe tente maintenant de créer un front uni avec d’autres groupes aux mêmes visées afin de réaliser ses aspirations politiques. Sur Facebook, il dit participer à la gestion d’une page secrète ralliant les chefs de la plupart des groupes de droite de la province, au nombre d’environ 50. « On essaye de moins militer sur le terrain parce que les petites manifestations ne mènent pas à grand-chose, il faut vraiment se politiser. »

Cette ambition découle de l’impression qu’aucun des partis politiques actuels ne prend les mesures nécessaires pour protéger l’identité québécoise. « On comptait sur le Parti québécois », dit-il, donnant en exemple la tentative de doter la province d’une Charte des valeurs. « La CAQ est un parti fédéraliste, et je ne me sens pas canadien. Pour ce qui est de Québec suicidaire, ça n’a pas rapport », dit-il à propos de Québec solidaire. Quant au Parti libéral, « c’est carrément l’Arabie saoudite ».

Exprimer ses points de vue au Salon bleu lui procurerait aussi l’immunité parlementaire, une considération importante. « Quand on fait des manifestations pis qu’on dit quelque chose qui ne plaît pas à quelqu’un, on peut se faire actionner, observe-t-il. Tandis que si on est politisés et qu’on dit quelque chose à l’Assemblée nationale on est protégés. »

Le chef de PEGIDA Québec ne prend pas la responsabilité des propos haineux publiés sur les pages de ses groupes, dont des incitations à la violence et des menaces de viol. « Je n’ai jamais menacé personne de mort, je n’ai jamais appelé à brûler des mosquées. Y en a qui ont fait ça, mais ce n’est pas nous. S’ils s’identifient à PEGIDA, bien ce n’est pas notre faute. »

Un petit échantillon des commentaires sur la page Facebook de PEGIDA.

Interrogé au sujet de sa plateforme électorale, Stéphane Asselin dit que sa première décision, s’il était élu, serait de fermer toutes les mosquées, les écoles coraniques et autres écoles religieuses.

Quand il est — inévitablement — question de Donald Trump, il affirme que le président élu est un peu trop radical, mais il est d’accord avec lui sur l’islam. « Si j’étais au pouvoir, je ferais la même chose que lui, tous les musulmans devront s’adapter à notre culture et non le contraire, dit-il. Si t’es pas content, t’as un billet d’avion gratuit et tu t’en retournes chez vous. »

PEGIDA Québec n’est pas le seul groupe à s’aventurer sur ce terrain. Ugo Ménard, candidat indépendant de l’extrême droite qui, selon lui, dirige la branche québécoise du Front National, a aussi exprimé ses ambitions politiques. Galvanisé par la victoire de Trump, Bernard « Rambo » Gauthier, la superstar de la Commission Charbonneau, a récemment annoncé son intention de confronter les « élites politiques » en se présentant à la tête du parti qu’il vient de fonder, Citoyens au pouvoir.

Des membres des groupes de droite ont aussi affirmé à VICE qu’un parti composé en partie d’ex-partisans de l’ADQ, Équipe autonomiste, dont la devise est « Plus à droite mais pas dans le champ », met l’accent sur la préservation de la culture québécoise et l’amélioration de « l’état de la condition masculine ».

L’envergure de l’extrême droite au Québec est difficile à mesurer. PEGIDA Québec, qui compte maintenant 15 500 membres sur Facebook, est le plus important groupe de la province (en comparaison, PEGIDA Canada compte environ 21 800 membres). Seule la communauté fermée appelée La Meute (plus à leur sujet ici) les dépasserait, et de loin : elle rassemblerait plus de 40 000 membres. Toutefois, comme beaucoup des membres font partie de plusieurs groupes à la fois, et que quelques observateurs et journalistes curieux ont aussi cliqué sur « J’aime », le nombre précis est presque impossible à déterminer.

Affirmer que tous ces groupes islamophobes constituent un mouvement est peut-être aussi tiré par les cheveux, car ils soutiennent différentes idéologies : certains se disent contre les islamistes extrémistes et d’autres contre toute immigration. Nos conversations avec divers membres ont mis en évidence des dissensions entre les groupes (par exemple, plusieurs reprochent à La Meute son « manque d’actions concrètes », tandis que d’autres critiquent les groupes aux idées trop fascistes), ainsi que des désaccords entre membres au sein d’un même groupe.

L’étiquette « extrême droite », ou « alt-right » en anglais (droite alternative), ne fait pas l’unanimité non plus : plusieurs personnes à qui nous avons parlé rejettent le terme, assurant qu’ils ne sont pas extrêmes ni racistes.

Cependant, Herman Deparice-Okomba, directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal, estime qu’un groupe qui fait la promotion de la division et de la peur entre dans la catégorie des groupes radicaux. « PEGIDA est sur notre radar. Ils prônent un discours de rupture et incitent à la haine, dit-il. Au lieu de valoriser l’inclusion, ils encouragent l’exclusion. On ne peut pas être dans un groupe qui prône la haine raciale et dire qu’on n’appelle pas à la violence. »

L’enjeu de la radicalisation de la droite occupe beaucoup le Centre : 10 % des appels que reçoit l’équipe concernent l’extrémisme de la droite. (Les questions ou des inquiétudes relatives à l’extrémisme sur un enjeu particulier comptent aussi pour 10 % et l’extrémisme politico-religieux, pour 80 %.)

Toutefois, Herman Deparice-Okomba pense qu’il n’y a pas que des conséquences négatives si ces groupes deviennent des partis politiques, en autant qu’ils renoncent à la violence. « Il faut avoir des espaces de discussion avec ces personnes-là, il faut qu’on échange avec eux, leur faire comprendre que le débat ne se passe pas sur le terrain de la violence, qu’il se passe one-on-one dans un terrain de dialogue d’ouverture, de compréhension et de respect réciproque. »

Pour l’instant, Stéphane Asselin consacre son énergie à rencontrer des gens et à créer la bonne formule politique. Il a recruté un ex-candidat du Parti autonomiste et ex-membre du Parti québécois, Sébastien Poirier, pour prendre la barre du parti.

Le groupe se cherche maintenant un nouveau nom. « Pour l’instant, c’est PEGIDA Québec, mais éventuellement ça va changer, » dit-il. Parce que le parti sera une entité distincte du groupe d’activistes, mais aussi parce qu’il a noté que l’acronyme serait le même que le Parti québécois.