Le Yéti prend un air benêt pour des bonbons à la menthe, le monstre du Loch Ness se contorsionne pour du whisky, Bigfoot se laisse surprendre à découvert pour une voiture : la publicité aime se jouer des animaux légendaires, ou cryptides. Aisément reconnaissables, sympathiques et propices aux effets de décalage comique, ils font de formidables mascottes. Pour beaucoup d’entre nous, ces créatures cessent d’exister en dehors de ce rôle de blagues ambulantes. Pour d’autres, elles sont tout sauf une plaisanterie.
Au milieu des années 50, le zoologue franco-belge Bernard Heuvelmans a donné naissance à une discipline centrée sur les bêtes insaisissables : la cryptozoologie, littéralement “étude des animaux cachés”. Les nombreux ouvrages qu’il a consacrés à cette pseudo-science au cours des cinq décennies suivantes sont considérés comme des références par les cryptozoologues contemporains : Sur la piste des bêtes ignorées, L’homme de Néanderthal est toujours vivant, Les derniers dragons d’Afrique… Beaucoup situent les origines de leur exaltation dans ces enquêtes qui mélangent anthropologie, paléontologie, zoologie. Quinze ans après la mort de leur maître à penser, les chasseurs de cryptides francophones continuent à retourner bibliothèques et jungles tropicales, bien décidés à prouver que la cryptozoologie est une affaire tout à fait sérieuse. Motherboard est allé leur rendre visite.
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Michel Raynal a 61 ans, il est chef de projet spécialisé en nouvelles technologies chez Orange. Cet ancien biochimiste se plaît à rappeler d’une voix souriante qu’il approche de la retraite quand il évoque son engouement pour les cryptides, comme s’il était heureux de pouvoir enfin leur consacrer tout son temps. Les animaux cachés le captivent depuis de nombreuses années : il était encore étudiant quand les travaux de Bernard Heuvelmans ont amorcé sa passion. “C’était en 1975, nous a-t-il expliqué par téléphone. J’ai vu son ouvrage sur les grands serpents de mer en vitrine d’une librairie, je l’ai acheté et je l’ai lu.” Conquis par ce premier contact avec la cryptozoologie, le jeune homme a vite entamé une correspondance épistolaire avec le patriarche de la discipline. Elle allait durer vingt ans : “Nous avons échangé des dizaines de lettres, se souvient-il. Je suis allé le voir et il m’a encouragé à mener des recherches bibliographiques.”
Bernard Heuvelmans (1916-2001), fondateur de la cryptozoologie. Image via
En 1981, le Bulletin de la Société d’Études des Sciences Naturelles de Béziers a publié le premier article cryptozoologique de Michel Raynal. S’inspirant d’une observation de l’explorateur Francis Mazière, il y suggérait que l’étrange oiseau sans ailes qui avait été entr’aperçu sur l’île polynésienne d’Hiva-Oa au début du 20e siècle était une sorte de poule sultane très similaire au takahé, un animal du genre Porphyrio bien connu des Maoris. A l’époque, le chercheur avait fait parvenir son papier à des ornithologues qui avaient salué le sérieux de son travail sans valider sa thèse : “Ils ont expliqué qu’un oiseau inconnu avait effectivement survécu aux Marquises jusqu’au milieu du siècle dernier, mais ils ne pensaient pas qu’il était identique ou apparenté au takahé, se souvient l’ancien biochimiste. Plus de 3 000 kilomètres séparent la Polynésie et l’ère de répartition géographique la plus proche du genre Porphyrio, du côté de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle Guinée. Pour eux, s’il y en avait eu à Hiva-Oa, on en aurait trouvé tout au long du chemin.”
Malgré les doutes des spécialistes, le cryptozoologue avait raison : quelques années après la publication de son article, les restes d’un oiseau disparu ont été découverts sur l’île d’Hiva-Oa. Comme le chercheur l’avait soutenu à force de recherches acharnées, cette espèce jusqu’alors inconnue s’est révélée presque identique au takahé. Baptisée Porphyrio paepae, elle s’est éteinte d’avoir été trop chassée pour sa chair par les autochtones. Ce petit coup d’éclat n’a rien à voir avec les abominables hommes des neiges et autres créatures des eaux écossaises, mais il relève tout de même de l’étude des animaux cachés. C’est ainsi que Michel Raynal entend pratiquer la chasse aux cryptides : “Je n’ai pas spécialement tranché sur les dossiers qui font la une comme le Bigfoot ou le Loch Ness, explique-t-il. Je préfère les sujets moins connus et plus plausibles. (…) Je me définis comme un cryptozoologue critique, ce qui ne veut pas dire incrédule, mais objectif et sceptique.” Déterminé à faire comprendre qu’il “ne gobe pas n’importe quoi” malgré son domaine d’études controversé, il ajoute : “Je suis très attaché à la méthode scientifique.”
Au fil des décennies qui ont suivi la publication de son premier article, le chercheur a produit bon nombre d’écrits consacrés aux cryptides les moins réputés. Il n’est pas peu fier de ces papiers extrêmement documentés : “J’ai contribué à rendre plus cohérents des dossiers considérés comme un peu faibles et participé à l’effondrement d’affaires qui semblaient solides”, affirme-t-il. Il a retracé l’histoire mouvementée de l’ours de l’Atlas, démontré que l’énigmatique améranthropoïde du Venezuela n’était qu’une plaisanterie, argumenté sur la survivance de la sirénéenne rhytine de Steller après sa date de disparition officielle, rappelé avec ferveur que la cryptozoologie avait prédit l’existence d’un papillon à la trompe démesurée bien avant sa découverte expérimentale… Tous ces articles sont disponibles sur l’Institut Virtuel de Cryptozoologie, un site Internet qu’il entretient avec soin depuis 1997. En 2011, Michel Raynal a même co-signé un ouvrage dédié aux céphalopodes géants avec l’historien de formation Pierre-Yves Garcin.
Tous ces travaux ont été élaborés à partir de recherches essentiellement bibliographiques, l’imminent retraité reconnaissant volontiers qu’il est un investigateur de bureau plutôt qu’un “crapahuteur de terrain”. Tous les cryptozoologues ne sont pas aussi sédentaires. Quelques traqueurs d’animaux mystérieux mènent même la majeure partie de leurs enquêtes au grand air ; Michel Ballot est sans doute le plus célèbre d’entre eux. Depuis une quinzaine d’années, cet ancien juriste de 52 ans poursuit un cryptide célèbre dans les forêts pluviales qui lient le Cameroun, la Centrafrique et le Congo. Contacté par Motherboard, il explique : “Je suis explorateur et naturaliste. J’ai deux casquettes : protection des éléphants de forêt et recherche d’espèces animales inconnues de la science, en particulier le Mokélé-mbembé.” D’après les populations locales,cet animal serait un genre d’éléphant, de rhinocéros ou d’hippopotame d’une quinzaine de mètres de long, avec un cou de serpent et une queue de crocodile. Quelques témoins plantent des excroissances osseuses sur son dos, d’autres équipent les mâles d’une petite corne. Tout le portrait d’une version miniature d’un dinosaure de l’infra-ordre des sauropodes, type diplodocus ou brachiosaure. Des espèces éteintes depuis 65 millions d’années.
Michel Ballot au cours de l’une de ses expéditions au Cameroun, en janvier 2016.
A en croire les amateurs de cryptides, les témoignages qui attestent de l’existence d’un animal semblable à un dinosaure dans le bassin du Congo foisonnent depuis les premières années du 20e siècle. Il y est question de cris inconnus, de lacs troublés par une silhouette suspecte et surtout d’autochtones qui débordent d’histoires sur la bête. Certains cryptozoologues soutiennent même qu’un certain révérend Eugene Thomas aurait vu les pygmées du lac Télé mettre un Mokélé-Mbembé à mort en 1959. Les sceptiques n’ont pas manqué de souligner que tous ces mots ne suffisaient pas à prouver l’existence d’un dinosaure africain. En bon cryptide, la créature reste insaisissable. Michel Ballot ne le sait que trop : aucune des expéditions qu’il a menées au Congo depuis 2003 ne lui a permis d’apercevoir le mystérieux animal ou d’obtenir une preuve irréfutable de son existence. A chaque fois, le cryptozoologue doit se contenter des déclarations de témoins oculaires et d’empreintes qui pourraient bien être celles d’un hippopotame ou d’un très gros varan.
Si Michel Ballot court après le Mokélé-Mbembé sans se décourager depuis près de 15 ans, il affirme pratiquer la cryptozoologie depuis 30 ans. Comme Michel Raynal, il a découvert la discipline grâce aux travaux de Bernard Heuvelmans, alors qu’il était encore au lycée. “Après avoir lu son ouvrage incontournable, Sur la piste des bêtes ignorées, je l’ai contacté en 1977, se souvient-il aujourd’hui. Je n’habitais pas très loin de son centre de cryptozoologie internationale, j’y allais souvent. J’ai fait pas mal de recherches bibliographiques pour lui et peu à peu, je me suis lancé seul.” C’est sous l’influence du père de l’étude des cryptides que l’ancien juriste a décidé de se lancer sur les traces du Mokélé-Mbembé. Il raconte : “Bernard Heuvelmans m’a beaucoup parlé de cet animal, il m’a envoyé une grande quantité de documentation à son sujet. C’était une espèce qui n’était pas aussi médiatisée que d’autres. Il y avait déjà eu des expéditions de recherche dans les années 80, des équipes américaines, mais tout restait à faire. J’en ai profité pour m’y attaquer de A à Z.”
Une représentation populaire du Mokélé-Mbembé. Les représentations du cryptide varient selon les récits. Image via
En 2012, la réalisatrice Marie Voignier a dévoilé un documentaire consacré à cette chasse très personnelle, L’Hypothèse du Mokélé-Mbembé. Le film suit Michel Ballot dans les forêts d’Afrique centrale, alors qu’il voyage de village en village dans l’espoir de recueillir le témoignage qui lui permettra enfin de croiser le chemin de la bête. Sans succès, bien sûr. L’ancien juriste a également évoqué sa passion de la cryptozoologie au micro de France Inter en 2014, pour la sortie de son ouvrage A la recherche du Mokélé-Mbembé. Dans le prologue, il raconte les premiers instants d’une nouvelle expédition en territoire pygmée : “Peu à peu, nous quittons la piste pour la profondeur brute de la forêt. Je pars une nouvelle fois chercher l’animal fabuleux qui m’a hanté toute ma vie. Mes espoirs sont intacts”. Lors de l’entretien qu’il a accordé à Motherboard, le cryptozoologue a laissé transparaître une détermination toujours inébranlable : “Il se passe parfois dix, vingt, trente ans entre le moment où les populations locales parlent d’un animal à un explorateur et celui où il est découvert. Le Sud Cameroun est une zone très inexplorée. Il y aura des découvertes zoologiques à faire là-bas dans les prochaines années.”
Bien que Michel Ballot passe pour le cryptozoologue francophone le plus actif sur le terrain, il est loin d’être le seul à traquer les cryptides sur le tas. Eric Joye a fondé l’Association belge d’étude et de protection des animaux rares (ABEPAR) en 1993, juste avant de s’envoler vers la République centrafricaine pour y pister un hypothétique tigre à dents de sabre. Au terme d’une expédition riche en témoignages d’autochtones, il est rentré en Belgique sans la moindre preuve de l’existence de la bête. Son goût des excursions cryptozoologiques nullement entamé par ce premier échec, Eric Joye s’est rendu en Norvège en 1998,1999 et 2000 pour traquer un serpent de mer aux côtés d’autres passionnés. Malgré les caméras de haute volée, les sonars, les hydrophones et les reconnaissances aériennes en ULM, ces trois expéditions furent incapables de prouver que le lac Seljordsvatnet abritait un monstre. Toujours bien décidé à découvrir un animal caché, Eric Joye s’est rabattu dès 2005 sur une valeur sûre de la cryptozoologie : le Sasquatch ou Bigfoot, un humanoïde poilu qui cacherait son imposante carrure dans les forêts d’Amérique du Nord.
Le peintre et illustrateur Philippe Coudray a pris part à plusieurs des dix expéditions qu’Eric Joye a menées dans les forêts du Texas et de la Colombie Britannique entre 2005 et 2015. Il a également organisé ses propres périples nord-américains ; en 2013, l’un d’entre eux a fait l’objet d’un documentaire. Bien qu’aucune de ces missions n’ait apporté de preuve irréfutable de l’existence du Bigfoot, elles ont renforcé la conviction de l’auteur de bandes dessinées : “Nous avons relevé des empreintes de pied, une empreinte de main, entendu et enregistré des cris inconnus, ainsi que les fameux coups frappés sur les arbres que l’on entend de jour comme de nuit, a-t-il expliqué à Motherboard. Nous avons découvert deux fois une collection d’objets colorés volés dans des campings, observé de nombreuses structures de branches, en forme d’étoile, de tipi ou de croix, découvert une litière en roseaux de quatre mètres de long.” Objets déposés près des tentes, silhouettes, pierres lancées dans le campement depuis la forêt, la liste d’indices est encore longue. L’artiste continue : “La nuit, autour des tentes, une présence s’amuse quelquefois à faire du bruit, à jeter violemment une pierre au sol, même à palper une tête à travers la toile.”
Montage réalisé à partir de “Bigfoot”, film réalisé par Roger Patterson et Robert Gimlin en 1967.
Bien d’autres que Philippe Coudray ont cherché le Yéti nord-américain aux côtés d’Eric Joye : le physicien et ufologue Léon Brenig, la diplômée d’éthologie et d’anthropologie Michèle Aquaron, un technicien en archéologie, un vétérinaire, des étudiants en cinéma… Chaque année depuis 1997, tous ces pisteurs de cryptides plus ou moins assumés ont l’occasion de se retrouver lors du Colloque européen de cryptozoologie de l’ABEPAR. Ces week-ends de conférences et d’exposés voient souvent passer les mêmes intervenants : Michel Raynal, Michel Ballot, les chasseurs de Bigfoot francophones. Une poignée de scientifiques reconnus s’y sont également produits, comme l’océanographe et découvreur du crabe yéti Michel Segonzac ou Patrick De Wever, professeur de géologie au Muséum national d’histoire naturelle. Dans les liste des participants aux colloques, on trouve aussi quelques chercheurs controversés. La plus célèbre est sans doute Anne Dambricourt-Malassé. Au milieu des années 2000, cette paléoanthropologue affiliée au CNRS a provoqué l’ire de l’orthodoxie néo-darwiniste en soutenant que l’évolution de l’homme était unprocessus interne “d’une logique implacable”, pas une affaire de mutations aléatoires et de sélection naturelle. Pour certains évolutionnistes, c’est là pur créationnisme. Cette idéologie qui perçoit le vivant comme une oeuvre divine fricote ouvertement avec la cryptozoologie aux Etats-Unis.
En 2004, le Colloque européen de cryptozoologie a donné la parole à une autre paléoanthropologue aux thèses minoritaires, la docteur d’État ès-Sciences Yvette Deloison. Dans son essai La Préhistoire du piéton, cette spécialiste de la locomotion des premiers hominidés soutient que l’ancêtre de l’homme n’est ni un primate arboricole, ni un quadrupède qui s’est progressivement redressé, mais une créature qui marchait déjà sur deux pattes. “Non ! L’homme ne descend pas du singe” tonne l’éditeur du livre. Cette théorie de la bipédie dite “originelle” ou “initiale” séduit les amateurs de cryptides. Michel Raynal avoue qu’elle est “difficilement acceptée par la majorité des scientifiques” mais qu’il est tout de même “enclin à [la] partager”. Le cryptozoologue franco-allemand François de Sarre est même allé jusqu’à proposer une nouvelle version de la bipédie initiale, selon laquelle tous les vertébrés descendent d’un “homoncule marin”. Ce cryptide muni d’un crâne-flotteur aurait développé une “bipédie naturelle” dans l’eau avant de coloniser le milieu terrestre. Les preuves fossiles de son existence restent à découvrir.
François de Sarre, qui est allé chasser le Mokélé-Mbembé avec Michel Ballot il y a quelques années, défend son audacieux petit homme des mers par le biais du Centre d’études et de recherches sur la bipédie initiale (CERBI). Entre sa fondation en 1988 et janvier 2010, cet organisme a fait paraître 28 numéros d’une revue intitulée Bipedia. Bon nombre d’articles consacrés à l’étude des cryptides y ont été publiés. S’il participe régulièrement aux Colloques européens de cryptozoologie, le franco-allemand barbotte dans un autre milieu encore plus controversé : le récentisme, ou Nouvelle Chronologie. Cette doctrine popularisée par le mathématicien russe Anatoly Fomenko soutient que l’histoire telle que nous la connaissons a été rallongée de plusieurs siècles par des savants catholiques. Les récentistes affirment que l’Eglise a ordonné cette falsification pour assoir son pouvoir après qu’un cataclysme a détruit toute trace de l’ancien monde. Une théorie révisionniste dure qui désespère les spécialistes et séduit les conspirationnistes comme Pierre Dortiguier ou Alain Soral. Quant à leur coreligionnaire François de Sarre, il est l’auteur du seul ouvrage de Nouvelle Chronologie francophone, Mais où est donc passé le Moyen-Âge ?
Les récentistes vont jusqu’à contester la fiabilité des méthodes de datation.
Parce qu’ils sont adeptes d’une pseudo-science, bon nombre de cryptozoologues se frottent volontiers aux théories controversées et autres courants de pensée minoritaires. Entre parias, il faut bien se tenir chaud. Au grand désespoir de ceux qui plaident pour une cryptozoologie sérieuse, cette tendance attire aussi les illuminés : quelques extrémistes de l’étrange n’hésitent pas à barbouiller la quête des animaux cachés d’ufologie, de parapsychologie, voire de magie. “Certains se lancent dans des hypothèses aussi extravagantes que farfelues à propos des cryptides, explique Michel Raynal, un rien narquois. Ils pensent que le fait qu’on ne puisse pas les attraper est bien la preuve qu’ils viennent d’un autre univers, qu’ils sortent de la quatrième dimension, qu’ils sont des créations mentales des témoins… Certains disent même que ce sont des ectoplasmes créés par des médiums. Et j’en passe et des meilleures !” Ces adeptes de la tambouille surnaturelle sont souvent liés au Fortéanisme, un mouvement basé sur l’oeuvre de l’écrivain américain Charles Hoy Fort. Leur truc : le mystérieux sous toutes ses formes, des fantômes aux pluies de poissons.
Pour Philippe Coudray, le courant fortéen et ses théories osées sont en grande partie responsables de la mauvaise image des pisteurs de cryptides. Difficile de passer pour un chercheur de Sasquatch raisonnable quand les élèves de Charles Hoy Fort soutiennent que l’animal est insaisissable parce qu’il voyage en ovni ou qu’il provient d’un monde parallèle. “Certains adeptes de la cryptozoologie ont trop tendance à mélanger tous les mystères et mettre sur le même plan les phénomènes paranormaux et la recherche d’espèces inconnues.”, regrette le père de l’Ours Barnabé. Si le Fortéanisme séduit avant tout les anglophones, il dispose d’une petite tête de pont française, La Gazette Fortéenne. Cette revue au rythme de publication incertain – six années séparent les deux derniers numéros – fait se côtoyer soucoupes volantes, vampires, “épidémies de personnalités multiples” et animaux étranges depuis 2002. L’intrépide François de Sarre y a signé plusieurs articles, le plus raisonnable Michel Raynal aussi.
Michel Ballot estime que la mauvaise réputation de la cryptozoologie tient aussi à son traitement médiatique. “Les gros dossiers accaparent l’attention, regrette l’aventurier. Ils ont souvent été abordés de façon populaire et ils ont suscité beaucoup de canulars, ça a desservi la discipline.” Michel Raynal acquiesce : “Tout ce que certains journalistes ont à l’esprit, c’est le Yéti et le monstre du Loch Ness… Les dossiers moins sensationnels comme l’oiseau d’Hiva-Oa, le Waitoreke, le Gazeka, les geckos géants de Nouvelle-Zélande, le lion tacheté du Kenya, tout ça est en général inconnu du grand public, voire de certains cryptozoologues.” L’ancien biochimiste dénonce aussi le manque de rigueur méthodologique de certains chasseurs de cryptides, qui ne savent pas photographier une empreinte comme le ferait un authentique scientifique ou interroger un témoin sans l’influencer. “Mon objectif, quand je serai à la retraite, c’est de participer à une plus grande rigueur et donc une meilleure acceptation par la zoologie, explique-t-il. Ca pourra se faire par une formation, par des conférences, par Skype… Ca aboutira peut-être à une véritable formation, voire un diplôme ? Qui le délivrera, cela reste à définir !”
La route de la reconnaissance est encore longue pour la cryptozoologie, mais Michel Ballot a bon espoir. D’après le chasseur de Mokélé-Mbembé, les chercheurs traditionnels ne sont pas tous réfractaires à sa discipline : “Certains scientifiques, en particulier des paléontologues, très connus, ne veulent pas se positionner officiellement vis-à-vis de nos recherches mais nous apportent leur aide de manière officieuse. (…) Il y a même quelques membres du Muséum d’histoire naturelle qui nous soutiennent. On est de plus en plus aidés.” Qu’importe qu’il soit bien improbable que le dernier dinosaure, le Sasquatch ou le monstre du Loch Ness existent bel et bien, la cryptozoologie tient le pari. Comme toutes les pseudo-sciences, elle est le fruit d’une conviction touchante, rassurante et somme toute très raisonnable, d’une évidence : nous sommes loin d’avoir tout découvert. Les cryptozoologistes osent y croire en grand et c’est peut-être pour ça que les chercheurs encartés acceptent de les aider. Il fait bon espérer que Bigfoot est là, quelque part.