Dans les années 1980, les skateurs de Philadelphie ont élu domicile au John F. Kennedy Plaza, plus connu sous le nom de LOVE Park, en référence à son emblématique sculpture de Robert Indiana – jusqu’à ce que la ville le ferme pour des rénovations en février 2016. La période précédant la destruction de ce monument a incité le photographe Jonathan Rentschler à réaliser son premier livre photo, LOVE, paru aux éditions Paradigm Publishing. Il nous a expliqué ce que LOVE Park signifiait pour les skateurs.
VICE : Sur vos photos, je vois des gens de différentes races et de différentes classes en train de skater, filmer et traîner ensemble. Quelles ont été les conséquences du LOVE Park pour Philadelphie ?
Jonathan Rentschler : Il était vraiment unique, dans le sens où c’était vraiment la merde aux États-Unis – et partout dans le monde – en ce qui concerne la race, mais au LOVE, personne ne se souciait de ce genre de choses. Nous étions tous ensemble – c’était une vraie communauté, une fraternité. Je pense que la ville n’a jamais compris à quel point cet endroit était important. C’est vraiment une honte, surtout pour les gamins qui y traînaient. C’était de vrais gamins de la ville. La plupart venaient de foyers brisés, et le skate était pour eux un moyen de se changer les idées. La ville n’a pas réalisé le potentiel de cet endroit.
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Quels genres de personnes fréquentaient le Love Park ?
Il y avait de tout. Bien sûr, les skateurs étaient là tous les jours, tout au long de la journée. Les sans-abri étaient là tout le temps aussi. Beaucoup de touristes venaient voir la sculpture. La semaine, deux policiers étaient toujours stationnés là. Il y avait aussi de nombreux écoliers. À cause de l’emplacement central du parc, beaucoup d’hommes d’affaires venaient y déjeuner. Toutes sortes de gens s’y mêlaient.
Y avait-il beaucoup de bagarres ?
Les bagarres étaient monnaie courante au LOVE, surtout entre les sans-abri, et j’imagine qu’elles portaient sur la drogue, le territoire, ou qu’ils étaient simplement en état d’ébriété. Il y avait parfois des prises de bec entre les skateurs, mais elles étaient plus rares.
Pouvez-vous me parler des dealers qui fréquentaient le LOVE Park ?
La plupart des dealers vendaient de la drogue dure et s’en prenaient aux sans-abri. Bien sûr, il y en avait quelques-uns qui vendaient juste de l’herbe, mais la plupart étaient dangereux. La police les ignorait – elle était plus occupée à chasser les skateurs. Pendant tout le temps que j’ai passé là-bas, je n’ai jamais vu aucun dealer se faire attraper. Ils se sont un peu effacés avec l’arrivée du K2, un cannabis de synthèse. Puisque le K2 était légal et bon marché, c’est devenu une drogue populaire auprès des sans-abri. Je n’avais jamais vu autant de gens devenir fous et faire des overdoses. Mais là-bas, ça arrivait quotidiennement.
Comment les gens ont-ils réagi lorsque tu as commencé à documenter le LOVE Park ?
Au début, j’étais là depuis si longtemps que les gens ne se rendaient presque même plus compte que je prenais des photos la moitié du temps. Mais après quelques années, ils ont commencé à être curieux de savoir ce que j’allais faire de ces images, ils me demandaient : « Oh, tu vas les publier sur un blog ou quelque chose comme ça ? » Ils n’avaient pas vraiment de recul. Faire un livre, c’est le Saint Graal pour un photographe – c’est vieille école, traditionnel.
Parlez-moi de l’influence d’outsiders comme Ishod Wair et Mark Suciu, qui se sont beaucoup intéressés à Philly.
Ishod vient du New Jersey, pas très loin de Philadelphie. Quand sa carrière a décollé, il a emménagé ici et a commencé à skater au LOVE. Cela a contribué à redonner de l’éclat au parc. Même chose quand Mark est arrivé à Philadelphie. Au final, ils sont vraiment devenus des locaux – en particulier le Sabotage Crew, Brian Panebianco, Ryan Higgins, et tous ces mecs-là. Ils ont tous travaillé de concert pour remettre le LOVE sur les rails.
Que pouvez-vous me dire au sujet d’Edmund Bacon et Vincent Kling, respectivement le planificateur et l’architecte impliqués dans la création du LOVE Park ?
C’était l’idée d’Edmund Bacon, au départ, de mettre un parc au bout de l’avenue Benjamin Franklin Parkway, à côté de l’hôtel de ville. Ce n’est que lorsqu’il est devenu urbaniste pour la ville de Philadelphie qu’il a pu en faire une réalité. Vincent Kling est l’architecte qui a conçu le LOVE Park. Kling a également conçu le Dilworth Park et le Thomas Paine Plaza. Ces trois parcs comptaient sans aucun doute parmi les meilleurs spots de skate de tout le pays, et n’étaient situés qu’à quelques pâtés de maisons les uns des autres. Un tiercé gagnant.
Sur les photos que vous avez prises de la démolition du parc, on voit encore une bande de skateurs assis dans le froid. Qu’est-ce qui, selon vous, a fait que les gens gravitaient toujours vers le LOVE Park ?
Le LOVE faisait tellement partie intégrante de nos vies que, quand ils ont commencé à fermer des sections du parc, personne ne voulait partir. Les gens ont continué de skater dans le parc jusqu’à ce qu’il ne soit littéralement qu’un tas de poussière. Cela montre bien que la communauté du skate était dévouée à cet endroit.
Jonathan Rentschler, LOVE, éditions Paradigm Publishing
Jonathan Rentschler vit à Philadelphie et poste régulièrement des photos sur son compte Instagram @eurojon.