Culture

Les disparus du phare d’Eilean Mòr

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Au sommet de l’île escarpée d’Eilean Mòr, au nord-ouest de l’Ecosse, se trouve un phare.

Le phare blanc, plutôt sobre, situé au large des îles occidentales d’Écosse, est bien conservé. Il se compose d’un petit espace de vie construit sur une pente descendante et à l’extérieur de celui-ci, une passerelle en pierre mène à une falaise abrupte qui surplombe l’eau agitée en contrebas. Cette structure, érigée dans le but d’empêcher les navires de s’échouer sur les rochers dangereux des Hébrides extérieures, abrite l’un des plus grands mystères de l’Atlantique : la disparition subite de ses trois gardiens, les seuls hommes à avoir jamais habité la petite île.

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Le phare. Photo via Wikimedia Commons.

L’histoire commence dans l’archipel des Hébrides extérieures, un ensemble de petites îles situées au large de la côte ouest de l’Écosse. La mer autour de la zone est dangereuse et beaucoup de bateaux s’échouent sur les îles. Pour remédier au problème, on décide d’y construire un phare en 1895. La naissance du phare des îles Flannan est difficile, car tout le matériel doit être acheminé en haut des falaises de 45 mètres à partir de navires flottant dans les eaux tumultueuses. Pour parler franchement, la région est impropre à la vie humaine car elle est complètement exposée aux bourrasques du nord – elle est tout bonnement inhabitable. De plus, l’île n’est pas seulement crainte pour sa géographie, mais aussi pour ses étranges légendes d’habitants surnaturels.

Quoi qu’il en soit, malgré des vents forts et des histoires de fantômes, le phare des îles Flannan éclaire le ciel nocturne pour la première fois le 7 décembre 1899. Quatre hommes sont engagés pour le faire fonctionner. Trois des gardiens vivent sur l’île de manière permanente. Toutes les six semaines, l’un d’eux part pour deux semaines de repos et le quatrième vient le remplacer. Mais un peu plus d’un an plus tard, trois des quatre hommes disparaissent.

Les quatre hommes qui constituent, pendant un bref moment, l’antidote à la désolation d’Eilean Mòr, se nomment Joseph Moore, Thomas Marshall, James Ducat et Donald MacArthur. À l’époque, les phares ne sont pas encore automatisés et gérés par une personne ou à distance. Il n’y a aucun moyen d’entrer et de sortir de l’île, à l’exception du navire de secours qui apporte des vivres et du quatrième homme qui travaille par roulement.

Durant toute une année, tout semble aller bien, la lumière rassurante du phare empêche les bateaux de s’écraser dans les escarpements des Hébrides. Puis, le 15 décembre 1900, la lumière s’éteint brusquement. Un petit navire le remarque et prévient les autorités. Cinq jours plus tard, un autre navire part avec le gardien qui est alors en congé, Moore, pour voir ce qui s’y passe. Les choses se gâtent immédiatement. Le capitaine du navire envoie une fusée pour signaler son arrivée, mais le phare ne réagit pas. Moore est le premier à débarquer. Il constate que personne ne l’attend sur le ponton de pierre et comprend que quelque chose ne va pas.

« J’ai couru jusqu’au phare et, une fois devant la grille, je l’ai trouvée fermée. Je me suis dirigé vers la porte principale et je l’ai trouvée également fermée », écrit Moore dans une lettre deux jours plus tard. « Seule la porte de la cuisine était ouverte. Dans le salon, les cendres de la cheminée étaient froides. Je suis monté dans les chambres et j’ai trouvé les lits vides, comme ils les avaient laissés tôt le matin. Je n’ai pas pris le temps de chercher plus loin, car j’ai naturellement compris que quelque chose de grave était arrivé. »

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L’endroit où le navire de secours s’est amarré. Photo via Wikimedia Commons.

Connaissant les trois hommes avec lesquels il a passé la majeure partie de l’année écoulée, Moore part chercher de l’aide auprès du navire. Il reprend ensuite rapidement ses fonctions et remet la lumière en marche. Il reste sur l’île aux côtés de trois volontaires. Ils veillent tout d’abord à guider les navires loin des rochers escarpés, avant de tenter de comprendre ce qui est arrivé dans l’enfer bleu d’Eilean Mòr. Comment trois hommes expérimentés, connaissant bien la mer et le fonctionnement du phare, ont-ils pu disparaître d’une petite île ? Que s’est-il passé ?

L’enquête commence. Le capitaine du navire de secours se rend à la station de télégramme la plus proche pour envoyer son rapport au siège de la Northern Lighthouse Board, à Édimbourg. « Un terrible accident est arrivé aux Flannan », écrit-il, avant d’expliquer la situation. Quelques jours plus tard, le surintendant de la compagnie débarque sur l’île pour enquêter sur la disparition des trois hommes.

Le terme « disparu sans laisser de trace » est souvent utilisé pour décrire des mystères, mais il est rarement vrai. Comme c’est le cas ici, les hommes disparus ont laissé beaucoup de traces derrière eux. Il y a un repas à demi-consommé dans la cuisine. Deux paires de bottes et deux cirés ont disparu. Les lits ont visiblement été défaits. La porte de la cuisine a été laissée ouverte. Les casseroles et les poêles ont été soigneusement nettoyés et rangés. Avant de disparaître, les trois hommes ont laissé de nombreuses preuves de leur existence.

À première vue, ils sont tout simplement… partis.

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La falaise. Photo via Wikimedia Commons.

Sur l’île, les recherches se poursuivent pendant des jours, mais sans succès. Les hommes sont partis, ils ne reviendront jamais et, cent ans plus tard, nous essayons encore de comprendre ce qui leur est arrivé. Le phare est à nouveau réapprovisionné en gardiens qui restent 24 heures sur 24 jusqu’en 1971, année de l’automatisation du phare d’Eilean Mòr. L’île, à ce jour, est surtout connue pour ses disparitions.

La disparition des trois hommes n’est pas une mince affaire. Elle est largement couverte par les journaux de l’époque et fait rapidement son entrée dans le folklore. De nombreux livres relatent l’incident, de même qu’un célèbre poème de Wilfrid Wilson Gibson, des documentaires, des émissions de télévision et des films. « Il semble que le sort inexpliqué des trois gardiens (Thomas Marshall, James Ducat et Donald MacArthur) restera un mystère persistant de la mer », peut-on lire dans un article du Northants Evening Telegraph en date du 27 décembre 1900. Plus récemment, l’histoire a été adaptée dans un film avec Gerard Butler, Keepers.

« Nous sommes restés là, debout/Un temps infini sans qu’un mot n’ait été dit/Trois hommes vivant sur Flannan Isle/Et l’on pensait à trois hommes morts », peut-on lire à la fin du poème de Gibson, Flannan Isle.

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Un article publié peu après la disparition. Photo via le British Newspaper Archive.

Dans un article paru en 1997, l’historien irlandais Mike Dash écrit qu’au fil des années, les gens ont offert diverses explications sur ce qui a pu arriver aux hommes. Il y a les plus courantes : une vague massive les a emportés au loin ; le vent était assez fort pour les pousser de la falaise ; l’un des hommes, ne supportant plus les deux autres, les a tués et a jeté leurs corps dans l’océan avant de se suicider ; ou bien ils ont été tués en essayant d’aider un navire en train de couler. Mais selon Dash, une théorie, proposée par l’homme exerçant les fonctions de surintendant du phare entre 1953 et 1957, se démarque des autres.

La théorie est la suivante : c’est le soir, après le dîner et la tempête fait rage à l’extérieur. Thomas Marshall et James Ducat vont sécuriser la corde qui descend le long de la falaise pendant que le cuisinier fait la vaisselle. Alors que Marshall et Ducat travaillent, une vague massive déferle sur la falaise et ravage le débarcadère ouest. L’un des hommes parvient à rester sur la terre ferme et retourne au phare pour prévenir Donald MacArthur qui, pressé, ne prend pas son ciré. Mais très vite, une autre vague impitoyable emporte les deux hommes par-dessus bord. De là, Eilean Mòr redevient comme à son état naturel, vide.

Il existe bien sûr des explications bien plus farfelues. Certains pensent qu’une ancienne race de personnes minuscules qui vivent sur l’île a transformé les hommes en oiseaux géants. Je suis à peu près certain qu’il y a des histoires de fées ravisseuses, parce que les Écossais adorent les fées. Il y a aussi les inévitables « ils ont été enlevés par des aliens » ou « des fantômes/démons les ont obligés à s’enfuir sans explications ».

Bien qu’il existe de nombreuses explications, certaines beaucoup plus crédibles que d’autres, il n’y en a jamais eu de concrète. Comme tout ce qui s’est passé il y a longtemps, ce que nous savons est lentement érodé par le temps qui passe. La seule chose dont nous sommes certains, c’est qu’il est arrivé quelque chose de tragique en décembre 1900 sur la petite île escarpée d’Eilean Mòr.

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