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Les drones, meilleurs alliés des flics du futur ?

Cet article vous est présenté par la série SECTION ZERO diffusée tous les Lundi à 21H00 sur Canal+

Ces dernières années, les drones ont envahi le ciel de nombreux pays. Et ce n’est pas près de s’arrêter, car en plus des particuliers qui en font un usage récréatif, nombre d’entreprises comme Google ou Amazon veulent exploiter le potentiel commercial des drones. Notamment dans la livraison, histoire de remplacer le petit insolent qui balance le journal avec désinvolture depuis son vélo. Rien qu’aux Etats-Unis, l’autorité de l’aviation estime que 7 millions de drones seront en activité en 2020. Avec un peu plus de discrétion que les particuliers et leurs époustouflantes vidéos aériennes, ou que les campagnes de communication d’Amazon, un autre secteur a commencé à utiliser les drones : les forces de l’ordre.

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En France, la police expérimente l’utilisation de drones depuis plusieurs années. Ils sont en théorie réservés à des tests, et leur utilisation est pour l’instant limitée, notamment car la loi encadre strictement le survol de zones peuplées ou de rassemblements de personnes par des drones, y compris ceux de la police. Mais les textes précisent que ces règles ne s’appliquent pas “lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l’ordre et de la sécurité publics le justifient“. Selon Le Monde, cette nuance aurait permis à la BRI, une brigade d’intervention de la police, de déployer des drones dans au moins deux opérations à Paris. Chez les gendarmes, on est sorti des phases d’expérimentation. D’après Le Figaro, ils ont commencé à déployer une flotte de drones en mars, qui sera utilisée dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, mais aussi de sécurité routière. Et chaque année, la gendarmerie formera une soixantaine de télépilotes habilités à manier les engins.

Cet engouement pour les drones est compréhensible, car ils peuvent grandement faciliter le travail des forces de l’ordre. “Elles utilisent des drones dans deux grands types d’activités : la surveillance en temps réel et l’appui aux opérations,” explique Stéphane Morelli, président de la Fédération professionnelle du drone civil. “Les opérations de surveillance, c’est par exemple rechercher une personne disparue dans une forêt ou patrouiller pour trouver des gens qui s’attaquent aux câbles de cuivre sur les voies de chemin de fer. Il faut aller loin et voler longtemps. Cela se fait avec des drones à voilure fixe, des appareils qui ressemblent à des petits avions, et ont une bonne autonomie de vol. Quant à l’appui aux opérations, il s’agit de missions beaucoup plus dynamiques comme des manifestations. S’il y a un attroupement, les policiers sont proches et veulent envoyer les CRS au bon endroit, avec le bon équipement et la réaction appropriée. Mais ils ne savent pas forcément tout ce qu’il se passe car ils n’ont pas une vue globale de la situation. En faisant voler un drone, vous obtenez des informations sur le nombre de personnes, comment elles sont équipées etc. Là on est plutôt sur des drones à voilures tournantes, qui ressemblent à de petits hélicoptères ou multicoptères. Ils ont une moins grande autonomie, mais décollent plus vite et permettent donc d’être plus réactifs.”

“La situation devient encore plus problématique lorsque la police se met à utiliser des armes autonomes, c’est-à-dire des armes qui ont des ordinateurs embarqués qui décident de l’usage de la force”

La France est loin d’être un cas isolé. Aux Etats-Unis, la situation varie selon les villes et les Etats, mais de nombreux départements de police ont obtenu une dérogation du régulateur de l’aviation leur permettant d’utiliser des drones lors de leurs opérations. La première arrestation à l’aide d’un drone y remonte à 2011, dans le Dakota du Nord. Le SWAT (l’équivalent du GIGN ou du RAID aux Etats-Unis) avait alors fait appel à un drone Predator prêté par le Département de la sécurité intérieure pour localiser une homme et ses trois fils, armés et retranchés chez eux. Depuis, les policiers américains ont acquis leurs propres appareils et s’en sont par exemple servis pour localiser des fuyards dans un champ de maïs, ou surveiller des hordes d’étudiants alcoolisés pendant le “spring break”. A Dubaï, la municipalité compte utiliser des drones pour repérer ceux qui jettent leurs déchets sur la plage. Et à Tokyo, la police a dégainé des drones équipés de filets… pour attraper d’autres drones.

Les drones sont pour l’instant cantonnés à des missions de surveillance et de repérage, mais finiront-ils par passer à l’action ? L’utilisation de drones de guerre par l’armée américaine pour tuer des terroristes au Pakistan ou en Afghanistan, décuplée sous la présidence de Barack Obama, a été justifiée par la capacité de ces engins à “sauver des vies” en évitant une opération au sol ou des frappes aériennes classiques, qui risqueraient de coûter la vie à des soldats. Sans aller jusqu’à des bombardements, cette logique ne pourrait-elle pas s’appliquer aux forces de l’ordre dans un contexte civil ? Dans certaines situations, un drone pourrait permettre de neutraliser depuis les airs un individu armé et dangereux, sans risquer la vie de policiers.

Dès 2014, l’ONU s’inquiétait d’un tel développement. Lors de la présentation de son rapport consacré aux exécutions extrajudiciaires, sommaires, ou arbitraires, le rapporteur spécial de l’ONU pour ces questions, Christof Heyns, met en garde contre la tentation d’employer des drones qui effectueraient le travail de maintien de l’ordre à la place des policiers. Il estime que ces appareils “peuvent difficilement faire ce que les policiers sont censés faire“, par exemple un usage minimal de la force ou porter assistance à des personnes en détresse. “La situation devient encore plus problématique lorsque la police se met à utiliser des armes autonomes, c’est-à-dire des armes qui ont des ordinateurs embarqués qui décident de l’usage de la force,” s’alarme Christof Heyns.

Dans son rapport, il égraine quelques exemples de drones aux fonctionnalités franchement flippantes. “Une société américaine, Chaotic Moon Studios, met au point un drone de neutralisation qui tire des flèches pouvant envoyer une décharge de 80 000 volts sur tout intrus ou malfaiteur en fuite. Une autre société américaine, Vanguard Defense Industries, fabrique un drone, connu sous le nom de Shadowhawk, susceptible d’être équipé de lance-grenades de 37 et 40 mm, d’un fusil de chasse de calibre 12 à viseur laser ou d’un pistolet neutralisant XREP (projectile électronique à portée étendue), en mesure de tirer quatre électrodes barbelées à une distance de 30 mètres, de nature à neutraliser la capacité neuromusculaire de la personne visée. Une société allemande, VDI Technologiezentrum, a mis au point des systèmes lacrymogènes automatiques qui libèrent des doses de gaz si des personnes s’avancent dans une zone d’accès réservée malgré les mises en garde.”

Stéphane Morelli a lui aussi constaté l’apparition de ce genre d’engins. “Au dernier salon Milipol [le salon mondial de la sécurité intérieure des Etats, NDLR] à Paris, il y avait un drone capable de transporter des charges lacrymogènes,” et même des explosifs d’après le descriptif du modèle en question. “Ça intéresse des clients à l’étranger, dans certains pays où la notion de démocratie est plus relative, explique Stéphane Morelli. C’est le genre de drones qu’ils commandent avant les élections, car ils savent qu’il y aura des manifestations et qu’il faudra les traiter.

Il faudra tout de même surmonter plusieurs limitations techniques pour que l’utilisation de ce genre de drones se généralise. D’abord l’autonomie des engins, qui peuvent rarement voler plus d’une demi-heure. Mais aussi la fiabilité des systèmes d’évitement des collisions et des ordinateurs embarqués, qui ont encore des progrès à faire. L’utilisation de ce type d’appareils poserait également de nombreuses questions éthiques et juridiques. Ils nous reste donc encore quelques années avant de voir arriver des robots-flics volants capables de nous passer les menottes.

Retrouvez la série SECTION ZERO diffusée tous les Lundi à 21H00 sur Canal+ (Rendez-vous sur le site)