Les étudiants de l’UdeM réclament un processus transparent pour les plaintes à caractère sexuel​

Depuis plusieurs années, les étudiants de l’Université de Montréal réclament un traitement disciplinaire « juste, équitable et transparent » des plaintes visant les professeurs, notamment en matière de violence à caractère sexuel, de harcèlement et d’intimidation.

Pour l’instant, les professeurs visés par une plainte sont jugés par un comité disciplinaire composé de professeurs. « Ce sont des “chums” qui jugent des “chums” », dénonce la Fédération des associations étudiantes de l’Université de Montréal (FAÉCUM).

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Aucune autre université québécoise ne procède ainsi.

Les étudiants, l’université et les professeurs sont d’accord pour changer la situation. Mais ce n’est pas tout le monde qui s’entend sur les changements à apporter, et le débat stagne. L’université et les étudiants pointent du doigt l’inaction du syndicat des professeurs, tandis que celui-ci rejette la faute sur l’université. Et au centre de l’affaire, il y a un conflit qui orbite autour de la négociation de leur nouvelle convention collective.

Devant l’impasse, les étudiants ont choisi de faire entendre leur voix. Dans une lettre ouverte publiée mercredi matin et par le déploiement d’une banderole, la FAÉCUM critique l’inertie de l’université et les embûches mises en place par le syndicat des professeurs, de même que « l’impunité des profs en matière de violences sexuelles ».

Les étudiants n’ont pas confiance

Les étudiants déplorent que le comité disciplinaire manque de transparence : les discussions s’y déroulent à huis clos, et aucun étudiant ne siège à ce comité, à part celui qui a soumis la plainte. Si la plainte est rejetée ou s’il n’y a pas de sanctions pour le professeur, il n’y a pas de processus d’appel. On juge en outre que l’existence du comité disciplinaire est inéquitable : contrairement aux autres employés de l’université, qui sont jugés par l’administration, les professeurs de l’UdeM sont les seuls employés à être jugés par leurs pairs.

Le secrétaire général de la FAÉCUM, Matis Allali, avance que les étudiants ne feront jamais confiance au processus actuel, qui les décourage de porter plainte.

« Dans le dernier mois, il y a des gens qui sont venus me voir, qui m’ont dit : “J’aimerais ça porter plainte contre telle personne”, et quand je leur présentais le processus auquel ils seraient confrontés, ils me disaient : “Je vais endurer, je vais graduer et je vais passer à autre chose” », raconte-t-il.

Lorsque VICE demande s’il y avait des preuves concrètes d’un manque d’impartialité du comité disciplinaire, Matis Allai rappelle l’affaire Larose, qui avait été révélée dans les médias l’an dernier, à la suite du mouvement #MoiAussi.

Le professeur Jean Larose a été visé par des plaintes, dont une pour harcèlement et attouchements sexuels en 2011. La plainte a été rejetée, et le professeur est parti à la retraite sans être sanctionné. Le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, a alors dénoncé le processus disciplinaire « long, opaque, complexe ». Et il a admis que le processus devait être changé.

L’impasse

Tout le monde est d’accord pour changer les choses et mettre de l’avant un processus transparent et équitable. Mais voilà, on ne s’entend pas sur la manière de procéder. Les étudiants et l’université veulent que l’institution soit responsable de discipliner les professeurs sur les questions de violence à caractère sexuel, mais aussi pour tout ce qui toucherait à l’intimidation, au harcèlement ou aux vols.

Le syndicat des professeurs n’apprécie pas cette solution. « On a le même besoin que les étudiants que ce comité soit transparent et équitable, affirme le président du syndicat, Jean Portuguais. Mais si c’est l’employeur qui contrôle tout, et si l’agresseur est un membre de la direction, qu’est-ce qu’on fait avec ça? » Plutôt que d’avoir « un comité patronal qui va faire ça à portes closes », le syndicat suggère de créer un comité indépendant pour juger des plaintes pour violence à caractère sexuel, une proposition qu’ils ont mise de l’avant l’an dernier.

Dans cette solution, les plaintes concernant l’intimidation et le harcèlement qui ne sont pas à caractère sexuel ne seraient cependant pas jugées par ce comité indépendant. Ce serait les pairs qui continueraient à juger les professeurs sur ces questions.

Il y a une divergence d’opinions, et, au-delà de tout cela, le conflit concernant la convention collective des professeurs entre en compte. Tout ce qui concerne le processus disciplinaire visant les professeurs est inscrit dans leur convention collective : ils ont le dernier mot. Et cette convention collective, échue, est en cours de négociation.

« Nous, ce qu’on voudrait, c’est sortir ça de la convention collective. Mais présentement, on a les mains liées. Le syndicat en fait un enjeu de négociation de leur prochaine convention », explique la porte-parole de l’université, Geneviève O’Meara.

Et elle assure que les discussions n’aboutissent pas. « À maintes reprises, et depuis plusieurs mois, on a invité le syndicat, les professeurs, à s’asseoir avec nous, pour discuter et arriver à une entente. Et ça tarde, note-t-elle. Il n’y a eu aucune rencontre avec le syndicat portant exclusivement sur le processus disciplinaire. Le sujet a à peine été abordé en marge de la négociation de la nouvelle convention collective. »

Le syndicat des professeurs rejette entièrement la version de l’université, et martèle qu’il n’y a pas d’inaction de leur part et qu’ils sont prêts à s’asseoir et à négocier.

M. Portuguais a refusé de dévoiler publiquement des détails des présentes négociations de la convention collective. Il a cependant assuré qu’en aucun cas les professeurs se servaient de cet enjeu comme moyen de pression pour négocier la nouvelle convention.

Et plus encore, il assure que l’université ne les a jamais invités à discuter de la nouvelle politique disciplinaire, en dehors des négociations sur leur convention.

« L’université vous dit à vous : “On essaie de les rejoindre et ils nous répondent pas”? Voyons donc, c’est ridicule. Ils ne nous ont jamais contactés là-dessus », s’exclame M. Portuguais. Il dit que la question a été récemment abordée durant les négociations de la convention collective, mais jamais en dehors de ce cadre.

Il rappelle qu’en vertu de la loi 151, qui oblige les universités à se doter d’une nouvelle politique pour lutter contre les violences sexuelles, chaque groupe doit participer à l’élaboration de la nouvelle politique interne.

D’après lui, l’université tient des discussions sur l’élaboration d’une nouvelle politique interne depuis la mi-août avec des représentants de plusieurs groupes, dont la FÉACUM, mais le syndicat des professeurs n’y aurait jamais été convié.

« Je n’ai reçu aucune invitation […] à participer à un tel processus, déplore-t-il. On a été tenus à l’écart pendant des mois. »

L’université rétorque qu’elle a respecté les dispositions de la loi 151 et que le syndicat des professeurs a été invité aux consultations qui auront lieu dans les prochaines semaines.

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C’est devant cette impasse que les étudiants s’impatientent. « On est tannés d’attendre. On veut que l’administration et le syndicat négocient. On veut qu’ils s’assoient et qu’ils nous arrivent avec des propositions claires, concrètes de modifications à leur règlement disciplinaire, qu’ils corrigent l’injustice à laquelle on est confrontés depuis trop longtemps », lance Matis Allali.

Il déplore en outre que les étudiants soient une monnaie d’échange dans les négociations entre l’université et les professeurs. Il promet que les revendications des étudiants vont « se rendre visibles » dans les prochains jours.

Justine de l’Église est sur Twitter .