Les Forces armées se sont entraînées pour le G7 dans l’Arctique

En pleine semaine de relâche, cent quarante militaires piquent leur tente dans le parc national des Pingualuit, à l’extrême nord du Nunavik. Autour, un désert de neige à perte de vue. Les jeunes soldats ont comme mission de sécuriser la venue d’un dignitaire qui participe à un sommet international sur l’environnement qui se tient au Saguenay.

Le chef d’État tient absolument à visiter le cratère digne d’un décor lunaire, situé à une dizaine de kilomètres du campement militaire. L’armée a pour consigne d’assurer sa sécurité. Formé par une météorite il y a 1,4 million d’années, le monument naturel est parfaitement circulaire.

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Le scénario est complètement fictif, mais il s’inspire de la réalité. Les militaires s’entraînent dans l’Arctique en vue d’un événement qui aura lieu à quelque 1700 kilomètres au sud : le sommet du G7 à La Malbaie les 8 et 9 juin prochains. Des manifestations sont déjà prévues en marge de la rencontre. Le Réseau de résistance anti-G7 a notamment annoncé vouloir perturber l’événement.

Le cratère à protéger. (Photo : Simon Coutu)

Dans le cadre de l’entraînement nordique, le scénario oppose les militaires à des écologistes radicaux. « Des groupes environnementaux extrémistes veulent utiliser la violence, explique le colonel Richard Garon, responsable de l’opération. Ils veulent donc attaquer des délégués dont on assure la sécurité. »

Dans le cadre de l’opération CADENCE, les Forces armées canadiennes (FAC) seront du sommet pour appuyer la Gendarmerie royale du Canada et assurer la sécurité du périmètre. Environ 2000 militaires de l’Armée canadienne, de la Marine royale canadienne et de l’Aviation royale canadienne participeront de près ou de loin à l’événement. Une bonne partie des réservistes présents au Nunavik seront de l’opération à Charlevoix.

Il s’agira du premier voyage de Donald Trump en sol canadien depuis son élection comme président des États-Unis. Justin Trudeau accueillera aussi les chefs d’État de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, de l’Italie et du Japon. « Des opérations de l’envergure de l’opération CADENCE surviennent plutôt rarement, avance l’officière des affaires publiques pour le Commandement des opérations interarmées du Canada, Valérie Lanouette. En 2010, les Forces armées canadiennes ont été impliquées dans les Sommets du G8 et du G20 en Ontario, ainsi que lors des Jeux olympiques en Colombie-Britannique. »

Photo : Simon Coutu

En cette première semaine du mois de mars, j’accompagne donc les militaires du 35e Groupe-brigade du Canada dans leur entraînement, baptisé Guerrier nordique. En tant que journaliste, je couvre l’exercice, mais je fais aussi partie du scénario.

Le départ se fait de l’aéroport de Québec, où nous attendons l’avion-cargo CC-130 Hercules qui nous amènera directement à Kangiqsujuaq. Il nous faudra un peu plus de quatre heures de vol, cordés en rang d’oignons, pour nous rendre jusqu’à la petite localité inuite d’à peine 750 âmes, blottie entre les montagnes, à quelques kilomètres du détroit d’Hudson.

Une fois arrivés, les militaires se regroupent dans le gymnase du centre communautaire de Kangiqsujuaq. Avec leurs lourdes bottes blanches, leurs parkas en treillis, leurs cagoules et leurs fusils automatiques C7A2, ils sont prêts à affronter le blizzard.

Ils s’attendaient à se les geler. Finalement, il fait à peine moins douze sous un soleil de plomb. Le printemps avant le temps en Arctique. « On aurait aimé ça qu’il fasse un peu plus froid, parce qu’on s’attendait à de plus gros défis, dit la caporale Vicky Gagné. Mais bon, s’il faisait -50°, je serais peut-être en train de me plaindre. »

Photo : Simon Coutu

Pour ces militaires, l’entraînement de Guerrier nordique est l’aboutissement de plusieurs mois de préparation. En tout, 203 personnes y participent cette année avec un budget d’environ un million de dollars. Plus de la moitié des réservistes des FAC sont aux études, la semaine de relâche est donc le moment idéal pour voir du pays.

« On veut que les militaires demeurent dans le même état d’esprit que celui de l’opération CADENCE, m’explique le capitaine Derek Picard-Fortin, officier des affaires publiques pour le 35e Groupe-brigade du Canada. Tu ne t’entraînes pas de la même façon pour une guerre que pour une mission diplomatique. Ce n’est pas la même agressivité. Lorsqu’on était en Afghanistan, tous les scénarios avaient une saveur de ce pays, même quand on s’entraînait dans le Grand Nord ou à Québec. »

Photo : Simon Coutu

Seize militaires américains de la Garde nationale du Vermont sont aussi du voyage. Assis sur des lits de camp dans le gymnase, ils chiquent presque tous du tabac pour tuer le temps. Les gars sont clairement excités de visiter l’Arctique, mais n’ont visiblement aucune idée du scénario de type « sommet ». Ils sont ici pour prendre de l’expérience dans le Grand Nord et pour tester leur équipement. « Ils suivent le scénario, mais c’est surtout un prétexte pour s’entraîner », dit le colonel Garon.

Une fois prêts, les militaires quittent le village en trombe à dos de motoneiges en direction du campement, tout près du cratère des Pingualuit. Des rangers, ces réservistes inuits qui connaissent mieux que quiconque le territoire, guident le groupe.

Photo : Simon Coutu

Au-delà du scénario qui s’apparente au sommet du G7, le but de l’opération est aussi d’être en mesure de travailler efficacement dans le Grand Nord, autant pour les efforts de recherche et de sauvetage que pour assurer la souveraineté de l’Arctique.

« Une fois par année, on va tester nos capacités pour pouvoir dire au gouvernement canadien que ces gens sont prêts à intervenir dans l’Arctique, explique le colonel Garon. J’ai un bassin de 2000 militaires qui sont prêts à monter dans le Nord n’importe quand. »

Le cortège arrive finalement sur le site de l’opération. Les militaires montent leurs tentes vertes dans lesquelles ils dormiront pour les prochains jours. À l’aide de scies, ils coupent des morceaux de neige avec lesquels ils forment des murs autour du campement, question de se protéger du froid… qui ne viendra jamais.

Photo : Simon Coutu

Ils construisent aussi une piste d’atterrissage de fortune pour accueillir les dignitaires, en tapant le sol à l’aide de motoneiges. La nouvelle infrastructure est balisée avec de simples sacs de poubelle.

À une centaine de mètres du campement des réservistes, une dizaine de rangers ont monté leur propre camp, composé de quelques tentes et d’un igloo. Ces Inuits assurent une présence militaire en Arctique à l’année. Le petit groupe mange de l’omble de l’Arctique cru et se prépare à aller pêcher à nouveau.

Photo : Simon Coutu

Si ce n’était des rangers, l’entraînement n’aurait probablement pas eu lieu. Ils connaissent le terrain et ils savent réagir en cas de visite de prédateurs, comme un ours polaire. « On est là pour assurer la sécurité et s’assurer que tout va bien, dit Charlie Pinguartuq. Ils ont clairement besoin de nous. »

Après une semaine au nord du 60e parallèle avec leurs collègues inuits, les réservistes vont revenir dans « le Sud », où un entraînement pour une mission beaucoup plus concrète les attend. Les 8 et 9 juin, il fera beaucoup plus chaud, et force est de croire que le périmètre de sécurité sera beaucoup plus agité que celui du cratère des Pingualuit.

Simon Coutu est sur Twitter .