Les garçons aussi peuvent être anorexiques



Quand j’étais adolescent, je menais un train de vie assez dangereux. Mais plutôt que de m’adonner aux orgies de cidre et de drogues bon marché comme tous les jeunes anglais de mon âge, j’étais un perfectionniste anxieux qui manquait de confiance en lui. J’étais également obsédé par la vision déformée que je me faisais de mon propre corps.

Entre 13 et 15 ans, j’étaiscomme possédé par une anorexie mentale et je n’en avais parlé à personne jusqu’à l’été dernier. Cinq ans après la période la plus sombre de ma vie (j’ai désormais 20 ans), cet aveu m’a retiré un poids énorme des épaules.

Videos by VICE

À cette époque, je n’étais pas conscient du fait que je souffrais d’un trouble alimentaire. Et même quand j’étais au plus bas, je m’étais imposé une règle de base : ingurgiter au moins un repas par jour. Je cachais mon petit-déjeuner et j’esquivais les repas à la cantine. Je culpabilisais dès que j’entravais cette règle. En y repensant, je passais un temps monstre à organiser mes repas et à en éviter le plus possible. J’y ai passé des heures. Mais tout ça était nécessaire pour parvenir à l’idéal impossible dont je rêvais : être mince.

Mais même cette règle du repas unique me faisait sentir coupable. Quand je me regardais dans le miroir, je me sentais comme une sombre merde. Quand je me blottissais dans mon lit, je souffrais de voir mon abdomen tout gonflé. Je pleurais, puis je me roulais sur le dos pour ne pas affronter la vue de mon propre corps. Le jour, je me sentais étourdi, faible et blasé. Ça, c’était à l’époque où les jeans beaucoup trop étroits étaient à la mode. Mais les miens n’étaient plus étroits depuis un moment – ils devenaient même de plus en plus larges.

J’étais plus chanceux que certains, entouré d’une famille aimante qui serait sans doute intervenue si elle avait su ce que je traversais. Mais en tant que garçon de 13 ans particulièrement rusé, en proie à un développement hormonal, j’étais en mesure de les duper. Chez les hommes, l’anorexie se voit moins à cause de la forme de leur corps, et c’est comme ça que j’ai pu passer inaperçu aussi longtemps. Au contraire des femmes, la musculature du corps masculin ne change pas toujours drastiquement lors d’une anorexie. Une petite copine m’avait même décrit comme « bien foutu ».

Plus tard, quand j’ai commencé à me douter que j’avais quelques problèmes de santé mentale, je suis entré dans une phase de déni. Il y a beaucoup de stigmates autour des troubles de l’alimentation, c’est d’ailleurs une des principales raisons pour laquelle les hommes anorexiques ne cherchent pas, dès le début, l’aide et les traitements dont ils ont besoin. Les hommes ont trop souvent honte d’admettre leurs propres faiblesses. J’ai fini par me demander si mes problèmes d’adolescent étaient dus à la facilité des hommes à basculer dans l’auto déception.

Lawrence Brown, qui était auparavant volontaire chez Samaritans et travaille aujourd’hui pour BEAT – la plus grande organisation caritative britannique autour des troubles de l’alimentation –, a déclaré « Quand vous regardez les statistiques, le taux de suicide chez les hommes est trois fois plus élevé que chez les femmes. Cela en dit long sur la question que pose l’homme dans n’importe quel type de problème de santé mentale, ceci incluant les troubles alimentaires. »

Bien sûr, il y a aussi l’idée reçue que l’anorexie ne concerne que la femme. Quand j’étais à l’école, je considérais l’anorexie comme un « problème de fille ». C’est ce que la société m’a fait croire. De toute évidence, une pression sociétale énorme pousse de nombreuses femmes à se conformer à des idéaux physiques. Mais ce problème touche les hommes de manière insidieuse, simplement parce que beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à admettre qu’ils sont anorexiques.

Sam Thomas, ex boulimique et fondateur de l’association caritative « Men Get Eating Disorders Too », entend montrer que les troubles de l’alimentation ne connaissent pas de genre.

« On ne qualifierait pas les troubles bipolaires comme un problème uniquement masculin, ou la schizophrénie comme une maladie féminine. C’est pourquoi il est surprenant que nous continuions à considérer l’anorexie comme si c’était une maladie qui ne touchait que les femmes. » Des mots comme « manorexie » ne sont absolument aucune aide, et comme Thomas l’indique, les statistiques qui traitent de l’anorexie chez les hommes donnent trop souvent l’impression qu’il s’agit de cas anecdotiques.

Par conséquent, les statistiques autour du nombre d’hommes qui souffrent de troubles alimentaires ne reflètent probablement pas la vérité. Elles protègent ceux qui possèdent une couverture médicale et excluent ceux qui, comme moi, en souffrent ou en ont souffert en silence. Le fait de penser que 1,6 million de personnes vivent quotidiennement avec des troubles de l’alimentation est sûrement une grossière sous-estimation.

Les chiffres officiels pointent que 11 % des personnes atteintes de troubles de l’alimentation sont des hommes. Mais en 2007, un sondage éclair plus réaliste mené par le Centre d’information de la NHS (Sécurité Sociale) a montré qu’à peu près 25 % des personnes touchées étaient des hommes. Et plus inquiétant encore, le Collège Royal des Médecins Généralistes a récemment constaté que dans la dernière décennie, il y a eu une hausse de 66 % d’admissions hospitalières impliquant des hommes avec des troubles alimentaires. « Cela représente une véritable augmentation d’hommes qui sont atteints de troubles alimentaires », indique Thomas. « Ou bien, cela peut montrer que plus d’hommes atteignent le point de rupture avant d’obtenir l’aide dont ils ont besoin ».

Si j’avais réussi à rassembler assez de courage pour en parler à mon médecin à l’époque, j’aurais aussi eu droit à un moment difficile pendant mon auscultation. Une étude récente menée par les chercheurs d’Oxford et de Glasgow a prouvé que les « hommes avec des troubles alimentaires sont sous diagnostiqués, sous traités et sous recherchés ».

Le manque de recherches sur le sujet est ce qui me trouble le plus. Les médecins généralistes n’ont souvent pas les compétences suffisantes lorsqu’il s’agit de repérer les signes de troubles alimentaires chez les hommes. En particulier parce que la détérioration physique est souvent plus difficile à trouver dans les premières étapes de leur maladie. Et deuxièmement, parce que les critères de diagnostic sont souvent axés sur le corps de la femme. Par exemple, les menstruations irrégulières sont l’un des principaux signes que les médecins généralistes sont entraînés à repérer.

Ils disent que l’anorexie laisse un « trou noir » dans votre vie, et c’est une chose que je peux confirmer. Je ne me rappelle pas vraiment de ce que j’ai pu faire lors de cette période. Je me souviens des groupes que j’écoutais (The Mars Volta), des matières que j’aimais à l’école (les langues) – mais c’est à peu près tout. Si j’avais été anorexique à l’âge que j’ai maintenant, j’aurais peut être découvert l’aide exceptionnelle qui est accessible via le site Men Get Eating Disorders Too. De cette manière, j’aurais pu trouver beaucoup d’informations et de récits personnels, des chats en direct ainsi qu’une plateforme de discussion entre ceux qui souffrent et ceux qui aident.

Maintenant, des groupes de soutien existent en Angleterre, et j’espère sincèrement que d’autres suivront ailleurs. Thomas a récemment donné des stages à des professionnels dans le but d’améliorer les prestations de services. En juillet prochain se tiendra la toute première conférence de l’association MGEDT, « pas seulement pour montrer le travail qui s’opère, mais aussi pour partager notre apprentissage et donner le sentiment que nous travaillons tous ensemble en vue des mêmes objectifs. »

Ailleurs, une association caritative affiliée, MBEEDS (Service des troubles de l’alimentation chez l’homme et le garçon),vient d’ouvrir en Écosse. En Irlande du Nord, l’association « The Laurence Trust » apporte déjà de l’aide aux hommes souffrant d’anorexie. Sur une plus grande échelle, plus tôt dans l’année, l’organisation BEAT a lancé sa campagne #beatthesilence, appuyée par des personnalités qui ont été touchées comme John Stapleton et Uri Geller. Pourtant, alors qu’un nouvel élan se crée avec ces associations caritatives, la plupart des gens ne connaissent même pas leur existence.

Si vous êtes malade dès l’âge de 13 ans, il est possible que vous n’ayez pas les moyens de rechercher de l’aide en ligne. Vous n’aurez pas forcément le vocabulaire concernant ce qu’il vous arrive ou même les forces pour tendre la main.

Selon une récente enquête s’étalant sur un an, la moyenne d’âge de la première hospitalisation en lien avec des troubles alimentaires chez l’homme était de 13 ans, avec une grosse augmentation des admissions impliquant des jeunes gens âgés de 10 à 19 ans.

Nous devons instaurer un plus grand dialogue, une sensibilisation autour des troubles de l’alimentation et des maladies mentales – et ce, pour tous les âges, sexes et données démographiques. Nous devons promouvoir un environnement où les enfants auraient confiance de s’exprimer quand ils ne se sentent pas bien. Et comme Thomas le fait remarquer : « Les questions liées à l’automutilation sont souvent reconnues comme des normes dans les politiques scolaires, alors pourquoi pas pour les troubles alimentaires ? »

C’est très lentement que j’ai guéri de l’anorexie et tout seul, un peu avant mon certificat général de l’enseignement secondaire. Après avoir subi des moqueries du genre : « Ouais il ne mange pas, il est anorexique », j’ai eu une révélation. Un jour, j’ai réalisé qu’il était temps de prendre sur moi pour manger normalement. C’est donc ce que j’ai fait. Repas après repas, très progressivement, j’ai retrouvé l’appétit.

Beaucoup ne sont pas aussi chanceux. Entre 5 et 20 % des personnes atteintes d’anorexie meurent. L’association BEAT juge que l’anorexie est le trouble mental le plus dangereux. Il existe beaucoup d’adolescents qui, partout, sans le savoir, se tuent – et c’est pourquoi nous avons besoin de montrer que ce problème peut concerner tout le monde.

@HuwOliver