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Fin du monde 2012 : les hippies de Stonehenge ont survécu

Photos : Jake Lewis

« C’est l’inversion des pôles magnétiques, » m’a t-il murmuré. Je ne sais pas ce que Ross fixait, mais ce n’était certainement pas un truc réel. Le froid était glacial et lorsqu’il parlait, des petits nuages de vapeurs se formaient – sans doute de la vapeur de whisky. Il m’a parlé de mondes lointains, et de constellations inconnues maintenues ensemble par un mécanisme aussi ancien – au moins – que Dieu lui-même. Il ne lâchait pas son joint des mains, et apparemment, il n’était pas du genre à attacher de l’importance à son apparence.

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« Ça va tout bousculer, » continuait-il, en parlant de l’inversement prophétisé qui était sur le point de se produire, et qui allait conduire à la disparition de notre planète. « Le pôle nord et le pôle sud vont s’inverser, et des vents solaires vont s’abattre sur la terre. » Il tenait toujours son joint.

Ross, qui se décrit comme un « électron libre ».

« Si les pôles s’inversent, alors le champs magnétique terrestre qui nous protège se verra affaibli. Le monde va disparaître quelque part entre maintenant et demain minuit. C’est ma théorie. On verra bien. 

– Ça nous laisse au moins trois heures, lui ai-je répondu. Est-ce que tu comptes faire tourner ce joint avant que nous ne mourrions tous ? »

Ross décrit ses croyances spirituelles comme de multiples « électrons libres, » mais c’est à peu près le même terme que Maurine Cotterel nous a pondu dans son livre, Future Science, dont j’ai entendu parlé par d’autres adeptes du New Age venus se rassembler à Stonehenge pour assister à la fin du monde. Ross est une sorte de cocktail de pseudoscience, de philosophie ancienne, et de théorie conspiratrice à la Dan Brown, le tout dans un verre schizotypique sniffable à partir d’une paille psychédélique.

C’était le dernier jour du 12ème baktun du calendrier Maya, quelques jours avant que la planète Nibiru ne vienne heurter la terre, quelques heures avant que l’inversion des consciences collectives ne mette un terme au capitalisme, quelques secondes avant que la réputation de quelques milliers d’astrologues ne flanche, mais une éternité avant qu’il ne se décide à faire tourner ce putain de joint. C’était aussi le solstice hivernal, marquant le début du calendrier païen. Cinq mille individus, pour la plupart sans emploi, attendaient que la police ne les laisse entrer pour assister à l’apocalypse, ou à tout autre éveil spirituel que l’univers nous avait réservé.

De nombreux agents de police étaient sur place pour s’assurer que personne ne tente de s’approcher des pierres avant les heures de visites. Il est primordial de respecter les horaires, même en temps d’apocalypse.

L’apocalypse et le solstice avaient attiré bien plus de monde que ce à quoi je m’attendais. Des types sapés comme Gandalf se mêlaient à d’autres qui devaient toujours porter leur bracelet du V Festival sous leur doudoune North Face.

Sur ce site archéologique considérable, nous n’avions le droit que de marcher – en raison de la bataille judiciaire à laquelle s’était adonnée la réincarnation du Roi Arthur. Et, en plus, le patrimoine anglais avait limité l’accès à des horaires spécifiques – de 6h30 à 11h00 du matin – ce qui signifiait que nous avions dû attendre toute la nuit en se coltinant les différentes versions de fin du monde possibles évoquées par chacun des participants. Ross représentait la population New Age littéraire et alcoolique. Mais qui étaient les autres ?

Nous avons trouvé ce type dans un coin sombre. Il tapait comme un dégénéré sur le clavier de son ordinateur en parlant à son casque.

« Comment tu t’appelles ?, lui ai-je demandé.

– Guns’n’Bombs. 

– C’est ton vrai nom ? 

– Roh. »

Guns’n’Bombs nous a dit être journaliste, et présent à Stonehenge pour transmettre des informations à sa « tribu, » un groupe d’OVNIlogistes partageant ses idées, et tous convaincus des bienfaits de l’énergie durable.

 « Cet ordinateur semble avoir été conçu pour résister à la fin du monde, ai-je dis.

– C’est un modèle militaire, a t-il grogné. »

Contrairement à Ross, Guns’n’Bombs ne pensait pas que le monde allait s’éteindre dans la nuit.

« De considérables catastrophes vont sûrement se produire, ainsi que des phénomènes météorologiques. Le système solaire va pénétrer dans le centre galactique de la Voie lactée. Les pôles vont s’inverser, à l’insu des hommes – et heureusement ! Ça peut être considéré comme une fin. »

Tout comme Ross, il parlait d’inversement géomagnétique. C’est un phénomène réel, mais qui ne s’est pas produit depuis 780 000 ans, et qui est relativement difficile à prédire. Et même si ça se reproduisait, on serait simplement déboussolés l’espace d’une heure. Contrairement à Ross, ce changement apparaît positif à Guns’n’Boms.  

« Nous nous apprêtons à entrer dans une ère meilleure, où les hommes et les femmes seront égaux. Et, les psychopathes qui peuplent la planète seront évincés grâce à des associations comme WikiLeaks. »

À gauche, Susan Morie, ange gardien et à droite, le révérant Grimear, païen


Ásatrú.

D’autres étaient là pour des raisons spirituelles. Susan est « ange gardien » et forgeronne. Outre son chef de clan Hawkwing – qui est malade et ne peut rien faire – elle est la toute dernière jouissant de ce titre. Son ami, le révérant Grimear, était un Ásatrú, l’une des plus grandes sectes néo-païennes allemandes.

« Il s’agit d’un solstice très, très spécial, » m’a expliqué le révérant. « Ça n’est pas arrivé depuis 25 800 ans. C’est lié au calendrier Maya. Ceux-ci ont été informés de cet événement par les Atlantes en personnes.

– Cela présage-t-il une fin du monde ? ai-je demandé.

– Sûrement pas. Mais la fin d’une ère, oui. Nous entrons dans l’ère du Verseau. Les seuls individus susceptibles de sonner la fin du monde sont Obama, et les gens de son genre. C’est aussi le début d’une année païenne. Nous sommes donc là pour saluer le Dieu du soleil, comme celui-ci entame un nouveau cycle. » 

Caras, l’esprit-loup de la tribu de l’Aigle.

J’ai aussi rencontré Caras, dont le nom est « porté par une seule personne par génération, depuis plus de 3000 ans. » Étrangement, il est le leader de la tribu Aigle mais possède l’esprit d’un loup. Il a aussi dirigé une tribu de guerriers dont le nom « ne peut être prononcé en langue moderne, » mais qui, phonétiquement, ressemble un peu à un truc genre, « keer-nuh-kai. » Il a aussi prétendu être le chef de direction de l’institut de l’écologie anthropique (celui-ci n’existe pas). Il nous a également confié qu’il maitrisait l’art de la danse de la pluie etcelui de la danse du feu.

C’est ce qui arrive quand une génération est trop âgée pour jouer à World Of Warcraft. On crée ses propres équipes, sa propre robe de chambre, son propre passé et on court à Stonehenge pour rencontrer un tas d’autre guerriers et magiciens. J’ai même entendu dire que Merlin était parmi nous, dans la foule, mais je ne l’ai pas trouvé.

Quand je lui ai demandé de me parler de la fin du monde, Caras a brièvement répondu que « chaque moment était à la fois une fin et un début, non ? » Je suis parti et l’ai laissé débattre des influences de Tolkien sur l’alphabet runique avec un autre druide.

De gauche à droite : Derek, 45 ans, Rowena, 2 ans, Maria, 36 ans, mère et bébé inconnus, Macy, 10 ans.

J’ai été surpris par le nombre de familles présentes ce jour-là. J’ai rencontré un couple sympathique qui suivait les traditions scandinaves païennes, et qui croyait en Odin et Thor. « Les civilisations mayas étaient terriblement avancées. Je ne serais pas surpris qu’ils aient pu prévoir l’horreur du capitalisme extrême et des conséquences sur notre planète » m’a dit Derek, le père.

Bien sûr, aucun rassemblement spirituel New Age ne pourrait pleinement être défini comme tel sans son afflux de jeunes psytrance. J’en ai rencontrés plusieurs avachis devant un van apocalyptique dans lequel de la musique goa tournait à plein volume, comme si ce jour était le dernier. Et vu que ce jour était censé être le dernier, il y avait aussi beaucoup de kétamine. « Que pensez-vous de la fin du monde ? » ai-je demandé à l’un d’entre eux, Benny.

Benny, 27 ans.

« Je suis plutôt heureux parce que je pensais que ça allait arriver mais ça n’arrivera pas. Je suis ouvert d’esprit, et je suis ici pour apprendre. »

Charles Jeffrey, à l’extrême droite, « théoricien de la conspiration de la banane. »

Il y avait aussi ce type. « Ici, j’ai vu des camions que j’avais déjà aperçus en Amérique latine. Toutes les bananes viennent du même endroit, » m’a t-il dit.

Nous n’arrivions pas à lui faire quitter le camp, alors on s’est dit qu’il valait mieux en profiter. « Y’a t’il quelqu’un derrière tout ça ?

– Les bananes Pratt. Ils changent tout un tas de merde. J’ai vu leurs camions. Ils viennent sur la côte toutes les semaines avec plein de carburant. »

Je ne comprenais pas vraiment à quoi il faisait allusion, mais il avait l’air vachement heureux.

Le lever du soleil approchait et les gens commençaient à s’impatienter à l’entrée de Stonehenge. Des tambours battaient et des cornes sonnaient. Toute cette merde était de plus en plus imminente. Je ne savais pas si j’étais excité par le nouveau baktun ou par la fin du capitalisme mais l’ambiance était à son comble et je chantais à l’unisson « Laissez-nous entrer ! »

D’un coup, les portes se sont ouvertes et nous nous sommes tous rués vers les pierres. Pourquoi ? Aucune idée. Déjà, qui sait pourquoi ces putains de pierres sont là ? J’étais interloqué, mais je m’en remettais à Odin. Allons escalader des pierres anciennes !

Et, pendant un moment, alors que je brandissais mon dictaphone et que je marchais effrontément vers la fin du monde au rythme des tambours en bois, je me suis senti un peu étourdi. Étais-je en train d’assister à une sorte de rassemblement forestier de guerriers fous ? Ou était-ce la kétamine qui glaçait mon sang ? Putain de druides, man.


L’archidruide Rollo Maughling, à gauche.

L’archidruide Rollo Maughling, le leader de tous les druides d’Angleterre et icône de la contre-culture des années 1960, dirigeait la cérémonie. À ce moment, il est apparu clair que personne ne savait vraiment ce qu’il se passait et ce qui allait se passer, mais de toute façon, « nique la religion officielle, tout est une question de spiritualité. » Et puis, je savais qu’il y a environ 6 000 ans, les druides faisaient la même chose. Choper un tambour, quelques fleurs, un joint, ou quelque chose qui vient de la nature et « fusionner avec elle, man. »

Il a demandé trois choses lors de son sermon clairement improvisé : la paix dans le monde, la fin de la guerre en Syrie et, bizarrement, la fin des accords économiques issus des Accords de Bretton Woods de 1944, visant à instaurer une monnaie internationale. Le tout bercé par des chants tels que « Reprenez votre pouvoir, reprenez votre planète ! »

Puis, quand le soleil s’est levé, tout le monde a timidement exposé ses paumes vers le soleil. J’imagine que c’est un truc spirituel. Pendant ce temps, Rollo était du côté des pierres, annonçant la fin officielle de notre ère, de notre conscience collective et la naissance de l’ère du Verseau.

Puis, ce golem de torchons est apparu de nulle part et s’est mis à danser et à sautiller avec un accordéon caché sous son accoutrement de pompon géant.

Vous devez vous demander, « mais qu’en est-il des gens comme moi qui étaient déjà des écologistes de gauche ? Allions-nous être épargnés par ce changement des consciences collectives ? Où allions-nous devenir de droite ? »

Quand le roi Arthur a commencé à adouber des cyberpunks, j’ai compris que j’assistais au plus gros événement de contre-culture que le monde n’avait jamais connu.

Lors de mon séjour à Stonehenge, j’ai rencontré des hippies, des dieux scandinaves, des anciens rois, des guerriers abandonnés, des théoriciens conspirateurs, des druides chiants, des skyzophrènes, des sorcières, des magiciens, des démons, des hackers, des familles de vikings, des amateurs de trance, et même un mec qui pensait être un écureuil.

L’athéisme est-il révolu ? Est-il temps de définir nos propres convictions ? Et si nous croyions dur comme fer aux prédictions et laissions les proclamateurs s’exprimer une bonne fois pour toute ? Tant de questions auxquelles j’ai décidé de ne jamais répondre en m’entourant uniquement de gens grotesques et sympa comme ceux présents à Stonehenge en cette fin d’année 2012, et en fumant tout comme eux, beaucoup de joints.

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