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Les hologrammes sont-ils toujours le futur du cinéma ?

En fiction, tous les genres ont des marqueurs spécifiques qui permettent une identification immédiate par le public. Un Colt .45 Single Action Army suggérera immédiatement l’univers et les codes du western. Il suffit d’un vieil imper et d’un chapeau pour montrer que l’on est au cœur d’une intrigue de film noir. Une épée, quelques peaux de bêtes et un personnage en cotte de maille, et un univers médiéval-fantastique se formera immanquablement dans notre esprit.

De la même façon, l’hologramme ne manque pas d’évoquer une histoire de science-fiction, ou du moins d’anticipation, où le futur règne en maître. L’hologramme est devenu un élément tellement récurrent de la littérature de science-fiction ( Substance Mort de Philip K. Dick, Salut l’Amérique de J. G. Ballard, Neuromancien de William Gibson, etc.) qu’il suffit désormais d’accoler le préfixe “holo-” à n’importe quel mot pour évoquer l’idée d’une image tridimensionnelle, dont le volume ne semble reposer sur aucun support ou écran matériel.

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Pour des raisons évidentes, c’est au cinéma que l’hologramme a véritablement marqué l’imaginaire collectif.

Si le film Planète Interdite mettait en scène un hologramme dès 1956, ceux-ci se font plutôt rares dans le cinéma des années 60 et 70. Il faut dire qu’à l’époque, la science-fiction est avant tout considérée comme un genre d’exploitation, un sujet pour film de séries B. Si le genre a donné quelques authentiques chefs d’œuvre, ces films ont triomphé en dépit d’une logique de production visant à minimiser les coûts pour maximiser les profits. Dès lors, la représentation d’un hologramme, qui obligeait à insérer dans le cadre des images assez nettes pour passer pour réalistes mais assez dénaturées pour refléter leur nature artificielle, étaient loin d’être la priorité des producteurs.

Planète Interdite, 1956

Il faut donc attendre que les avancées technologiques permettent de réduire le coût des effets spéciaux et que la science-fiction devienne un genre majeur du cinéma pour que l’hologramme trouve définitivement sa place parmi les codes du genre. Sans grande surprise, ces deux impératifs se trouvent réunis dans le film qui va changer le paradigme de production du cinéma américain en enterrant le Nouvel Hollywood et inaugurant l’avènement des blockbusters : La Guerre des Étoiles.

Et c’est peu dire que Star Wars va contribuer à faire de l’hologramme un élément incontournable de la science-fiction. Avec son emblématique “ aidez-moi, Obi-Wan Kenobi, vous êtes mon seul espoir !” répété en boucle, l’hologramme de la princesse Leia s’imprime dans l’imaginaire de toute une génération de spectateurs.

Par la suite, l’hologramme va devenir un élément récurrent sur les écrans… mais sans forcément introduire des innovations narratives radicales. L’hologramme apparaît le plus souvent comme une version plus sophistiquée de technologies existantes. Ainsi, dans La Guerre des Étoiles, l’hologramme de Leia occupe la même fonction qu’un message audio ou même un simple texte. Dans L’Empire Contre-Attaque, la discussion par hologramme interposé entre Dark Vador et l’Empereur reste fondamentalement une discussion à distance qui n’aurait rien perdu à être une simple conversation téléphonique. La même logique prévaut encore dans Starfighter.

Starfighter, 1984

Dans Retour vers le Futur 2, l’hologramme se présente comme l’évolution logique du cinéma : après le son, après la couleur, après la 3D stéréoscopique, l’hologramme cristallise une sorte d’étape supérieure dans la recherche du réalisme au cinéma. Même lorsque l’hologramme n’est pas employé directement en tant que média, comme dans Los Angeles 2013 où il est utilisé en tant que leurre pour détourner l’attention, le procédé ne propose pas d’idée véritablement nouvelle puisque les subterfuges à base de leurre ont toujours fait partie intégrante de l’arsenal militaire.

Même si l’hologramme n’apporte pas grand-chose sur un plan narratif, on peut comprendre pourquoi – au-delà du gain de « matière futuriste » qu’apporte le procédé à l’univers de l’œuvre – il a séduit les cinéastes. Depuis les débuts du cinéma, la question de la communication à distance entre deux personnages a toujours été un véritable casse-tête de mise en scène, contrairement aux scènes où les personnages occupent le même espace. Pour celles-ci, les metteurs en scène ont rapidement compris comment proposer des cadrages et des raccords dynamiques et expressifs. Par contre, les correspondances épistolaires ou même les communications téléphoniques se prêtent beaucoup moins bien aux aspects les plus visuels du cinéma. Ainsi les réalisateurs se trouvent obligés de passer par des voix-off, voire de simples plans sur le texte laissant la possibilité au spectateur d’en lire lui-même le contenu. Concernant les discussions téléphoniques, elles ont mené à inventer la technique du split-screen (dès 1913 avec le film Suspense de Lois Weber) mais ce procédé s’est avéré rapidement limité en termes de mise en scène puisque chaque partie de l’écran était bien souvent constituée d’un plan fixe sur un personnage. À part quelques exceptions signées par des génies du calibre tels que John McTiernan ( cf. la discussion par talkie-walkie entre John McClane et Hans Gruber dans Piège de Cristal), les conversations téléphoniques sont rarement des grands moments de mise en scène. Quant aux communications par écrans interposés, elles consistent bien souvent à filmer un écran et/ou des personnages qui regardent un écran. Encore une fois, difficile de faire preuve d’inventivité en termes de cadrage. D’ailleurs, on remarque que, si l’avènement des smartphones a remis ces questions au goût du jour, les solutions qu’ont trouvé les réalisateurs tiennent plus du gimmick visuel que de la véritable mise en scène.

Video : Tony Zhou (Every frame is a painting)

À l’inverse, l’hologramme est un mode de communication parfaitement adapté au cinéma. Premièrement, il permet de remettre les deux interlocuteurs dans le même espace, rendant
au cinéaste une totale liberté de mise en scène. C’est déjà le cas dans La Guerre des Etoiles. Lorsque D2-R2 projette pour la première fois le message de Leia, l’hologramme apparaît tout d’abord comme un élément du plan contenant Luke, Z6-PO et D2-R2. Après un plan de coupe sur Z6-PO et D2-R2, le cadre montre l’intégralité de l’hologramme à travers un angle similaire à celui sous lequel Luke voit lui-même l’hologramme. Après que Luke se demande qui est la personne représentée par l’hologramme et remarque sa beauté, le cadre se fait alors plus serré et adopte un plan américain qui met en avant le visage et le buste de Leia. Puis le cadre montre l’intégralité de l’hologramme, cette fois-ci en incluant la tête de Luke dont le regard est braqué sur la représentation tridimensionnelle de la princesse. Après un autre plan de coupe sur Z6-PO et D2-R2, un nouveau raccord enchaîne un plan sur Luke fasciné par ce qu’il voit et le même plan américain sur l’hologramme.

Ce jeu sur les cadrages montre bien que l’hologramme occupe une partie de l’espace au même titre qu’un objet ou un personnage qui serait physiquement présent et autorise à nouveau l’utilisation de toute la grammaire cinématographique. D’ailleurs, George Lucas s’amuse avec cette liberté un peu plus loin dans le film. Lorsque D2-R2 délivre finalement le message de Leia à Obi-Wan Kenobi, il aurait été tout à fait possible de filmer la scène de façon à ce que l’hologramme de Leia semble s’adresser directement à Obi-Wan Kenobi. Au lieu de ça, Lucas rompt consciemment la règle des 180 degrés de façon à ce que le regard de l’hologramme ne croise pas celui d’Obi-Wan et garde sa nature de message préenregistré qui n’interagit pas directement avec le destinataire.

Dans L’Empire Contre-Attaque en revanche, Irvin Keshner filme une discussion entre Vador et ses subordonnés exactement comme s’il s’agissait d’une conversation entre des participants physiquement présents. La règle des 180 degrés est respectée. On trouve même un champ-contrechamp tout à fait classique… à ceci près que l’amorce d’un des cadres se fait sur le dos d’un des hologrammes, c’est-à-dire sur un personnage qui n’est pas vraiment là. Un peu plus tard, lors de la communication entre Dark Vador et l’Empereur, la mise en scène n’emploie plus un champ-contrechamp où les protagonistes sont filmés de trois-quarts, avec des amorces dans chaque plan. Le retournement champ-contrechamp se fait suivant un angle de 180° et chaque plan apparaît comme un plan subjectif. Cela a pour effet de mettre en évidence la relation de subordination entre Vador et l’Empereur. Cette relation était déjà suggérée par le jeu d’échelle que permet l’hologramme (l’image de l’Empereur apparaissant beaucoup plus gros que Vador, il se retrouve en position de force dans le cadre) mais le champ-contrechamp quasi-subjectif amplifie cet effet puisque Vador se retrouve filmé en plongée alors que l’Empereur bénéficie d’une légère contre-plongée.

Mais si l’hologramme est un objet hautement cinématographique dans sa représentation, c’est loin d’être le cas de son incarnation physique. À force d’être représenté dans des films de science-fiction, la projection holographique a fini par être considérée par le public comme une évolution future nécessaire du cinéma. Une sorte d’étape ultime de la recherche d’une reproduction toujours plus fidèle de la réalité. À chaque nouvelle amélioration des techniques de projection holographiques, les médias ne peuvent s’empêcher de tisser des parallèles avec les hologrammes représentés au cinéma. Cette association entre hologramme et l’anticipation a d’ailleurs dépassé le seul cadre culturel ou technologique : l’utilisation d’une forme d’hologramme par Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle de 2017 l’a bien montré. Outre l’aspect pratique qui consiste à pouvoir tenir deux meetings simultanément, l’emploi d’une technologie holographique s’appuyait ici sur les fantasmes du public et contribuait à associer le candidat à des notions d’avenir, d’innovation, de progrès.

Pour autant, l’idée que l’hologramme soit véritablement le futur du cinéma, telle que suggérée par Retour vers le Futur 2, pose un véritable problème.

Retour vers le Future 2, 1989

Le principe même d’une projection tridimensionnelle d’un objet qui peut alors être observé de n’importe quel point de vue est en fait une notion anti-cinématographique. Elle nie le travail du metteur en scène : à partir du moment où c’est le spectateur qui choisit sa position par rapport à l’objet qu’il observe, comment le réalisateur peut-il influencer le public au travers de la composition de ses cadres, du choix de ses angles, du rythme de son montage ? En cela, l’hologramme représenterait une rupture dans l’évolution du cinéma. Si celui-ci essaie toujours de proposer une représentation toujours plus fidèle de la réalité (la 3D stéréoscopique ou les essais de high frame rate vont dans ce sens), l’image perçue par le public reste subordonnée aux choix artistiques des cinéastes. Ce sont eux qui décident du champ et du hors-champ, de ce qui est montré ou non, et des modalités de cette représentation. L’hologramme apparaît alors comme un mode de reproduction qui réintroduit une forme d’objectivité antinomique avec la subjectivité inhérente au cinéma.

D’une certaine façon, même si la technologie holographique est loin d’être aussi avancée que celle de la réalité virtuelle, ces deux techniques posent des problèmes similaires : comment concevoir des œuvres narratives qui conservent leur impact sur le spectateur alors que celui-ci peut à tout moment décider d’adopter n’importe quel point de vue ? Peut-être que le jeu vidéo, dont la nature interactive est inhérente au média, apportera des pistes de réponses. Cependant, au vu du faible impact des jeux en VR sur le public, il est tout aussi possible que les technologies holographiques, tout comme la VR, s’avèrent être des impasses artistiques. Il sera alors sans doute amusant de revoir tous ses films de science-fiction avec un œil amusé, comme autant de témoignages d’un temps où l’hologramme était un fantasme futuriste, et non un gimmick ringard.