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Les jeunes se sentent plus seuls que jamais

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Début 2022, une vidéo TikTok a fait le tour de Twitter. On y voyait une jeune femme en larmes parler d’amitié et de solitude. « Oui, il y a des gens qui m’aimaient et qui se souciaient de moi, mais il était clair que je n’étais considérée à leurs yeux que comme une amie de niveau 2 ou 3. D’où le fait que je me suis retrouvée littéralement seule ces deux dernières années [pendant le lockdown] », dit-elle. « J’ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre ce que j’avais fait dans ma vie pour être si seule à l’heure actuelle… Je pensais que j’avais réussi à créer et entretenir une communauté plus forte que ça ».

Les réactions sur Twitter ont été partagées. « Je pense à toutes les personnes qui traversent la même épreuve. Moi, je veux bien être ton ami », a écrit un utilisateur. « Grandis et va rencontrer des gens », a répondu un autre. « Les amis qu’on se fait dépendent de nos actions et de l’énergie qu’on leur donne. La vraie question est de savoir quel type d’amie tu étais. » Malgré cette diversité d’opinions, il reste indéniable que la pandémie nous a forcés à réfléchir sur les notions d’amitié et de solitude. Deux ans après le début des confinements, 30 % des jeunes disent ne pas savoir comment se faire de nouveaux amis et ne se sont jamais sentis aussi seuls, selon une étude du Prince’s Trust.

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Si la solitude semble plus répandue que jamais, il est pourtant difficile de déterminer si l’isolement imposé par le virus en est la cause — ou si ce dernier a tout simplement révélé une crise latente qui n’attendait que ça pour éclater.

Avant la pandémie, les jeunes (16-24 ans) n’étaient pas considérés comme un groupe démographique « solitaire ». Mais c’était oublier qu’en 2015, un projet mené par la BBC sur la solitude avait interrogé plus de 50 000 jeunes et en avait conclu que leur degré de solitude était similaire à celui des personnes âgées. « Il y a tellement de transitions qui surviennent lors de cette période de la vie », explique le Dr Timothy Matthews, dont les recherches en psychiatrie se concentrent sur la solitude chez les jeunes.

Selon lui, les jeunes qui font l’expérience de la solitude lors de l’enseignement secondaire quittent l’école avec des qualifications inférieures et sont plus susceptibles d’avoir à lutter contre le stress, l’insomnie, la dépression et l’anxiété. « C’est à ce moment-là que les gens terminent leur scolarité, partent à l’université, laissent derrière eux leur ville et le foyer familial pour tenter de s’établir en tant qu’adultes indépendants. S’ils ont du mal à s’y retrouver, ils risquent de ressentir un fort sentiment d’isolement. »

C’est le cas de Jasmine Grimshaw, 23 ans et étudiante en beaux-arts. Elle a souffert de solitude tout au long de sa vie. « Vous croisez tous les jours au moins trois personnes que vous connaissez quand vous êtes étudiant. Mais ça ne signifie pas que vous entretenez une quelconque connexion avec elles », dit-elle.

D’après Jasmine, le manque de liens humains significatifs sur les réseaux sociaux et le passage de la scolarité à la vie de jeune adulte marquent l’arrêt des rencontres en chair et en os. « Quand on suit des études, on est tous les jours face à des gens », dit-elle. « Puis vous quittez l’école et il est beaucoup plus difficile de rester en contact avec ces personnes parce que chacun a sa propre vie. Ça contribue à nous faire sentir très seuls, même si on évolue dans un monde surpeuplé. »

Tam Adisi a 24 ans et vit actuellement à Manchester. Pour suivre ses cours à l’université, iel a dû déménager et ce déracinement a provoqué un certain sentiment d’isolement. « C’est difficile de trouver les personnes avec qui je peux ressentir une connexion, celles qui peuvent me comprendre », explique-t-iel. « Je pense que le fait d’être une personne noire, queer et non-binaire rend tout ça encore plus difficile. Beaucoup de mes intérêts, la façon dont je vis ma vie et ce que j’attends de mes amitiés diffèrent des autres ». 

30 % DES JEUNES DISENT QU’ILS NE SE SONT JAMAIS SENTIS AUSSI SEULS, SELON UNE ÉTUDE DU PRINCE'S TRUST.
30 % DES JEUNES DISENT QU’ILS NE SE SONT JAMAIS SENTIS AUSSI SEULS, SELON UNE ÉTUDE DU PRINCE’S TRUST.

Cette solitude n’est pas uniquement due aux réseaux sociaux. Elle ne découle pas non plus d’une volonté de s’isoler. Il s’agit davantage d’un problème fondamental lié à la formation des communautés et à la manière dont leurs besoins sont traités en priorité. En Angleterre, certaines localités présentent des taux de solitude plus élevés que le reste du pays, comme Aycliff West dans le comté de Durham ou Fieldway à Croydon. Ces 225 quartiers, surnommés les quartiers « laissés pour compte », ont été identifiés comme n’ayant pas reçu leur juste part d’investissement. Ils manquent des ressources et installations nécessaires qui aident d’habitude les gens à construire des communautés.

Le Befriending Service d’Age UK est un service qui s’efforce de combler le fossé entre les différentes communautés, et donc de contrer la solitude. Il offre aux personnes âgées la possibilité de passer un coup de fil hebdomadaire à quelqu’un, qu’importe sa localité. On pense souvent, à tort, que ces échanges ne se font qu’entre vieux. En réalité, ce service permet à toutes sortes de personnes seules d’entrer en contact.

Pour Michael, 71 ans, ça a complètement changé sa vie. Lorsque je lui rends visite dans sa maison de l’est de Londres, je trouve le vieil homme installé au milieu de photos de sa famille, de bibelots du Seigneur des anneaux et d’une pile de quatre Kindles contenant plus de 700 livres dont il a dû se débarrasser pour gagner de la place. Michael vit dans un logement social pour personnes âgées et, bien qu’il soit entouré d’autres individus qui vivent une situation similaire, la solitude le tourmente.

« Je me sens seul depuis que j’ai quitté l’école », me confie-t-il. « Il n’y a que trois personnes [vivant] ici qui me disent bonjour. Ils devaient nous fournir des iPads pour que nous puissions nous parler, mais à la place, l’argent a été dépensé pour nous offrir de nouvelles armoires. J’aurais préféré les iPads ».

En plus de l’arrêt des « matinées café » du logement en raison de la pandémie et du manque de financement, le service de transports peu fiable l’empêche souvent d’assister aux services religieux. Cela signifie qu’il peut passer des journées entières sans voir personne. Depuis cinq ans, le fait de parler tous les vendredis matin à Gemma, basée dans le sud-est de l’Angleterre, par l’intermédiaire du service de parrainage d’Age UK, a changé sa vie. Ensemble, ils discutent des livres d’Agatha Christie et partagent les tenants et aboutissants de leurs vies. « Je l’appelle Gemme de diamant brut », dit-il. « Et si j’ai besoin d’un conseil, je n’ai qu’à lui demander. »

Pour Des, 62 ans, originaire du sud de Londres, le service d’accompagnement l’a aidée à trouver du réconfort après le décès de sa mère. « Le premier appel que j’ai reçu de Margaret a eu lieu le jour de l’anniversaire de ma mère », explique-t-elle. « C’est vrai qu’il y a un peu d’égoïsme dans tout ça, c’est comme une thérapie pour moi ». Pour son amie Margaret, 73 ans, discuter au téléphone de leur passion commune pour la cuisine et le jardinage a été une véritable bouée de sauvetage. Surtout depuis que la pandémie a empêché les visites et que même suite à l’assouplissement des restrictions, les visiteurs autrefois réguliers ne sont plus revenus. « J’ai fait une dépression nerveuse et je me suis souvent retrouvée complètement seule », raconte Margaret. « C’est une expérience très solitaire, vous avez l’impression d’être coincée entre quatre murs pour le restant de votre vie ».

Toni (37 ans) appelle Ron (83 ans) dans le Merseyside depuis son domicile du sud de Londres. Ron s’est senti « privé de sa meilleure amie » depuis le décès de sa femme June, en 2020. Même si sa fille, infirmière, s’arrête régulièrement pour lui rendre visite, son amitié avec Toni a été transformatrice. Il parle d’ailleurs de Toni comme de sa petite sœur. « Je pense à ces autres personnes terriblement seules qui n’ont pas la chance de pouvoir tenir de simples conversations. J’espère qu’elles aussi pourront un jour bénéficier de la valeur que je retire de mes entretiens avec Toni, ne serait-ce qu’à hauteur de 10 %. »

Si Toni s’est inscrite au service d’entraide, c’est en réaction à sa propre expérience de la solitude. Petite, elle a été élevée par sa grand-mère qui vivait quelques étages au-dessus de l’appartement de ses parents. Elle passait des journées entières à faire des courses avec elle. Lorsqu’elle a eu son premier enfant, Toni a dû déménager loin de là où elle avait grandi. Avec ses parents à plusieurs heures de route et aucun ami dans le quartier, il lui a fallu reconstruire sa propre communauté. « J’avais l’impression de littéralement m’asseoir aux pieds de Ron pour l’écouter me raconter des histoires sur sa vie, ça me faisait du bien », dit-elle. « Me concentrer à 100 % sur quelqu’un d’autre, encore une fois, m’a aidé dans mon processus de guérison ».

Le manque d’importance accordée à la communauté est souvent imputé au sentiment séculaire selon lequel, dans la culture occidentale, les relations romantiques seraient privilégiées aux relations platoniques. D’après Tam Adisi, c’est un peu exagéré. Il s’agirait plutôt d’une aversion générationnelle pour l’intimité. « Les gens luttent constamment contre la solitude, même dans leurs relations amoureuses où ils ont parfois du mal à se sentir connectés. La société actuelle valorise l’hyperindépendance et exerce une pression pour faire taire ces besoins d’intimité. C’est totalement l’inverse de ce qui est nécessaire pour entretenir des relations significatives », explique-t-iel. « Il peut sembler plus facile à nos yeux de gérer des liens superficiels que de faire le travail nécessaire afin de surmonter ce conditionnement. »

D’ailleurs, œuvrer à la création d’une société qui favorise l’aspect communautaire et le besoin de lien social est souvent perçu comme une préoccupation utopique. Jasmine, cependant, pense qu’il faut faire bien plus que de simplement en parler. C’est un changement fondamental qui doit se produire.

« Malgré tout ce qu’on entend, les gens sont encore et toujours incités à travailler plus. Cette culture du travail supprime notre capacité à nous lier les uns aux autres lorsque nous sommes tristes. Le capitalisme est intrinsèquement aliénant. À côté de ça, il existe une espèce de malaise à vivre le chagrin des autres si nous portons déjà le nôtre. On essaie alors de s’accrocher à l’illusion que tout le monde va bien : mais pour quel bénéfice ? » dit-elle. « Aucun. »

Il est certes facile de dire que pour résoudre ce problème de solitude, il faudrait simplement faire un pas vers les autres. Le temps, l’investissement dans les infrastructures communautaires et le rétablissement économique post-pandémique ne sont que quelques-uns des éléments nécessaires pour attaquer le fond du problème. Mais après avoir entendu les récits de Michael, Margaret ou Ron, il est difficile de nier que c’est ce premier pas qui leur a permis de transformer complètement leurs vies.

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