Photos par Martin Fengel
Si, pour une quelconque raison, vous vous retrouvez sur le site du Schwarze Schar Wismar Motorcyle Club, vous remarquerez plusieurs petites coupures de presse sur des attaques de salons de tatouage fièrement présentées sur la page d’accueil. Peut-être est-ce à cause de ce genre de comportement que le maire de la commune voisine, Grevesmühlen, pense que le gang de bikers de Wismar n’est qu’une bande de voyous d’extrême droite mêlés « au proxénétisme et à tous ces trucs-là ». La police criminelle du Mecklembourg-Poméranie antérieure va encore plus loin : ils suspectent les bikers d’avoir des liens avec le crime organisé.
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J’étais assez sceptique sur ce dernier point, mais j’imagine que c’est parce que pour moi, le « crime organisé » signifie la Mafia ou les Triades, tandis que les « gangs de motards nazis » m’évoquent plus la violence, les gangbangs et Altamont en 1969. Les bikers des Schwarze Schar s’identifient comme appartenant au 1 % ; une référence aux gangs de motards et hors-la-loi qui, à juste titre ou non, ont foutu une frousse pas croyable à l’Amérique dans les années 1950 et 1960. Le gang des 1 % le plus connu au monde est (bien évidemment) les Hell’s Angels, et les membres des 1 % – nom donné en réponse à la promesse de l’American Motorcyclist Association de 1947 qui disait que 99 % des motards américains étaient des citoyens respectueux de la loi – portent des patches à leurs couleurs pour se différencier.
Bref, j’avais donc un peu la trouille quand les mecs m’ont invitée à passer un vendredi soir avec eux dans leur QG. Finalement, ma curiosité a vaincu la poule mouillée qui sommeillait en moi, et je me suis rendue dans leur club-house situé à la périphérie d’une zone industrielle perdue en pleine cambrousse.
Je me suis sentie nerveuse pendant une fraction de seconde lorsque la porte s’est refermée derrière moi et que je me suis retrouvée en face d’une ribambelle de géants chauves et tatoués en total look cuir. À ma grande surprise, ils étaient tous hyper gentils, tout comme leur Staffordshire Bull Terrier qui me suivait partout pour que je le caresse.
Après la poignée de main obligatoire à chacun des membres – une règle du club – et quelques cigarettes, leur président, Philip Schlaffer, nous a proposé de nous asseoir pour nous raconter l’histoire du club. En seulement cinq minutes, j’avais été tour à tour terrifiée, surprise, puis simultanément impressionnée et divertie par le sérieux avec lequel ils considéraient la chose.
Pour devenir membre à part entière et se faire tatouer SSFI (« Schwarze Schar Für Immer » – « Horde Noire Pour Toujours ») à l’intérieur de la lèvre inférieure, il faut se faire bizuter. Après ça, le club devient la priorité numéro un, toujours ; si un membre ne se pointe pas à l’heure à une réunion, il doit payer, et chacun doit aider à l’entretien du club-house. D’ailleurs, c’était un des lieux de beuverie les plus clean que j’aie vus de ma vie.
Les membres du club se rassemblent cinq à sept fois par semaine : ils soulèvent de la fonte quatre fois par semaine et suivent des cours de krav-maga obligatoires tous les mercredis soirs. Ils observent également une liste de règles évidentes comme ne jamais toucher la nana de ton pote ou voler le club. Comme dans la plupart des MC (bien entendu, les initiales MC signifient « Motorcycle Club » et non « Maître de Cérémonie »), les membres s’appellent « frère » entre eux, et selon leurs propres dires, le club compte plus que leur famille. Si un membre est incarcéré, comme un dénommé Chris en ce moment, le club le supporte financièrement pendant et après son incarcération.
Le président Schlaffer est très ouvert sur son passé néonazi. Il possède deux magasins de vêtements et d’accessoires à Wismar, respectivement nommés le Werwolfshop et le H8 Delivery Store. En 2005, il a fondé le Werwolf Club, une alliance bancale de jeunes skinheads connus pour terroriser constamment et violemment les résidents plus tranquilles de la ville. « Aujourd’hui quand j’y repense, je souris, » a-t-il admis, « mais on n’en serait pas où on en est sans cette expérience. C’est pour ça qu’on ne veut pas diaboliser cette période. On ne recouvrira pas nos tatouages. »
Et, tout à fait conscient que n’importe qui peut désormais taper leur nom sur Google, il demande sans s’attendre à ce que je lui réponde : « Pourquoi on devrait faire comme si on était une bande de bons samaritains ou expliquer ce que ce sont les 1 % ? On ne veut pas faire partie de la société, on veut poser nos propres règles et vivre selon ces dernières. On s’est bien amusés à l’époque, mais à un moment on a perdu notre dimension politique et on ne faisait plus grand-chose à part boire. Les événements ont dégénéré un jour de l’an, lorsqu’un mec de la scène d’extrême droite s’est fait assassiner en interne. On avait rien à voir avec ça, mais ce sens de l’anarchie commençait à être douloureux, et on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus continuer comme ça. »
Il y a deux ans, ils ont fondé les Schwarze Schar (alias les Hussards Noirs de Brunswick), en référence au corps militaire créé par Frédéric-Guillaume de Brunswick-Wolfenbürtell pour combattre Napoléon au moment de la guerre entre la France et l’Autriche. Les initiales « SS », cependant, participent également de la réputation sulfureuse du groupe. Aujourd’hui, le club compte des membres au passé néonazi ainsi que des mecs sans rapport aucun avec l’extrême droite. Ils organisent des énormes barbecues ouverts au public et agrémentés de feux de joie, de serveuses topless et d’une poignée de main de rigueur à chaque invité. Mais ils ne cherchent pas à tout prix à convertir les autres à leur idéologie, quelle qu’elle soit à ce jour. À la place, ils sont fiers d’être une communauté unie plutôt difficile à infiltrer.
« La communauté des 1 % est une société qui écrit ses propres règles et fonctionne selon ses propres lois. Cela ne signifie pas que tous les membres des 1 % sont des criminels qui transgressent la loi, mais plutôt qu’ils ont construit une société parallèle et – je vais le dire, même si ça peut paraître radical – qu’ils n’en ont absolument rien à foutre des règles et des lois des autres », a expliqué le vice-président. Carlo, le sergent en chef en charge de la discipline au sein et en dehors du club, a ajouté : « Nous suivons les lois de notre pays, mais celles de notre club sont plus importantes à nos yeux. Si une loi doit être transgressée pour le bien du club, alors je la transgresserai. »
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