John Patrick McManus dirigeait un exercice de navigation de nuit au Manitoba, au Canada, quand il a levé les yeux et vu une lumière « très brillante ». « La lumière s’est soudainement déplacée vers la gauche, raconte le lieutenant-colonel à la retraite. Elle avançait à une vitesse ahurissante. »
Au cours du mois dernier, les grands médias nord-américains comme NBC, FOX, CNN et 60 minutes ont rapporté de curieuses rencontres entre des ovnis et les forces armées canadiennes. En parcourant des dossiers publics et des entretiens exclusifs, nous avons découvert près de 70 ans de cas, comme par exemple un « grand objet tubulaire » repéré par radar en 2002, une « tache blanche, virant au bleu et au rouge, se déplaçant en zigzag » au-dessus de la base de Borden, en Ontario, en 1978, ou encore « une lumière clignotante orange et symétrique » observée dans le ciel d’Ottawa par deux officiers de l’armée de l’air en mars 1950.
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« Ce qui est frappant, c’est que ce n’est pas un phénomène nouveau », dit Timothy Sayle, historien et directeur du programme de relations internationales de l’Université de Toronto. « Ces rapports ont été rédigés au début des années 1950, il ne peut donc pas s’agir de drones récents, disponibles dans le commerce. »
Sayle concentre ses recherches sur la sécurité nationale, les renseignements étrangers et les documents déclassifiés. Il sort un document de 1953 qui montre comment l’armée canadienne a décidé de normaliser l’établissement des rapports d’ovnis en raison de toutes les observations qu’elle recevait. « Ce qui est logique : les militaires sont censés repérer et identifier les menaces, dit Sayle. Non pas qu’ils cherchent des extraterrestres, mais ce sont des observateurs très crédibles dont le jugement professionnel est en jeu. »
À Washington, les ovnis ne sont pas pris à la rigolade. Les responsables de la défense et du renseignement américains se coordonnent actuellement sur un rapport non classifié sur les « phénomènes aériens non identifiés », qui devrait être remis au Congrès d’ici la fin du mois de juin. La traque des ovnis par le Pentagone, révélée dans un article du New York Times en 2017, s’inscrit désormais dans le cadre d’un programme officiel. Le mois dernier, l’ex-président américain Barack Obama s’est exprimé sur le sujet.
Un porte-parole du ministère de la Défense nationale du Canada nous a dit qu’il n’était « pas au courant d’un quelconque lien ou d’une quelconque participation du Canada aux études sur les ovnis du ministère de la Défense des États-Unis à l’heure actuelle » et que « les forces armées canadiennes n’ont pas d’unité dédiée aux enquêtes sur les ovnis ». Peut-être qu’elles devraient, car leur personnel en signale depuis des décennies.
« Une lumière intense au-dessus de la base »
Parmi les observations que nous avons consultées, celle qui compte le plus de témoins a eu lieu le 14 septembre 2007 à la base des Forces canadiennes (BFC) North Bay, dans le nord-est de l’Ontario. Selon le rapport, un militaire en patrouille a « observé une lumière intense au-dessus de la base » bien avant le lever du soleil ce matin-là. Un officier « a refusé de classer l’événement ». Un autre « ne pouvait pas l’expliquer ». Un autre encore a déclaré que « la lumière semblait se déplacer très lentement vers le haut », sans « aucun bruit », jusqu’à ce qu’elle « s’estompe au lever du soleil », plus d’une heure après avoir été remarquée pour la première fois. Le rapport indique que le « phénomène a été enregistré par une caméra vidéo ».
Après que cet événement a été mentionné dans un récent article du Globe and Mail, nous avons pu retrouver l’auteur de ce rapport déclassifié, qui nous a fourni des informations supplémentaires sous couvert d’anonymat. « Ce rapport m’a valu beaucoup de moqueries, dit-il. La culture militaire ne pardonne pas. » Il décrit une « sphère de lumière blanche, grande et solide » dans un ciel noir sans étoiles. « L’objet était lumineux et, alors qu’il montait lentement, il a pris une couleur gris-noir avant de disparaître, se souvient-il. Je n’ai aucune idée de ce que c’était. »
Il ajoute que l’incident a été filmé à la fois par les caméras de sécurité de la base et par un téléphone portable, et que toutes les séquences ont été « enregistrées comme preuves, conformément au protocole ». Nous avons tenté d’obtenir ces enregistrements, mais le ministère de la Défense nationale du Canada nous a répondu qu’« après une recherche complète et approfondie, aucun enregistrement n’a pu être trouvé ».
Selon l’auteur du rapport, une quinzaine de militaires « curieux » ont vu l’objet, dont le personnel du 21e escadron et des membres de l’armée de l’air américaine stationnés sur la base dans le cadre du NORAD, l’alliance de défense aérienne canado-américaine. Il affirme que l’affaire a été examinée par le NORAD au Colorado, qui a conclu qu’il s’agissait d’un « événement céleste ».
Un porte-parole de l’Aviation royale canadienne (ARC) que nous avons contacté a refusé de commenter cet incident spécifique, affirmant que l’ARC « n’enquête généralement pas sur les observations de phénomènes inconnus ou inexpliqués en dehors du contexte de l’enquête sur les menaces crédibles, les menaces potentielles ou la détresse potentielle dans le cadre de la recherche et du sauvetage ».
« Ils ne poursuivaient pas les Russes »
John Patrick McManus, qui a servi dans les forces armées canadiennes de 1960 à 1984, était avec deux autres militaires lorsqu’il a aperçu un ovni à la BFC Shilo, dans le Manitoba, au printemps 1981. « En l’espace d’un instant, il s’est éloigné de nous, perdant de sa luminosité et disparaissant à une vitesse fantastique, raconte-t-il. Quand il a disparu, j’ai regardé les jeunes à côté de moi et ils étaient absolument stupéfaits, parce qu’ils n’arrivaient pas plus que moi à comprendre. »
Lorsque McManus l’a signalé le lendemain matin, l’officier des opérations de la base lui a demandé de remplir un formulaire, qu’il a ensuite rangé dans un dossier. « Il semblait y avoir d’autres rapports là-dedans, donc j’ai pensé que le mien n’était pas le premier à être passé sur son bureau, dit McManus. Ce que j’ai rapporté ne l’a pas du tout surpris. »
À 200 kilomètres à l’est, alors qu’il prenait un bain de soleil près d’une piste de la BFC Winnipeg en juin 1985, John « Jock » Williams affirme avoir vu « un objet incroyablement brillant à côté du soleil ». Avant de prendre sa retraite en 1997, Williams a passé 36 ans dans l’armée canadienne, dont plus de deux décennies à piloter des avions de chasse comme le supersonique CF-5. Il a observé la grande lumière immobile pendant plusieurs minutes cet après-midi-là avant de se lever et d’appeler la tour de contrôle du trafic aérien de la base. « Ils m’ont dit : “Oui, oui, on voit ça”, se souvient Williams. Ils avaient déjà reçu beaucoup d’appels à ce sujet. »
Pour Williams, cette observation était loin d’être inhabituelle. « J’ai entendu des histoires de pilotes de chasse envoyés à la poursuite d’objets, incapables de les rattraper ou d’égaler leurs performances, explique-t-il. J’entends ce genre d’histoires depuis 1966… Et je suis presque certain qu’ils ne poursuivaient pas les Russes, parce qu’on était capables de les attraper. »
« Un grand objet tubulaire »
Williams nous avait déjà parlé de la base de données des incidents aériens du gouvernement canadien, qui contient des dizaines de rapports d’ovnis provenant de compagnies aériennes comme WestJet et Air Canada. Ce système comprend également des cas impliquant l’armée.
L’un d’eux, datant de la nuit du 21 novembre 2008, indique que des membres des forces armées canadiennes ont signalé aux contrôleurs aériens civils la présence d’un « ovni » à l’est de Regina en Saskatchewan. Selon leur rapport, « l’objet était stationnaire, avec des lumières blanches et brillantes, et avait été observé à des occasions précédentes. »
Un autre, datant du 27 novembre 2002, juste après la tombée de la nuit, décrit « une observation sur le radar du NORAD d’un grand objet tubulaire entre (37 et 47 000 pieds) dans la région de Chicago qui se déplaçait vers la région de Thunder Bay » dans le nord-ouest de l’Ontario. Ce récit rappelle un événement largement rapporté le 21 février 2021 au Nouveau-Mexique, lorsqu’un équipage d’American Airlines a vu « un long objet cylindrique se déplaçant très rapidement juste au-dessus de nous ».
Le 3 septembre 2018, un capitaine de l’armée de l’air basé à Halifax a envoyé à une flopée d’officiers supérieurs de l’armée canadienne un mail avec pour objet les mots « Ovni/Observation ». Il explique qu’un hélicoptère de recherche et de sauvetage Cormorant a été envoyé sur la côte de l’Île-du-Prince-Édouard après qu’un « citoyen concerné a vu quelque chose tomber dans l’eau et ne pouvait ni confirmer ni nier la présence d’une personne à bord ». Le Cormorant et un bateau de pompiers ont parcouru la zone cette nuit-là, mais n’ont rien trouvé.
De même, le 14 mai dernier, le documentariste américain Jeremy Corbell a diffusé une vidéo filmée par un navire de guerre américain qui montre un objet volant non identifié entrant dans l’océan Pacifique en 2019. La vidéo a rapidement été authentifiée par le Pentagone.
« Deux fois plus vite qu’un F-86 »
La marine canadienne a également rencontré des ovnis, comme le matin du 21 août 1968, lorsque l’équipage de deux destroyers dans l’océan Pacifique a aperçu plusieurs « objets brillants » volant en formation.
Les dossiers non classifiés du Conseil national de recherches Canada (CNRC) et du ministère de la Défense nationale du Canada contiennent des dizaines de rapports historiques d’ovnis comme celui-ci venant d’une poignée de bases militaires canadiennes comme la BFC Cold Lake en Alberta, où, dans la nuit du 14 septembre 1981, un objet lumineux « a traversé la zone réglementée de la BFC Cold Lake » à environ 6 000 pieds sans être détecté par le radar.
En remontant plus loin dans le temps, on trouve des observations d’ovnis par des militaires canadiens tout au long de la guerre froide, comme le 15 décembre 1978 à la BFC Moose Jaw, en Saskatchewan, où plusieurs soldats et un capitaine ont signalé « quatre objets en ligne » qui étaient « circulaires, blanchâtres, avec de l’orange et du rouge clair. Légèrement au-dessus de l’horizon nord. Se déplaçant d’ouest en est ».
À la même base, le matin du 7 novembre 1967, un sergent a remarqué « une lumière très brillante » à une altitude de 3 000 à 4 000 pieds avec « ce qui est apparu à l’observateur comme de petites lunes arquant le périmètre extérieur de la lumière ». Lorsqu’elle a commencé à se déplacer, « elle est apparue à l’observateur comme ayant une forme allongée », avant de disparaître rapidement vers le haut.
L’un des plus anciens rapports d’ovni de l’armée canadienne date du 12 avril 1952, à la BFC North Bay. Cette nuit-là, plus de 55 ans avant le cas survenu en 2007 à la même base, deux militaires ont aperçu quelque chose « d’apparemment rond », comme « un feu de circulation orange », qui se déplaçait à une « très grande vitesse ; environ deux fois plus vite qu’un avion de chasse à réaction F-86 », avant de « changer sa direction et disparaître à une vitesse encore plus grande ». L’officier de renseignement qui a interrogé les témoins a noté que « le brusque changement de direction observé laissait à penser qu’il s’agissait d’un phénomène des plus étranges qui méritait d’être signalé ».
« Il y a quelque chose là-dessous »
En 2019, le chercheur et réalisateur Matthew Hayes a effectué un doctorat sur les archives du gouvernement canadien sur les observations d’ovnis pendant la guerre froide.
« Quand je prends d’anciens rapports d’ovni et que je les compare avec ceux qui sont sortis récemment, je vois davantage de continuité que de rupture ou de changement, dit-il. Les gens rapportent les mêmes choses d’année en année, de décennie en décennie. Cela renforce l’idée qu’il y a quelque chose là-dessous. »
Sayle, de l’Université de Chicago, est du même avis. « Il y a des phénomènes inexplicables dans nos cieux, dit-il. Cela mérite qu’on s’y intéresse. »
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