Les militants pro-armes à feu investissent le Parti conservateur du Québec

Un noyau de militants pro-armes à feu se présente aux prochaines élections provinciales, l’automne prochain, au sein du Parti conservateur du Québec (PCQ) fondé en 2009.

Leur but : relancer le débat sur le registre québécois des armes à feu pour ultimement l’abolir, puisqu’ils le jugent intrusif et inefficace.

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Dans sa plateforme électorale, le PCQ promet qu’il « abrogera la Loi sur l’immatriculation des armes à feu, qui ne fait que pénaliser les honnêtes propriétaires d’armes à feu tout en ne faisant rien d’utile pour combattre le crime ».

Selon nos estimations, sur les 70 candidats conservateurs annoncés pour l’instant, les militants pro-armes seraient une dizaine. On compte parmi eux les porte-étendards de la lutte contre le registre québécois des armes d’épaule: Jessie Mc Nicoll et Guy Morin.

La petite histoire des guns et des conservateurs

Les liens entre militants pro-armes et PCQ ne sont pas nouveaux, même s’ils prennent aujourd’hui une nouvelle ampleur.

Déjà en 2012, puis en 2014, un militant, François Picard, s’est présenté pour le PCQ dans Drummond–Bois-Francs, où il a récolté 1 % des voix.

Picard est un ancien de la National Firearm Association (NFA). Il a lancé la page Facebook « Tous contre un registre québécois des armes à feu » (TCRQ) en 2012, alors que les conservateurs fédéraux abolissaient le registre fédéral des armes longues. François Picard a cofondé l’OSBL du même nom en 2016.

Le mouvement politique était assez mineur à l’époque. Mais, début 2016, il s’active un peu plus. Les libéraux de Philippe Couillard sont alors sur le point d’adopter le projet de loi permettant la création d’un registre québécois des armes à feu.

Guy Morin, militant pro-armes et alors vice-président de TCRQ, fait circuler une pétition s’opposant au projet de loi. En travaillant de concert avec la députée indépendante Sylvie Roy, ils atteignent les 58 500 signatures.

Le militant et candidat Guy Morin. Photo tirée de Facebook

La Coalition avenir Québec permet un vote libre sur la question lorsqu’elle remarque l’opposition au registre qui grandit dans certaines régions; seulement sept députés caquistes votent contre le registre, en plus de Sylvie Roy, qui a quitté la formation de François Legault en 2015.

Le 9 juin 2016, le gouvernement adopte le projet de loi.

À la suite du décès de Sylvie Roy, Guy Morin se présente aux élections partielles dans la circonscription laissée vacante, Arthabaska, en tant que candidat conservateur. « Sylvie nous avait donné accès à l’Assemblée nationale. On croyait que c’était une bonne façon de continuer le débat. » Il termine en quatrième place avec 4,7 % des voix, ce qui, pour le parti, est relativement élevé. Il se représente cette année, dans Portneuf.

Un nouveau souffle pro-armes chez les conservateurs

C’est maintenant au tour de Jessie Mc Nicoll de rejoindre la scène politique. Militante contre le registre depuis ses premiers billets de blogue en 2013, c’est aussi la porte-parole de TRQC.

Avec Guy Morin – qui est d’ailleurs son conjoint – elle avait présenté un mémoire contre le registre des armes à feu en commission parlementaire, en 2016. C’est ce qui l’a convaincue de s’impliquer en politique : elle s’est sentie insultée que l’on rejette ses arguments et que Martin Coiteux avance que leur philosophie était anarchiste.

« Depuis mon passage à l’Assemblée nationale, on dirait que je regarde les choses d’un œil différent. Je me rends compte que les élus refusent d’écouter le petit peuple, dénonce Jessie Mc Nicoll. Sur le coup, ç’a été par colère que je me suis impliquée en politique. C’était pour canaliser la colère face au mépris qu’on a subi dans notre démarche. »

La militante et candidate Jessie Mc Nicoll. Photo tirée de Facebook

Elle fait aujourd’hui partie de l’exécutif du Parti conservateur du Québec, en plus de se présenter comme candidate dans Nicolet-Bécancour. En tant que vice-présidente nationale du PCQ et vice-présidente régionale pour la Mauricie, le Centre-du-Québec et le Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle est responsable du recrutement de candidats.

Selon l’analyse que font Morin et Mc Nicoll, leur implication dans la cause semble avoir de l’influence sur les autres militants, qui souhaitent aussi travailler avec le Parti conservateur.

Quand j’ai discuté avec Guy Morin, il a d’abord estimé qu’une trentaine de candidats conservateurs sur 70 étaient des militants pro-armes, de près ou de loin, « surtout des chasseurs », un nombre que Jessie Mc Nicoll juge « plausible ». Mais Morin n’était pas en mesure de fournir les noms des candidats pro-armes impliqués dans la campagne ni de préciser leur nombre.

D’après nos recherches, ils seraient au moins une dizaine de militants à avoir investi le parti, incluant les ténors Jessie Mc Nicoll, Guy Morin et François Picard.

Nous comptons Yannick Campeau, qui indique dans ses notes biographiques avoir « décidé de faire le saut en politique à cause du registre des armes à feu »; Charles-Étienne Raynault, qui dit être « un passionné de liberté » pour qui « le droit de posséder une arme est vital »; et Patrick Chamberland, un ancien agent de terrain pour l’Association canadienne pour les armes à feu, sympathisant de TCRQ, qui fait également la promotion de divers modèles d’armes à feu sur sa page Facebook.

Ajoutons le candidat Malcolm Mulcahy, que Jessie Mc Nicoll dit avoir recruté, et qu’elle décrit comme un militant pro-armes, ainsi que Carl Lamontagne, qui a partagé sur sa page Facebook une publication incitant au boycottage complet du registre des armes à feu, tout comme Daniel Hénault, qui a publié un message très engagé contre le registre sur sa page Facebook.

Publication Facebook incitant au boycottage du registre, telle que partagée par Carl Lamontagne.

Nous comptons aussi Jean-Philippe Chaussé, qui se décrit comme un adepte de la chasse dans son profil de candidat et est abonné à plusieurs pages Facebook consacrées aux armes à feu et à la défense des droits de leur propriétaire. Il est également dans la haute direction du parti, à titre vice-président pour les régions du Nord-du-Québec, de l’Abitibi-Témiscamingue, de l’Outaouais, des Laurentides et de Lanaudière.

Les liens entre Tous contre un registre québécois des armes à feu et le Parti conservateur du Québec sont d’ailleurs évidents. La page Facebook de l’organisme relaie constamment des publications des militants du PCQ, en plus de mettre des candidats de l’avant.

Quel impact pourraient-ils avoir?

Le Parti conservateur du Québec n’a pas fait élire un seul député depuis la formation du parti, en 2009. Aux élections générales de 2012 et de 2014, il n’a pas même réussi à obtenir 1 % des voix.

Morin et Mc Nicoll ne sont pas dupes et ne croient pas en leurs chances de remporter leur siège.

« Je ne m’attends pas à être élue, concède Jessie Mc Nicoll. Je ne suis pas une vedette; je ne suis connue que pour mes articles et mon implication avec les armes à feu. Si j’étais élue, ce serait un message très, très fort. »

La militante et candidate Jessie Mc Nicoll. Photo tirée de Facebook

Guy Morin, lui, insiste sur le fait que le parti veut faire élire un député ou deux. « Pour la prochaine campagne, je vais essayer d’aller chercher au moins une troisième place, avec environ 10 %. Si j’ai ça, je suis quand même content », admet-il.

Pourquoi alors se présenter pour un parti pour lequel ils n’ont presque aucune chance d’être élus?

Il s’agit d’abord d’une manière de raviver les discussions sur les droits des propriétaires d’armes à feu. « C’est sûr, en étant à l’élection, on reste dans le débat public. On est capables de continuer à débattre sur plusieurs sujets », concède Guy Morin.

Selon Francis Langlois, membre associé de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand qui étudie la question des armes à feu, il s’agit de la suite logique pour les militants pro-armes.

Il note que, lorsque le gouvernement de Philippe Couillard a voulu faire adopter le nouveau registre, ils ont eu la tâche plus difficile en raison de TCRQ. Les militants sont capables de se mobiliser et de leur mettre des bâtons dans les roues, même s’ils n’ont « pas réussi à élargir leur base de sympathisants au-delà de leur cause ».

« S’ils réussissent à montrer qu’ils sont une force électorale mobilisable importante, peut-être que ça peut amener ce genre de débat là à l’Assemblée nationale, surtout s’il y a un gouvernement caquiste. Je pense qu’ils font bien de faire ça, de leur point de vue – quoique je ne sois pas d’accord avec leur point de vue. »

Francis Langlois souligne que pour les militants pro-armes, militer au sein de leur propre parti et avoir leur propre porte-parole a l’avantage de ne pas voir leur message dilué.

« Mais je ne pense pas qu’ils réussissent à percer », tranche-t-il.

Il ne croit pas que les militants réussissent à rallier l’opinion populaire. Il rappelle qu’au moment où la loi a été votée, les Québécois soutenaient le contrôle des armes à feu à environ 70 %. « Ils sont sur un terrain qui n’est pas très gagnant. Il y a un consensus assez large dans la population et, en plus, les partis au pouvoir ou qui risquent de prendre le pouvoir sont d’accord avec ça. »

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Contestations judiciaires à prévoir

La loi québécoise est entrée en vigueur en janvier dernier, et les propriétaires d’armes ont jusqu’en janvier 2019 pour y inscrire leurs armes à feu.

Les militants espèrent renverser la loi avant qu’elle ne soit pleinement en vigueur. En attendant, plusieurs décident de boycotter le registre. Guy Morin et le candidat Patrick Chamberland avouent sans la moindre gêne qu’ils n’ont aucunement l’intention d’enregistrer leurs armes avant la date butoir.

« Nous l’ignorons et nous n’en avons rien à cirer! » écrit TCRQ sur Facebook.

Le mois dernier, on notait que seulement 8 % des armes du Québec avaient été enregistrées depuis. Et encore, l’estimation du nombre d’armes à feu au Québec est basée sur des chiffres tirés de l’ancien régime fédéral de 2012.

S’ils n’ont pas enregistré leurs armes en janvier prochain, leurs propriétaires s’exposeront à des amendes de 500 $ à 5000 $. Et ces amendes, Guy Morin les attend avec une brique et un fanal.

Il juge la loi discriminatoire par rapport au reste du Canada et croit que le Québec agit en dehors de sa juridiction en imposant le registre.

« Nous, c’est déjà prévu. Aussitôt que la loi va être en fonction le 29 janvier, aussitôt qu’il y a des gens qui vont se mettre à avoir des amendes, c’est sûr et certain que l’amende va être contestée en cour. Et s’il faut y aller en Cour suprême, on va y aller. »

Justine de l’Église est sur Twitter.