Dans un temps ancien – à l’échelle des crypto-monnaies – il était possible, depuis chez vous avec votre petit PC, de vous lancer dans la grande aventure bitcoin en devenant « mineur ». À l’orée de la décennie 2010, le mystérieux Satoshi Nakamoto (créateur du bitcoin) et quelques adeptes pouvaient depuis chez eux, sur leur lap top, « miner » du bitcoin. Comprendre, prêter les capacités de calcul de leur ordinateur à la blockchain et recevoir en échange des jetons – ici des bitcoins.
« Miner, c’est comme participer à une grande loterie, » image Yves Benaïm, spécialiste suisse des crypto-monnaies. « C’est comme si vous aviez un chiffre à trouver, et que vous réalisez plein d’essais pour tomber dessus. Quand votre ordinateur trouve le bon chiffre, et bien vous recevez en récompense de nouveaux bitcoins mis en circulation, ainsi que des frais de minage, » décrypte Benaïm.
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Mais à mesure que le bitcoin s’est fait connaître, et que son cours a augmenté, la difficulté de gagner à cette « loterie » singulière a aussi progressé. « On est donc rentré dans une course à la puissance de calcul », explique le spécialiste. Et c’est ainsi qu’ont émergé les « fermes de minage », dans lesquelles des centaines ou des milliers de microprocesseurs puissants, moulinent nuit et jour pour dénicher de précieux deniers numériques.
Et à ce petit jeu-là, ce sont des fermes chinoises qui s’en sortent le mieux. Profitant de composants et d’une électricité bon marché (pour alimenter leurs machines et faire tourner les systèmes de refroidissement), les fermes de Chine tournent à plein régime. D’après diverses estimations, les mines chinoises alimentent près de 80 pour cent du commerce mondial de crypto-monnaies. Loin devant l’Europe ou l’Amérique du Nord.
Plus de 5% des émissions chinoises liées à l’électricité sont dues au minage de bitcoins, indiquent les chercheurs
Mais le problème, c’est que pour faire tourner ces fermes, les besoins en électricité atteignent des sommets. Et une étude publiée par la revue scientifique Nature s’inquiète du coût environnemental d’une telle initiative. D’autant qu’actuellement 40 pour cent des fermes chinoises sont alimentées en électricité par le biais de centrales à charbon, ce qui pose de sérieuses questions en matière de pollution vu l’échelle de cette industrie. Plus de 5% des émissions chinoises liées à l’électricité sont dues au minage de bitcoins, indiquent les chercheurs.
Et si rien n’est fait pour contrôler (ou rendre plus propre) ce minage intensif, les fermes chinoises émettront en 2024 près de 130,50 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone – soit autant que les émissions de gaz à effet de serre annuelles de pays comme la République tchèque et le Qatar. Toujours d’ici 2024, les fermes chinoises consommeront alors 297 milliards de kilowattheures d’énergie, alertent les chercheurs. Autant que l’Italie et l’Arabie saoudite.
L’inquiétude des chercheurs à l’origine de l’étude est telle, qu’ils craignent que cette industrie du minage de crypto-monnaies pourrait empêcher la Chine d’atteindre ses objectifs environnementaux prévus par l’accord de Paris sur le climat, signé en 2015. La Chine compte réduire de 60 pour cent ses émissions de CO2 d’ici 2030 (par rapport à ses niveaux de 2005) et d’atteindre en 2060 la neutralité carbone. Mais pour les chercheurs, les émissions conséquentes du minage de bitcoins pourraient bien venir se mettre en travers de cet objectif, si rien n’est fait.
Cette région est un des hauts lieux du minage chinois avec le Xinjiang et le Sichuan, grâce à ses tarifs électriques attractifs. Elle représente à elle seule 8 pour cent de l’activité mondiale de minage de bitcoins
Si le trading de crypto-monnaies est interdit en Chine depuis quelques années, le minage reste lui permis. Mais la prise de conscience environnementale commence à se faire ressentir, puisque la province de Mongolie intérieure a annoncé le mois dernier interdire tout nouveau développement de fermes dans sa région, ainsi que la fermeture des fermes existantes. Cette région est un des hauts lieux du minage chinois avec le Xinjiang et le Sichuan, grâce à ses tarifs électriques attractifs. Elle représente à elle seule 8 pour cent de l’activité mondiale de minage de bitcoins – soit plus que l’ensemble du minage pratiqué aux États-Unis. La région étant la seule des trente provinces chinoises à ne pas avoir rempli ses objectifs en matière de réduction d’énergie en 2019, elle a dû trouver une solution sous la pression du gouvernement central.
Mais vu que le cours du bitcoin continue d’augmenter par des phases de progression express – pour atteindre aujourd’hui quasiment les 50 000 euros – les fermes ne vont pas fermer de sitôt. Même si des taxes sur leurs émissions carbone leur sont imposées. Ainsi, les chercheurs à l’origine de l’étude publiée dans Nature, estiment qu’il sera plus efficace d’inciter les propriétaires de fermes à se convertir à l’énergie renouvelable (comme l’hydroélectrique, largement développé en Chine et déjà utilisé par de nombreuses fermes dans des régions comme le Yunnan), plutôt que de leur imposer des taxes sur leur activité polluante.
Une démarche que suivent en réalité déjà nombre de mineurs de bitcoins à travers le monde. Puisqu’en septembre 2020, l’université de Cambridge estimait que 39 pour cent de l’énergie consommée au niveau mondial pour le minage provenaient déjà d’énergies renouvelables (principalement l’hydroélectrique).
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