Tout le monde se bouche le nez tandis que la famille soulève le couvercle du cercueil. Une odeur nauséabonde s’empare de mes narines. Alorsc’est ça, l’odeur d’un corps, j’ai pensé.
J’étais déjà venu dans la régence indonésienne de Tana Toraja, sur l’île de Sulawesi, à deux reprises. J’avais assisté aux extravagantes cérémonies funéraires qui font la renommée de la région : des fêtes de villages assourdissantes qui peuvent durer des jours entiers et pour lesquelles les familles ont économisé des années durant. Les Torajas ne considèrent pas la mort physique comme la fin de la vie. Au contraire ; la mort est envisagée comme une simple étape du processus graduel permettant d’atteindre le « Puya », l’autre nom du Territoire des âmes.
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Quoique les Torajas soient presque tous chrétiens, ils tiennent fermement à conserver les croyances animistes de leurs ancêtres – surtout en ce qui concerne la mort. Ce n’est qu’à la fin de mon deuxième voyage à Tana Toraja que j’ai entendu parler d’un rituel funèbre local moins populaire et bien plus étrange : « le nettoyage de tombes ». Tous les ans, les familles du village se réunissent en effet pour exhumer les corps de leurs proches décédés, nettoyer l’intérieur de leur cercueil et parfois les rhabiller – littéralement : leur enfiler des vêtements propres – lorsque les corps momifiés sont encore assez solides.
Un corps est exhumé d’un cercueil avant d’être enveloppé dans un nouveau linceul avec de nouveaux vêtements et des offrandes pour sa vie dans l’au-delà.
Les gens étaient fiers d’expliquer qu’ils étaient venus de toute l’Indonésie pour exhumer les corps de leurs parents. Pendant le rituel, les membres de la famille et les invités se déplacent, curieux, photographient les restes momifiés et prennent un selfie de rigueur à proximité du corps, essayant de cacher le plus possible leur dégoût manifeste.
Le trajet entre l’aéroport et les lieux du rituel implique un voyage mouvementé en bus de nuit depuis Makassar, la capitale isolée du Sulawesi du Sud-Ouest, jusqu’à Rantepao, la capitale de Tana Toraja. Après une heure supplémentaire de voiture en direction du Nord, dans les montagnes, je suis arrivé au cimetière du village de Lo’ko’mata : un énorme bloc rocheux monolithique en bord de route abritant au minimum 30 tombes sculptées dans la roche, certaines à plus de 15 mètres du sol.
Les premiers jours de la cérémonie sont consacrés à la construction de plusieurs échelles en bambou, tiré d’arbres coupés dans la forêt d’à côté. Ensuite, les familles retirent soigneusement les corps de leur tombe afin d’en nettoyer l’intérieur, puis l’extérieur. Parfois, ils se débarrassent du cercueil pourri dans son entier, et le remplacent par un simple tissu qu’ils enroulent autour du corps desséché.
Des proches et des villageois se pressent autour des corps pour être sûrs de prendre de bonnes photos.
Un corps momifié est sorti de son cercueil, nettoyé, puis montré aux villageois.
Un corps et un cercueil sont inspectés avant d’être nettoyés.
Je me suis senti mal à l’aise de n’être qu’étranger au milieu d’eux, seulement là pour photographier un rituel particulièrement intime. Il est désarmant de voir à quel point les villageois sont restés décontractés tout au long de la cérémonie. Les gens proposaient nonchalamment des cigarettes et du café à tous les gens – je me suis donc retrouvé avec une clope et un expresso au moment où deux frères du village m’appelaient pour les photographier en train de déterrer le linceul de leurs parents.
Le dernier jour du rituel, à l’aube, les tombes ont été refermées et les échafaudages en bambou retirés. Les villageois ont organisé une messe chrétienne près du cimetière, en en profitant pour tuer plusieurs cochons et un buffle d’eau pour le déjeuner. Enfin, pour marquer la fin du rituel, un combat de sisemba, une forme traditionnelle de kick-fighting, a diverti la foule.
Les corps d’une famille entière défilent dans la ville avant le grand nettoyage.
Le cimetière de roche de Lo’Ko’mata.
Les villageois descendent un cercueil de l’une des tombes en pierre.
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