Tech

Les plantes d’intérieur du futur sont bientôt là

Les plantes d’intérieur de demain pourraient briller d’une délicate lumière fluorescente, parfumer nos maisons d’une agréable senteur de patchouli, et absorber substances indésirables présentes dans l’air. Tout du moins, c’est le projet de quelques entreprises et laboratoires de recherche en biotechnologies persuadés que la biologie de synthèse est capable d’améliorer notre confort.

Bay Area TAXA Biotechnologies fait partie de ceux-là. La société a synthétisé une mousse qui dégage une odeur de patchouli, fragrance très utilisée en parfumerie. Fragrant Moss, qui sera commercialisée dès la fin de l’année, pourrait bientôt remplacer cette cartouche Air Wick au parfum discutable qui vous sert à assainir l’atmosphère de vos toilettes en cas d’urgence olfactive. C’est en tout cas ce qu’affirme le PDG de l’entreprise, Antony Evans. Avant de travailler dans la biologie de synthèse, celui-ci avait mis au point l’application diagnostique Virtual Nurse en partenariat avec la Harvard Medical School.

Videos by VICE

Il voit Fragrant Moss comme « une alternative intéressante à un produit qui n’est pas vraiment écologique. Les fragrances sont actuellement créées dans des laboratoires de chimie de synthèse. Cette production possède une empreinte carbone importante, sans compter l’impact de l’expédition et du conditionnement de ces produits. »

Colonies de Physcomitrella patens durant les premières expériences de TAXA. Image: TAXA Biotechnologies

De nombreux parfums d’ambiance, désodorisants et autres purificateurs d’air sont contiennent du formaldéhyde, dont les effets cancérigènes sont bien connus, ainsi que d’autres produits chimiques potentiellement toxiques, selon la Fondation David Suzuki.

Fragrant Moss a été créée en insérant des séquences d’ADN générées par logiciel dans les cellules de Physcomitrella patens, une mousse courante vert émeraude fréquemment utilisée dans les études sur le développement des plantes. Elle est considérée comme un organisme modèle pour en ingénierie génétique et en biologie de l’évolution, car son ADN peut être modifié très facilement.

Bien que TAXA ne propose qu’une mousse parfum patchouli pour le moment, d’autres senteurs sont actuellement en développement. « Nous travaillons sur du fruité, du floral, des parfums d’agrumes plus frais, » déclare Evans.

Bien sûr, la nature fournit déjà beaucoup de senteurs agréables, sans produits chimiques, à travers une grande variété de plantes. D’ailleurs, les gens utilisent des fleurs (ou des pots-pourris) dans leur intérieur pendant des siècles. Mais Evans estime que le parfum de Fragrant Moss pourrait perdurer pendant des années, contrairement aux fleurs qui se fanent en quelques jours et demandent beaucoup d’entretien. La mousse utilisée par TAXA, quant à elle, pousse dans des conditions humides, ne nécessite qu’un arrosage par semaine et n’a pas besoin de beaucoup de lumière.

Elle sera probablement livrée dans une sculpture en céramique façon Chia Pet.

La société a bénéficié d’un financement par Wefunder à hauteur de 200 000$ pour la production et la distribution de la plante à échelle commerciale. Jusqu’à présent, elle ne propose qu’un prototype du produit final, mais une fois que la partie bioingénierie de la R&D sera terminée, les choses devraient aller très vite, selon Evans.

Deux modèles de Fragrant Moss possibles. Image: TAXA Biotechnologies

Le dernier obstacle technique qu’ont dû surmonter les ingénieurs est la suppression d’un gène codant pour la résistance aux herbicides. Il fallait évidemment écarter le risque que la plante ne se répande en milieu sauvage de façon invasive.

« Il y a peu de chances que les choses tournent mal, de toute façon, » ajoute-t-il. Même si la mousse avait envahi un milieu donné, sa mutation aurait probablement disparu très rapidement puisqu’elle n’offre aucun avantage évolutif.

Cependant, le travail de TAXA se heurte aux protestations des environnementalistes. Leur ex campagne de crowdfunding visant à promouvoir une plante bioluminescente avait été bannie par Kickstarter, qui, depuis, interdit le financement de produits à base d’organismes génétiquement modifiés. Les contributeurs devaient recevoir des graines accompagnés d’un kit de bioingénierie, mais ceux-ci n’ont jamais vu le jour.

TAXA n’a cependant pas abandonné ses recherches sur les plantes bioluminescentes, et a déjà distribué quelques prototypes. Le kit est tellement simple d’utilisation que n’importe qui pourrait faire pousser sa plante lumineuse chez lui, ajoute Evans.

Les scientifiques et les groupes environnementaux s’inquiètent de l’absence de régulation autour de la biologie synthétique dont les projets Glowing Plant et Fragrant Moss ne sont que des exemples. Nous ne savons pas encore si ces végétaux pourraient présenter des menaces pour l’environnement.

L’organisation internationale de protection de la nature canadienne ETC Group a lancé une campagne contre Glowing Plant sous le doux nom de « Kickstopper. »

Pour le moment, la biologie de synthèse DIY profite d’un vide juridique béant. Quiconque possédant le matériel nécessaire est autorisé à faire de l’édition génétique chez lui ; or, cette activité est de plus en plus accessible techniquement et financièrement grâce à la prolifération des kits de bioingénierie à utiliser chez soi.

Commercialiser un produit est néanmoins une toute autre paire de manches puisque la vente de plantes, les animaux et les micro-organismes, quant à elle, fait l’objet d’une réglementation. Cependant, aux États-Unis par exemple, tant qu’un organisme génétiquement modifié n’est pas pathogène sa circulation n’exige pas d’autorisation particulière, explique Evans.

Il estime que l’opposition aux produits issus de la biologie synthétique, comme Fragrant Moss, est biaisée par un certain nombre de préjugés. Il pense également que les organisations environnementales et le secteur du bio trouvent un intérêt financier à s’opposer à la biologie de synthèse.

“L’ingénierie génétique est l’une des technologies les plus puissantes que l’espèce humaine ait possédé jusqu’à aujourd’hui. Nous nous devons de la rendre accessible à tous, » explique-t-il. « Elle peut être utilisée à bon ou à mauvais escient, et si vous ne la démocratisez pas, si elle n’est réservée qu’à un petit nombre de gens, alors ceux qui ont le plus de pouvoir en feront un usage abusif. »

« Nous voulons montrer que cette technologie ne doit pas être laissée entre les mains des grosses entreprises. Elle doit bénéficier à tous. »

La mousse qui sent bon n’incarne peut-être pas très bien cet idéal, mais c’est un début, ajoute-t-il. La prochaine étape sera de mettre au point une plante capable d’absorber les gaz toxiques que l’on trouve d’ordinaire dans les environnements domestiques, comme le formaldéhyde et le benzène.

Ewans est persuadé que la biologie de synthèse est sur le point de révolutionner une révolution similaire à celle de l’informatique 40 ans auparavant.

« Pour faire une analogie avec l’informatique, je dirais que l’industrie de la biotechnologie est quelque part dans les années 70, avant l’arrivée d’Apple, » explique-t-il.

« J’espère que dans quelques années, les étudiants pourront concevoir leur propre organisme et créer des tas de choses fantastiques, utiles et nouvelles. »