Tout comme la corrida en Camargue, ou la fête du Cou de l’Oie en Auvergne, la « batay kok » fait partie du patrimoine français. En France métropolitaine, cette pratique est officiellement interdite, car considérée comme trop cruelle envers l’animal, mais elle tolérée sur l’Ile de la Réunion, au titre de « tradition locale ininterrompue ». Le combat de coq a été importé d’Afrique par les esclaves et d’Asie par les Malbars, un groupe ethnique d’origine indienne.
Aujourd’hui, il existe cinq « ronds de coqs » à la Réunion – à Saint-Denis, au Port, à Saint-Pierre, à Saint-Benoît, et à Saint-André. Depuis juillet 2015, la loi interdit de créer de nouveaux lieux de combats. Des duels illégaux sont donc également organisés « anonymement » dans des ronds clandestins à Bras-Panon et à la Saline-les-Bains, ou directement chez l’habitant, et ce avec toujours autant d’entrain, de passion, de paris et d’argent.
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J’ai passé toute mon enfance sur cette île française perdue au milieu de l’océan Indien. Très jeune, j’ai assisté, de loin, à quelques combats de boxe entre gallinacés. Mais ce n’est qu’après avoir quitté ce lopin de terre volcanique que j’ai réellement compris à quel point cette pratique, à la fois folklorique, rassembleuse et addictive, était une institution endémique de l’île. Et que ça valait le coup que je m’y intéresse de plus près. J’y suis alors retourné il y a un an pour réaliser un sujet photographique, et voir ce qu’il se passait en coulisse.
Lors de mes premières virées aux gallodromes, j’ai discuté avec des éleveurs rencontrés sur place. Au-delà des combats, j’ai découvert des passionnés qui présentaient leur coqs avec une fierté non dissimulée, s’échangeaient des conseils, et partageaient des histoires qui duraient souvent bien plus longtemps que les affrontements. Je suis allé rencontrer des éleveurs chez eux, voir leurs élevages, assister à leur routine quotidienne, et admirer les combats en leur compagnie.
J’ai d’abord rendu visite à Teddy*, un éleveur d’une quarantaine d’années qui possède un élevage « marron », c’est-à-dire clandestin, à Primat, un quartier de Saint-Denis. J’ai passé plusieurs après-midi avec différents membres de sa famille, déambulé entre ses cages agglutinées en contrebas de la ravine, assisté aux entrainements de ses coqs, et même à la mise à mort de l’un d’entre eux après sa défaite lors d’un combat.
J’ai également partagé quelques moments avec Sonny Maillot, chez lui, sur les hauteurs de Saint-Denis. Ce Réunionnais de 43 ans est un éleveur-entraîneur, passionné et expérimenté, qui possède un élevage homologué.
Hélas, je n’ai pas eu la chance de voir les combats de ses « champions », mais j’ai assisté à quelques rites bluffants : séance de musculation, séance sparring avec des compagnons d’entraînement et longues sessions de « bichonnage » – découpe minutieuse des griffes et de les ergots, application d’une concoction secrète a base de Rhum sur les plumes du coq, auscultation de l’animal, et autres petits soins, aussi subtiles que nécessaires.
Tout en s’occupant de ses volailles, Sony m’a expliqué qu’un bon entraîneur était un individu qui identifiait rapidement – c’est -à-dire dès l’âge de six mois – le meilleur coq de combat, le « Kok L’espes », m’a t-il précisé, et qui le dressait au mieux pour qu’il devienne un vrai conquérant.
« S’ils se retrouvent dans ces enceintes sportives, c’est pour le frisson, le spectacle, la boisson, et, pour la plupart d’entre eux, le fric. »
Lors de nos rencontres successives, il a mentionné plusieurs fois que, pour donner naissance à un grand coq de combat, la question de la génétique est essentielle. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains éleveurs importent des coqs d’espèces réputées d’Inde, du Brésil et du Mexique afin d’améliorer la race.
Dans son enceinte, les coqs sont élevés avec grand soin. Dans l’arrière cour de sa case, ils sont bien installés, dans des cages relativement spacieuses. J’ai remarqué qu’il existait un rapport très fort entre l’homme et la bête – un peu comme entre les Mongols et leurs aigles. Une fusion, une complicité et un amour inconditionnel. Jusqu’à que le coq perde plusieurs combats, bien entendu. Le guerrier est alors considéré comme une volaille normale, destinée à la mort et à la consommation. Voilà la trajectoire tragique de l’idole déchue.
Après avoir passé quelques jours avec eux, j’ai décidé de retourner aux gallodromes de la Saline-les-Bains, de Saint-Denis et du Port, pour photographier les combats.
Les éleveurs, les parieurs, et les simples spectateurs se retrouvent généralement en début d’après-midi. Il n’est pas rare qu’ils passent plus de dix heures à regarder les matches. Les combats commencent généralement à 14 heures et se terminent très tard. Je me souviens avoir passé quelques nuits fiévreuses avec eux, absorbé par l’atmosphère ambiante.
Deux choses m’ont tout de suite sauté aux yeux. La première : la « batay koks » est un sport qui n’intéresse quasiment que les hommes. De toutes les fois où j’y suis allé, je n’ai vu que deux femmes. Toutes les générations et toutes les ethnies sont représentées, mais il ne s’agit que de mecs – de 7 à 77 ans, comme on dit. J’ai posé plusieurs fois la question à mes voisins pour comprendre l’absence de femmes à leurs cotés. Ils m’ont tous répondu à peu près la même chose : « Les femmes n’aiment pas nous voir dilapider l’argent de notre ménage aux jeux, alors elles ne viennent pas. Et puis c’est une pratique violente ». La deuxième : tous les spectateurs autour de l’arène ne s’interrogent pas sur l’état de stress des coqs en particulier, et sur la condition animale, en général. S’ils se retrouvent dans ces enceintes sportives, c’est pour le frisson, le spectacle, la boisson, et, pour la plupart d’entre eux, le fric.
Une fois l’enceinte comble, les cris des 400 spectateurs, l’effet de la Dodo – la bière locale –, le zamal – la weed locale –, les coups de becs, les cocoricos furieux, combinés aux comportements agressifs des coqs, donnent au rassemblement des allures de messe vaudou.
Je n’ai pas eu de mal à apprendre les protocoles. Ils sont aussi simples que stricts. Les coqs doivent être de poids identique – un simple écart de 90 grammes a son importance pour des animaux de 3 kg. Alors, en principe, quand l’écart dépasse 100 grammes, le combat n’a pas lieu.
Les coqs sont pesés sur des balances de superette, et leurs ergots mesurés. Quand tout est en règle, les deux coqs surentraînés, de 15 mois en moyenne, montent sur le ring pour un combat à mort dans un carré de terre battue de 7 à 8 mètres de circonférence. Des arbitres sont même payés pour faire respecter la bonne conduite des deux ennemis à plumes.
J’ai noté « à mort », mais un coq est déclaré vainqueur dès que l’adversaire est assommé, qu’il s’enfuit, qu’il sort des limites du « ring » ou que son entraîneur décide de retirer son poulain du combat – quand il est en mauvaise posture. Je n’ai donc jamais assisté à la mise à mort d’un animal.
Une fois les protagonistes dans l’arène, donc, le combat peut commencer. C’est une expérience unique : ça donne quelque chose entre un combat de boxe et une démonstration de ninjas. J’ai vite compris pourquoi les gens sont accros à cette pratique ancestrale.
En discutant de la préparation des combattants à becs avec un connaisseur, j’ai appris que les coqs sont parfois dopés avant le combat. Comme certains humains. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec les perfusions des joueurs de la Juventus en 2004. Mais pour ces poulets, ce n’est ni de l’EPO, ni des substances pharmaceutiques, mais une infusion de cannabis, administrée avant les matches.
Chaque détail pouvant faire la différence est mûrement réfléchi. Ce n’est pas étonnant : un coq de combat vaut des centaines d’euros, et les victoires peuvent faire gagner des milliers d’euros à son heureux propriétaire. Et accessoirement une sacrée renommée locale.
Au bout de quelques combats, je suis calé sur les tactiques et les différentes façons de se battre. Dans le royaume de la castagne entre deux lutteurs à crêtes, il y a clairement trois catégories : les « défileurs », qui fatiguent leurs adversaires pour gagner sur le long terme ; les « croiseurs », qui attaquent leur adversaire de biais ; et les « cogneurs », moins mesquins que les précédents, qui attaquent leur challenger de face.
Quelque soit le gallodrome, et quelque soit le combat auquel j’ai assisté, il y a toujours des paris. Tout au long du combat, les billets circulent. Les spectateurs parient sur leur « champion », et un jeune homme – le plus souvent sapé de vêtements de sport, et arborant une sacoche remplie de fric – s’occupe de ramasser l’oseille, le plus discrètement possible, et de la redistribuer aux gagnants, sans oublier de prendre sa part lors des transactions.
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