La poussière est retombée sur les décombres de la vieille ville d’Alep depuis la reprise totale de la métropole par le régime de Bachar al-Assad en décembre 2016. La vieille ville d’Alep, inscrite au patrimoine de l’UNESCO en 1986, n’est aujourd’hui qu’un champ de ruines où ne subsistent que chats errants et flâneurs. Les vieux marchés couverts, les mosquées millénaires, les maisons et ruelles traditionnelles, les hammams, les khans et la grande citadelle sont à l’heure actuelle dans un état lamentable. Selon un rapport récent de l’ONU, 60 % de la ville historique aurait été gravement endommagée et 30 % en serait totalement détruite.
Alep est à la croisée des chemins. Elle se situe aujourd’hui dans cette courte période entre la guerre et la reconstruction; ce moment où le temps est suspendu et le futur reste incertain. En effet, la ville historique est en sursis, et ce, malgré les promesses de reconstruction faites par le régime syrien et le vaste plan d’urbanisme proposé par des universitaires allemands. Le problème réside dans le fait qu’il n’y a aucun projet concret d’établi; nul ne sait à quoi ressemblera exactement le processus qui mènera à la renaissance de la grande métropole du Nord syrien.
Videos by VICE
Depuis la reconquête de la ville par les forces gouvernementales syriennes et leurs alliés, les Alépins redécouvrent progressivement les environs dévastés de la grande citadelle située au cœur de la vieille ville. Ce grand palais médiéval fortifié a été la position la plus avancée de l’armée syrienne dans le vieux Alep et permettait aux combattants d’avoir une vue imprenable sur les positions rebelles aux alentours. Aujourd’hui, les familles viennent le soir par dizaines flâner autour de la forteresse pour boire un café, fumer le narguilé ou tout simplement, pour se prélasser. Devant la citadelle trônent les ruines du grand sérail d’Alep détruit par une explosion souterraine attribuée aux rebelles en août 2014. Construit entre 1928 et 1933 sous le mandat français, le bâtiment abritait à l’époque la mairie de la ville. (août 2017)
Le rond-point de Sabaa Bahrat était autrefois l’une des grandes places de la métropole. Elle abritait alors de nombreuses institutions bancaires, des ministères, des bureaux et magasins en tous genres. Dès le début des affrontements, la zone a été rapidement pillée et désertée à cause des risques que représentaient les francs-tireurs retranchés dans la mosquée des Omeyyades, au bout de la rue. (août 2017)
À l’époque des combats (entre juin 2012 et décembre 2016), la rue Al-Mutanabbi a été l’une des grandes artères séparant la partie gouvernementale (ouest) de la ville des quartiers rebelles (est). Pendant plus de quatre ans, la présence de francs-tireurs aux étages supérieurs des immeubles en a fait une zone à éviter pour les civils. (août 2017)
Depuis le dernier étage d’une ancienne infirmerie, on peut voir les vestiges de l’hôtel historique Carlton d’Alep. Le 8 mai 2014, les rebelles du Front islamique (al-Jabhat al-Islāmiyyah) ont fait sauter à l’aide de plus de 20 tonnes d’explosifs l’hôtel, qui abritait alors une base avancée de l’armée syrienne. La force de l’explosion a été si violente que de nombreux immeubles des environs se sont également effondrés. Imad, un militaire syrien de 34 ans qui était alors en poste juste à côté du Carlton se souvient de l’attaque : « Je me reposais sur un matelas lorsque, d’un seul coup, le sol s’est littéralement soulevé sous mes pieds. J’ai eu le temps de protéger ma tête avec mes mains avant que tout ne s’effondre autour de moi. » (août 2017)
Paysage de désolation dans le souk al-Zarb, où l’on peut voir encore les grandes barricades de sacs de sable utilisées par l’armée syrienne pour se protéger des tirs de l’ennemi. Dans ce marché couvert historique calciné par les flammes d’un incendie, 50 mètres à peine séparaient les positions des loyalistes et des rebelles. Cette proximité donnait parfois lieu à des dialogues absurdes entre ennemis comme en témoigne Ahmad, un frêle soldat syrien de 37 ans : « On pouvait carrément parler avec ceux en face de nous au quotidien. Une fois, j’ai même insulté la sœur d’un rebelle et il m’a crié que c’était haram (interdit) de dire ça. » (septembre 2017)
Non loin de la citadelle trônent sur la rue Abdel Moneim Riyad quatre grands bâtiments qui abritaient jadis des bureaux administratifs. Pendant les affrontements, les soldats avaient barricadé et aménagé les derniers étages en postes de francs-tireurs. Au neuvième étage de ces immeubles, les tireurs d’élite avaient une vue imprenable sur le quartier de Farafira, ce qui permettait alors aux loyalistes d’empêcher toute infiltration de miliciens rebelles dans leurs positions. (septembre 2017)
La nature a tranquillement repris son droit dans les petites ruelles situées derrière la cathédrale Saint-Élie d’Alep, dans le quartier chrétien d’al-Jdeideh. (septembre 2017)
Une vue du quartier de Farafira avec, au fond, la grande citadelle d’Alep. Le quartier était autrefois composé principalement de petites maisons de deux ou trois étages séparées par un labyrinthe d’étroites ruelles. Les combats et les bombardements du régime ont été si violents dans cette partie de la vieille ville qu’il est maintenant impossible de reconnaître l’ancienne trame urbaine; il n’y a plus de ruelles, il faut dorénavant marcher sur les maisons effondrées pour se déplacer. La destruction totale donne quelque chose de très naturel à cette nouvelle structure urbaine. (septembre 2017)
Les pierres de certains bâtiments historiques détruits lors des combats sont rassemblées et mises de côté en attendant une éventuelle reconstruction. Dans un futur proche, de pharaoniques travaux seront mis en œuvre et pourraient faire disparaître, pour de bon, le patrimoine endommagé de la vieille ville. Actuellement, on assiste à quelques cas d’initiatives personnelles dans le centre de la ville. Certaines personnes ont été autorisées par le gouvernement local à revenir dans les quartiers historiques afin de pouvoir commencer à réparer leur maison ou leur échoppe en suivant minutieusement les plans d’origine. (août 2017)
Un mannequin traîne au beau milieu de la chaussée dans une ancienne rue commerçante du quartier d’al-Jdeideh. Depuis le début de la guerre en Syrie, les mannequins des magasins de vêtements servent de trompe-l’œil aux combattants afin de pouvoir repérer plus facilement les francs-tireurs. En faisant bouger ces leurres au coin d’une rue par exemple, les miliciens peuvent découvrir, en fonction des tirs, s’il y a un danger ou non. (septembre 2017)
En plus de ses souks, Alep était réputée pour ses nombreux et splendides khans. Les khans (« caravansérail » en français) étaient des lieux où jadis, les caravanes de pèlerins et de marchands s’arrêtaient pour se reposer, manger et dormir. De forme carrée avec de hauts murs et une grande cour intérieure, ces bâtiments ont servi de quartier général à de nombreuses milices lors des combats dans la vieille ville. Solidement fortifiés, les caravansérails permettaient aux combattants d’éviter les tirs d’artillerie directs, mais ils n’étaient cependant pas à l’abri des coups de mortier dont les obus prennent une trajectoire en forme de cloche lors du tir. On peut voir ici la cour intérieure endommagée d’un khan situé dans le souk Khan al-Toutone. (septembre 2017)
Dans le quartier de Maysaloun, à la lisière nord de la vieille ville, l’école Mohammad al-Sha’er faisait office de position de tir avancée sur la ligne de front pour une milice rebelle rattachée au Front islamique syrien (al-Jabhat al-Islāmiyyah). Elle a été constamment attaquée par les forces du régime syrien qui étaient retranchées à 200 mètres de là, dans la base militaire d’Hanano. Les multiples impacts de balles rapprochés sur la façade du bâtiment témoignent de la proximité des belligérants. (septembre 2017)
À la tombée du jour, un homme se promène dans les rues abandonnées d’al-Jdeideh. (septembre 2017)