En cinq années d’existence et avec très peu de moyens, Visions a réussi à s’imposer comme étant – et de loin – le meilleur festival breton. Cadre idyllique (un fort, la mer, un bunker, une tyrolienne), programmation pointue et impeccable (c’est bien simple, de Wolf Eyes à Prurient en passant par Hogg, il n’y avait absolument aucune faute de goût), tout était réuni pour que cette année encore, la pointe brestoise se transforme en arène de la grand-mongolerie à ciel ouvert. Un chaos biblique que nous avons tenté de traverser avec vaillance trois jours durant pour en revenir gorgés de sagesse et d’enseignements à partager, et entretenir la légende. Voici donc notre table des lois, les Sept Commandements du Festival Visions qu’on vous invite à respecter scrupuleusement l’année prochaine à Plougonvelin.
1. Tu ne vénèreras pas d’autre dieu que Satan (le groupe)
On ne va pas tortiller du coquillard bien longtemps, la plus grosse mandale de Visions revient haut la main à Satan. Déjà, quel autre groupe programmé à Visions pouvait rivaliser avec les Grenoblois en matière de blase ? Adieu Inuit ? Rouge Gorge ? Salut Brioche ? Soyons sérieux deux minutes. À part Sordide qui ouvrait un peu plus tôt sur la même scène (et à qui nous devons l’un des plus beaux moments de bravoure du festival, à savoir dégueuler fièrement sa bile straight outta Rouen au visage d’un public familial plus branché beurre-sucre que salade de limaille), PERSONNE n’était de taille. De toute façon, à quoi bon lutter contre 45 minutes de set pour tout autant de chansons, un batteur capable de mettre à l’amende toutes les boîtes à rythme de la programmation et un chanteur vraisemblement épileptique (qui, signalons-le, repartira sur une civière) ? Satan était ce samedi l’équation la plus parfaite de la haine, celle qui compresse à elle seule treize éditions du Hellfest pour les dégueuler sans sommation sur les pompes d’un public trop clairsemé pour les slams et pas vraiment prêt à se faire tarter si brutalement.
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2. Dis-leur merde aux dealers
On le sait, vous le savez, qui dit trois jours de festival en Bretagne et une programmation résolument éclectique et électronique annonce forcément la couleur en matière de mâchoires crampées et de pupilles grosses comme des montgolfières. Pas de panique, nous ne sommes pas là pour juger et il y a peu de chances que vos parents tombent sur cet article. Mais gardez-bien en tête le procès-verbal de la Brigade de l’Hédonisme qui va suivre avant de songer à lâcher vos ronds au premier mec qui se présentera à vous comme un revendeur assermenté de stupéfiants « Vendredi soir, vers 22 heures quarante-sept, alors qu’ Operant rencontre quelques difficultés techniques sur la scène 2, un individu bien connu de nos services et dont nous tairons le nom a tenté de refourguer un sachet rempli de sable à un festivalier en quête de sensations fortes avant de se faire ceinturer au sol par ses camarades. Le lendemain, lors d’une enquête matinale approfondie (13H44 selon nos sources), les langues ont commencé à se délier. Une certaine Héloïse* L., (32 ans, graphiste) nous confie avoir déjà fait passer de la terre pour – je cite – « du gros tcherno ». De son côté, Sébastien* L. (32 ans, profession inconnue) admet à demi-mot qu’un de ses proches à déjà fait renifler de la silice à un – je cite – « teuffeur quimpérois dans le camping des Vieilles Charrues ». La morale de cette histoire ? Venez avec vos propres provisions.
*Par souci de transparence journalistique, aucun prénom n’a été changé.
3. Festivalier comme artiste, tu ne te déguiseras point
On sait, vous êtes issus de la culture internet, vos chansons se veulent au moins aussi ironiques que votre blase et vous êtes de sacrés déconneurs. D’accord, vous avez été programmés entre les chiottes sèches du camping et le parking alors que certains avaient les honneurs de la scène 3 (au passage rebaptisé « Dôme du Tonnerre » après le concert furieux des Hôpitaux dimanche) un peu plus loin. Mais franchement Salut Brioche, était-ce une somme de raisons suffisante pour faire subir à des festivaliers qui n’avaient rien demandé (et qui surtout ne pouvaient pas vous éviter) cet infernal costume de poussin ? Pour tout vous dire, j’ai eu moins de mal à encaisser le mec à poil pendant l’impeccable concert d’ADULT., la dreadeuse qui tapait une démo de cerceau lumineux devant Esplendor Geometrico, et les 17 chapeaux dénombrés autour du Fort de Bertheaume . Avouez que c’est tendu.
4. Tu trouveras le chemin de la Rédemption et du Grand Pardon en passant par la tente de premiers secours (ou la parabole de Baumann).
C’est un samedi de festival qui commence normalement pour le dénommé Baumann (ou peut-être était-ce Beau Man ? Bow Man ? Nous ne saurions dire). Du rhum de supermarché en plein soleil, « à la bien » et une ferme envie de se repaître de musique ROCK. Mais devant Prurient, la descente aux enfers commence très tôt pour notre vaillant camarade. Doit-on attribuer aux hurlements du golden-boy de la noise le réveil brutal de la bête qui sommeillait en Baumann ? Ou le nectar des dieux créoles ? Probablement les deux. Toujours est-il que notre petit ange rougeaud décide d’envahir la scène avant de se faire rembarrer par un Dominick Fernow pas vraiment porté sur la déconne. La trajectoire de notre étoile filante ne s’arrête cependant pas à ce premier échec, oh non. C’est dans le camping qu’on le retrouve, bien décidé à emmener le maximum de tentes dans sa chute, ce qui amuse moyennement leurs propriétaires. Le ton monte, les droites partent et voilà notre héros au sol avec une belle trace de semelle en plein milieu de la gueule. Va-t-il pour autant déclarer forfait ? Certainement pas.
Visage en sang et guidé par la soif de vengeance, Baumann se met à la recherche de celui qu’il tient comme seul responsable de ses malheurs : Dominick Fernow doit payer. Ça tombe bien, celui-ci se produit à nouveau sur la grande scène, cette fois en tant que Vatican Shadow, pour un set plutôt fidèle à sa dernière sortie sur Ostgut Ton (d’aucuns diront un poil chiant). Ultime tentative de rétribution pour Baumann qui – vraisemblablement agacé par la performance très turbine du New Yorkais – investit à nouveau la grande scène pour en découdre. Avant de se faire maîtriser une bonne fois pour toutes par les agents de sécurité les plus cools du monde et finir au poste de secours. Un temps de repos visiblement dédié à l’introspection et à l’examen de conscience, car c’est un Baumann tout en rédemption qui fera le tour du camping le lendemain aux aurores pour s’excuser platement auprès des festivaliers qu’il avait offensés. Et essayer de chiner quelques champignons au passage car cette fois-ci, c’est promis, il ne reproduira pas les erreurs du passé.
5. Tu honoreras ta mère et ta ville natale car il y a deux choses qui font un homme et vous connaissez la chanson.
Si on m’avait dit qu’un jour je verrais Noir Boy George en plein soleil et devant deux jet-skis se tirant la bourre je me serais probablement écrasé une Méga Démon sur le visage en hurlant à l’hérésie. Et pourtant, la révélation a bien eu lieu dimanche en fin d’après-midi sur la grande scène. Les portes du périphérique messin se sont ouvertes sous nos yeux fatigués. Nous avons vu les ponts, les larmes, les clochards, la bière tiède, les masques à gaz, un t-shirt Napalm Death, une haine sans borne pour les batteurs, la légion étrangère (mention spéciale à la reprise a capella de « J’avais un Camarade »). Et tout ça sans la moindre trace d’ironie, ou que ça ressemble à un concert de Miossec. Respect puissance 8.6.
6. Tu ne mentiras point
Suite à une campagne honteuse de désinformation menée l’année dernière dans ces colonnes par Pierre Jouan, nous avons mené l’enquête en nous aventurant dans le camping pendant le set de Last Night, le groupe dudit confrère. Notre conclusion est formelle : 1) il y a bien des douches à Visions 2) la pression y est aussi faible que dans une punchline d’Assassin 3) à en croire les bruits perçus ce soir-là, elles servent également de bassin de reproduction pour quelques festivalier.e.s. Un fact-checking rondement mené.
7. Tu n’invoqueras pas en vain la fureur de Monarch!
Après avoir voulu commander sept fois de la Coreff sans succès, tenté de voler un fût, manqué de te vautrer dans ta propre pisse puis tomber de la falaise, tu t’es dit que la meilleure idée serait d’aller emmerder un groupe de doom bordelais, comme ça, pour le fun ? Bien essayé, mongol en tongs, mais tu avais en face de toi des maîtres-zen qui, malgré tes doigts d’honneur, tes insultes faiblardes dirigées vers la chanteuse Émilie et des balances compliquées ont su garder un calme olympien avant de déchaîner un orage bien trop puissant pour tes petites oreilles rougies et fragiles. Et que tu n’as pu quitter que titubant, lessivé et penaud, la queue entre les jambes.
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